Chapitre 6 - Partie 3

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Sa voix résonnait encore alors qu’elle était raccompagnée vers la sortie. Ce n’était pas celle du Lord qui se répétait sans cesse dans son crâne, non, c’était la sienne, quand elle répondit par l’affirmative à la proposition de mission. Elle n’avait même pas hésité, attirée par le fric que pouvait engranger un tel contrat, elle avait sauté sur l’occasion comme un hacker prépubère acceptant de casser la sécurité d’une megacorporation sans se douter une seconde qu’il y laisserait la vie… ici c’était la même chose, à cela près qu’elle n’y succomberait pas, elle y laisserait simplement le peu de moral et d’éthique qui lui restait.

Le seul crime que ces poupées avaient commis ? Celui de prendre un peu de liberté, un peu plus, au désarroi de leur créateur.

Il ne pouvait les tuer lui-même, il se disait attaché à celles-ci… mais elles prenaient trop de place, elles mettaient même leur nez en or massif dans les affaires du gros bonnet.

La difficulté ? Hormis deux des marionnettes, la dizaine d’autres n’avait aucunement vocation à combattre. Les deux ne seraient pas tant un problème, pourvu qu’elle ne les affronte pas ensemble. Elle avait deux jours maximum pour accomplir la mission selon les termes du contrat, alors, pendant que l’une de ses futures victimes l'emmenait en-dehors du bâtiment du Lord, elle commençait son plan d’attaque. La priorité était d’éliminer les deux poupées combattantes, l’une après l’autre, il fallait trouver un moyen de les séparer car elles ne se déplaçaient que par paires et…

— Il vous a demandé de nous éliminer.

Lavande aurait aimé que cela ne soit qu’une simple question, seulement l’affirmation lui fit l’effet d’un soudain froid, pourtant elle continuait à marcher, comme la marionnette du Lord.

— N’essayez pas de le nier.

Elle s’arrêta soudainement et se tourna vers la stip’.

— Nous savons tout. Nos oreilles sont partout. Le Lord n’a aucunement idée de l’emprise que nous avons sur les lieux, sur son entreprise, sur absolument tout son business.

Comment répondre ? Une solution émergea dans l’esprit de 278, pas la plus intelligente mais…

— J’analyse votre cybérologie en ce moment, je sais que vous avez des armes autres que celles que l’on vous a retirées en entrant. Je vous prie de ne pas tenter la manière forte. Nous avons une proposition à vous faire, Lavande.

— J’écoute.

Un stip’, ça fait honneur à ses contrats, peu importe ce qu’il s’y passe, à la limite ça regrette après, mais ça ne peut pas revenir sur ce qui a été signé, sinon la réput’ en prend un sale coup.

Bien qu’elle se répétât ce dicton de Lazarus, ce type pas net qui lui avait appris les ficelles du métier, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer avoir une autre solution, quelque chose de moins sale à faire.

— Nous ne pouvons pas toucher au Lord, nous avons toutes une nanopuce qui nous a été installée lors des modifications cybérologiques à notre entrée en fonction en tant que marionnette. Cette cyberol’ nous empêche de porter atteinte à cet homme, autrement elle déploierait une violente décharge électrique dans notre cœur. Je ne vous fais pas un dessin.

— Nan, pas besoin…

— Oui, je pense que vous comprenez, j’ai pu avoir accès à certaines choses dans votre dossier. Notamment médical, vous vous êtes bien remise de votre souci cardiaque ?

— Aucun rapport, passez à la suite de l’offre.

Lavande eut un rictus de déplaisir, ses lèvres se pincèrent.

— Vous allez le tuer, pour nous offrir notre liberté.

— J’y gagne quoi ?

— De l’honneur, et de l’argent.

— Combien ?

— L’honneur ou l’argent ?

— L’honneur ne se quantifie pas, cessez de jouer.

— Il ne se quantifie pas, mais nous pouvons deviner qu’il existe le seuil négatif de l’honneur et le seuil positif. Quant à l’argent, nous vous offrons 3 400 coins.

— Le Lord m’en offre le triple.

Et c’était d’ailleurs une somme suffisante pour se payer le voyage à Wengchao.

— Nous ne pouvons nous permettre Lavande, le Lord Gunther est bien trop dépensier, selon nos analyses notre entreprise est menacée par la faillite.

— Oh, je vais vous pleurer… ironisa la stip’, qui n’y voyait que du bénéfice à voir des pourritures de trafiquants en tous genres disparaître de Lodeveeb.

— Peu importe ce que vous pensez de son entreprise, la nôtre ne saurait être du même genre.

