Chapitre 6 - Partie 2

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De tout temps, de tout monde, de tout endroit, l’argent règne en maître. Le Monde n’y faisait pas exception, Lavande n’y échappait pas, et elle le savait.

La première fois qu’elle s’était rendue à Wengchao, ce fut pour le travail, tout frais payé, le voyage y compris. Le retour ? Ce ne fut guère complexe d’acquérir la modeste somme d’une centaine de coins pour rejoindre New Valley, cette ville n’était jamais bien chère à visiter ou à habiter. Cependant il fallait compter une dizaine de milliers de coins pour se rendre dans la ville des Ming, ce que Lavande n’avait pas. Dans son compte, il y avait quelques miettes, un ou deux crédits pour avoir un toit sur la tête et une Hexacyclique 34, son véhicule deux roues qu’elle n’osait même plus utiliser pour éviter d’exploser sa facture d’électricité ; elle privilégiait plutôt les transports de NV, offerts à tout résidants de la ville… ils s’y étaient résolus en voyant bien que personne ne les payait de toute façon.

Lavande ne pouvait pas se permettre d’abandonner son frère pour une question de fric, elle avait certes les poches vides mais son métier pouvait offrir de quoi vous gaver de viande de bœuf non synthétisés pour le restant de vos jours. Cependant, pour cela, elle se le disait souvent, il fallait n’avoir : aucune putain de race.

Et, en matière de non-race elle avait bien un gars en tête : Lord Gunther, un bon vieux mafieux de Lodeveeb, le quartier où tout le gratin de NV résidait, où l’argent coule à flots sous les montagnes de blanchiment, de saletés, de sangs… Une envie de gerbe jusqu’aux naseaux de Lavande, ces pourritures dominaient la ville puis les entreprises les soumettaient, dans une pyramide de pourriture dont personne ne connaissait le sommet, il était juste courant d’empiler les cadavres pour l’escalader.

Lavande dans tout ça ? Elle n’était pas dedans, les stip’ ne mangeaient pas de ce pain-là, le pouvoir ils le laissaient aux clients. Cependant c’était souvent eux qui permettaient l’avancée ou la chute.

Jusque-là elle ne travaillait pas avec ces types qu’elle tenait en sainte horreur, se contentant de remplir des missions pour Tony, gagnant de ce fait un maigre salaire tout juste de quoi se payer la nourriture, les redevances en tous genres et une faible partie de sa dette de loyer.

Tout cela lui convenait, elle se contentait de survivre, mais voilà, le chamboulement arriva. Elle avait largement les capacités d’advenir aux missions les plus sales et coriaces de NV… mais les avait fui comme la peste… jusqu’à aujourd’hui.

Lavande se tenait devant une des marionnettes de Gunther, il l’avait emmené dans le QG, comme tout bon mercenaire qui voulait se mettre à ses ordres… seulement il n’accueillait en personne que les plus réputés. 278 n’était en aucun cas une stip’ de notoriété, néanmoins son passage à Wengchao en tant que garde rapprochée de la famille Ming lui permettait au moins d’être considéré comme suffisamment compétent pour travailler pour le Lord.

Alors, assise dans une minable petite chaise en bois, dans une salle blanche démunie de la moindre arme… elle attendait les questions, comme dans un interrogatoire, le comble pour l’un des barons du crime que de réaliser des entretiens comme un simple flic.

Devant, l’une de celles que l’on nommait marionnette. Lord Gunther en possédait une dizaine, il s’agissait de femmes qui ne présentaient plus d’épiderme, que des morceaux de titane et de carbones condensés. Elles étaient améliorées de l’extérieur, le plus déshumanisant possible, et de l’intérieur, chaque organe possédait une amélioration, de quel genre ? Personne ne savait vraiment, mais elles étaient efficaces.

— Mademoiselle 278, pourquoi vouloir soudainement travailler pour le Lord après tant d’années à nous bouder ?

— J’ai besoin de fric.

— La NVP ne rapporte pas assez et vous vous tournez alors vers le salissement des papattes ?

Le ton arrogant de la poupée lui paraissait fort déplaisant.

— Et, marionnette, ça vous plaît ça ?

— Nous parlons de vous 278, pas de moi.

Lavande posa ses deux bras sur la table et s’avança, le visage fermé par une froideur soudaine.

— Ah ouais ? Alors tu veux bien transmettre un message de ma part à ton Lord ? La stip’ qui se tient devant toi, elle a plutôt les boules de subir un putain d’entretien avec une toutoute alors qu’à l’heure qu’il est je pourrai être sur le terrain en train de massacrer quelqu’un pour lui et, dans l’heure qui suit, me remplir les poches ?

— Cela ne fonctionne p-...

— Si, tout à fait, tout ici fonctionne au massacre d’accord ? Alors moi je vais te parler dans ma langue, je ne fais pas dans la diplomatie, viens me tester dans ce qui nous intéresse vraiment, mano-a-mano, de ce qu’on dit, vous les marionnettes, vous êtes améliorés des poings à la chatte, alors ça ne devrait pas être compliquée de me faire rabattre le clapet nan ?