— Ah ouais ? Et au lieu de trafiquer de tout, vous allez faire quoi ?

— Cesser le trafic d’êtres humains.

— Et ?

— C’est déjà beaucoup mais nous ne pouvons perm…

— Cesse ton baratin poupée, ce n’est pas comme ça que tu vas me convaincre. Ce que tu me demandes de faire là c’est de choisir le moindre mal, et j’aime pas les putains de choix cornéliens dans le genre.

— Savez-vous au moins qui nous sommes ?

— Je suis censé savoir ?

La marionnette lui fit signe de la suivre. Elle l’emmena dehors, devant le QG du Lord, qui ressemblait à un bête garage au fond d’une impasse mal éclairée.

— Prenez-vous le temps d’observer les étoiles Lavande ?

De manière naturelle, 278 leva ses prunelles vers les cieux. La nuit s’était emparée de New Valley. Au-dessus de sa tête il n’y avait pas d’astres stellaires, seulement des gigantesques holo-projections de publicités diverses et variées. Pub pour la bouffe, pub pour la télé, pub pour la promo d’un magasin, pub pour une arme, pub pour du porno, pub pour les prostitués du coin, pub pour des implants cybérol’, pub pour l’Hexaligue, pub pour…

— Ah putain !

Ces foutues animations qui inondent les nuits de NV, dans un débit incessant de couleurs vives et de sons qui pénètrent tous les orifices pourvu que tu les regardes un instant. L’erreur à ne pas faire, lever le nez quand le soleil se couche, se perdre dans un spectacle abrutissant et spectaculairement terrifiant par sa propension à absorber le peu de consciences qui te reste dans cette ville !

— Vous ne le faites pas souvent n’est-ce pas ?

— Aucune foutue étoile ! Que des spots, des putains de drogues pour la cornée qui jonchent le ciel ! Et c’est quoi le rapport avec toi au juste ?

— J’ai toujours rêvé d’en voir ne serait-ce qu’une.

Un profond silence. Lavande sentit tout d’un coup sa frustration descendre. La poupée, à travers ses couches de métaux et de circuits, venait de se montrer plus humaine que jamais, d’une simple phrase prononcée avec ce qu’il y avait au creux de sa poitrine.

— Et donc ? se força-t-elle à demander.

— Je suis une rêveuse, comme beaucoup d’âmes dans cette ville. Comme toutes les marionnettes du Lord. Nous sommes seulement nées là où il ne fallait pas. Alors peu de solutions s’offrent à nous.

— Ouais, j’imagine que ce n’était pas glorieux les portes ouvertes.

— Pour gagner sa vie décemment en partant de rien ? C’était la prostitution ou que dalle.

— Finalement, le Gunther vous a donné une autre opportunité…

— Oh, vous pensez cela. Dites-moi Lavande, selon vous, quelle est la différence entre une marionnette et une pute ?

— Ouais euh…

Non, vraiment, la solution à l’énigme ne venait pas.

— Ne vous tracassez pas à chercher une réponse claire, il n’y en aura pas, la limite est beaucoup trop fine entre les deux pour les démarquer d’une quelconque manière. L’asservissement. Et voilà, aujourd’hui nous avons l’opportunité d’enfin nous émanciper, de devenir autre chose que des putes en titanes pour un gros lard de mafieux.

— Pourquoi ne pas avoir appelé un autre stip’ avant que je n’arrive ?

— Nous avons beaucoup de pouvoir, mais il l’aurait vu. Comme il vous a engagé pour nous tuer il ne se doute de rien, il doit penser que vous prenez des informations pour mieux nous assassiner.

— S’il nous écoute.

— Il ne le fera pas.

— Et pourquoi ?

— Certaines choses relèvent de la confidentialité de notre business madame.

Une bonne vieille réponse toute prête qui lui donnait envie de coller une bonne baffe à la poupée.

— Alors, Lavande, puis-je m’assurer que vous serez de notre côté ?

— Non. Enfin, j’ai juste besoin d’une nuit de réflexion d’accord ?

— Bien Lavande, je vous laisse partir, je sais que vous ferez le bon choix. N’oubliez pas qu’ici, aucun moindre mal, il s’agit juste d’argent. Que la nuit vous porte conseil, pour cela… restez loin du ciel publicitaire.

Sans ajouter quoi que ce soit, Lavande repositionna son chapeau, emmitoufla ses mains dans les poches de son trench et s’en alla sur sa bécane. Le moteur vrombit, le quartier vibra, la nuit mugit sur son passage, ses pensées grondèrent.

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