— Je vais devoir arrêter notre entre…

Une nouvelle fois elle fut coupée, non pas par Lavande, mais par un appel. La poupée plaça un doigt sur sa tempe et ses yeux sans iris, sans pupilles, sans sclères, passèrent du vert au rouge. Lavande ne pouvait rien savoir de la conversation, l’une des modifications de la marionnette était visiblement l’appel mental, une nanosonde se servait des signaux électriques des neurones pour transmettre une parole imitatrice de la voix au correspondant, sans même avoir à bouger la langue… Lavande n’en avait jamais voulu de cette cybérologie, ayant bien trop peur d’avoir des pensées qui n’auraient rien à voir avec la conversation au téléphone, de toute manière elle n’avait pas les moyens de se l’offrir.

— Madame 278… Lord Gunther vous demande…

Lavande ne manqua pas de lui adresser un grand sourire satisfait, au désarroi de la poupée qui, malgré sa face métallique, sentait la rancoeur à plein nez.

La stip’ fut alors accompagnée par une autre marionnette vers le maître des lieux. Il résidait dans un centre commercial de Lodeveeb qui lui appartenait, au sous-sol. Les lieux étaient décorés avec soin, à bien y regarder Lavande décelée une obsession de la couleur argentée et du carbone condensé… un peu comme sur ses poupées finalement.

Elles passèrent devant de nombreuses salles semblables à celles où elle fut attelée précédemment, où des stips et d’autres étaient interrogés sur des sujets divers et variés. Elle repéra aussi un escalier qui s’enfonçait plus loin dans le sous-sol, elle réalisa alors qu’il devait y avoir un cachot ou quelque chose de semblable sous leurs pieds.

Enfin elles arrivèrent au bout, cet étage sous le centre commercial se relevait être d’une longueur extrême, plus extravagante que vraiment utile, les dizaines de marionnettes du Lord n’avaient pas vraiment la largeur suffisante pour combler l’espace. La salle du maître des lieux était accessible en passant sous une arche d’argent massif, où la phrase “ Gib es der Unterwelt und sie geben es dir zurück. Bring es in die Unterwelt und sie werden dich töten.” était inscrite. Lavande déduisit immédiatement les origines du Lord, si tant est qu’elle ait un doute au vu du prénom. Gunther devait descendre d’une famille allemande de l’Ex-Monde, là où elle descendait manifestement d’une française… mais cela était peu important, pour beaucoup d’habitants de NV… mais pas vraiment pour les criminels, qui se rattachaient sans trop de raisons à l’origine disparue de leurs ancêtres. Lavande ne parlait pas un mot de cette langue, elle ne connaissait que l’universelle, imposée par NV, un mélange de langue latine. Elle avait aussi quelques notions de mandarins, mais en avait oublié la quasi-totalité.

Peu importe la signification de la gravure, cela ne se voulait sans doute pas accueillant. Lord Gunther était attablé, au bout d’une longue table où deux assiettes attendaient… l’une en face du Lord, et l’autre à l’extrémité inverse, on la fit asseoir devant celle-ci.

Le mafieux était… imposant, assez gras et grand, il disposait d’un visage froid et creusé qui jurait avec la graisse du reste de son corps. Ses sourcils broussailleux venaient cacher partiellement ses yeux, que Lavande ne pouvait distinguer avec la distance. Il était chauve, d’un crâne éclatant, la stip’ s’imaginait qu’il l’astiquait tous les jours. Aussi, il ne disposait pas de cybérologie visible… à bien y regarder tout autour d’elle, il n’y avait que très peu de technologies tout court dans la pièce. Là où le reste de l’étage était accablé de modernité qu’il en vomissait de la grisaille, la salle du Lord se trouvait être d’une authenticité rare, rustique… mais accueillante.

— Lavande 278 564 321, j’ai lu votre dossier de stip’.

C’était une voix grave, posée de sorte qu’elle faisait vibrer chaque syllabe comme un solo de bassiste.

— J’ai aussi vu les menaces à ma tendre Liza.

— Je voulais faire vite… et j’ai horreur des entretiens d’embauche.

— Elle s’en remettra, je voulais voir un peu votre tempérament. Je ne suis pas déçu. De toute manière votre passif de garde du corps pour les Ming… pourquoi être revenu à New Valley ?

En voilà une question simple et pertinente…

— J’ai eu mes raisons Lord. Si vous voulez tout savoir… de toute manières il aurait fini par savoir, ils ont des oreilles partout ces gros bonnets… je suis revenue sur NV pour mon frère, Espoir. Et aujourd’hui je cherche à amasser de l’argent pour aller lui sauver les miches à Wengchao.

— Oh ? Que lui arrive-t-il ?

Une mannequin arriva avec une bouteille d’alcool que Lavande n’avait jamais vu… enfin peut-être chez les Ming mais ses souvenirs étaient bien trop brouillés… il s’agissait d’un liquide auburn qui fut versé dans son verre et celui du Lord.

— Je ne sais pas, justement, néanmoins c’est une vieille connaissance qui m’a prévenu. La seule dont je fus proche et que je pensais disparue.

Tout n’était pas vrai, bien entendu, mais dans son intérêt elle devait éviter de révéler son amnésie… qu’il ne s’imagine pas qu’elle n’est plus les compétences acquises chez les Ming.

— Bien. Tout cela ne regarde que vous… je pense à vous suggérer un contrat. Il paye beaucoup, mais il est d’une dangerosité énorme, pour vous surtout.

Il trempa les lèvres dans son nectar.

— Dites-moi ?

Il attendit que la marionnette sorte de la salle.

— Vous allez me buter ces salopes de poupées. Toutes.

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