Chapitre 8 - Partie 3

7 minutes de lecture

— Je dois dire que c’est impressionnant.

Lavande se tenait debout à l’aide d’une canne, marchant difficilement, à ses côtés la médecin s'enorgueillit du rétablissement de sa patiente.

— Merci pour tout Melys.

Deux jours, il lui fallut seulement cela pour tenir à peu près debout et découvrir l’extérieur de cette pièce. Melys s’acharnait à sa rééducation. Depuis peu Lavande pouvait de nouveau parler, d’une voix faiblarde, certes, mais suffisamment pour enfin poser les questions qu’elle ne pouvait jusqu’alors pas formuler.

Néanmoins cela attendrait le temps d’emmagasiner la vue qui s’offrait à elle. Plusieurs bâtissent, comme des tubes métalliques, toutes plus ou moins éloignées. Elles étaient reliées par des câbles tendus, les empêchant de se percuter. En dessous de chaque morceau se dressait un moteur à particule ionique, propulsant le Nomadebyen à une vitesse suffisamment grande pour rester en lévitation mais modulé pour permettre aux habitants de se déplacer entre chaque parcelle du vaisseau.

— A quelle vitesse allons-nous ?

— 30 km/h.

— Cela fait combien de temps que nous sommes partis ?

— 5 jours.

Lavande plissa les paupières, elle n’était pas experte en calcul de distance et de temps de trajet mais…

— Comment cela se fait-il que nous ne soyons pas encore arrivés ? Le Nomadebyen ne paraît même pas s’arrêter la nuit.

— Les détours, il y a les mines où des drônes survolent quelques kilomètres alentour en périmètre de sécurité.

La stip’ hocha la tête. Les trois mégalopoles se livraient bataille pour le contrôle de points de ressources importants. Les trois grandes, comme certains les nommaient, avaient signé un pacte de non-agression, mais aussi, pour éviter toute rupture de ce pacte, décidées qu’un point de ressource non utilisé et/ou non surveillé pouvait être revendiqué. L’équilibre était fragile, mais cela devait bientôt faire un demi-siècle qu’elles se supportaient.

— Tu as parlé de Lazarus…

— Oui, un stip’ qui nous file quelques coups de main pour des missions à NV, il nous a prévenu qu’une amie à lui se rendrait à Wangchao et était sûrement en danger de mort. Il t’aurait formé et tu te débrouillerais bien d’après ses dires.

— Ouais peut-être bien et ?

— Et tu nous en dois une, on t’a sauvé la vie, alors on va te demander des choses en retour.

— Donc vous récupérez des gars paumés et mutilés, vous les soignez et les logez… tout ça dans le but qu’ils se sentent redevable pour… votre cause ?

— Tout à fait !

— Au moins c’est honnête…

Lavande s’appuya contre la rambarde, en dessous le sol désertique défilait.

— Et c’est quoi donc cette cause ?

— Jeeee… laisserai le chef t’en parler, si tu veux bien, mais ça devrait te plaire, on vit en marge de tout, loin des problèmes des trois mégalopoles.

— Tu as dit qu’on partirait du Mon… du Groenland, pour aller où ?

— Ce que l’on nommait l’Islande !

— Mais y’a quoi là-bas ? Et tu m’excuseras mais on m’a toujours dit qu’en dehors c’était la merde, je vois pas en quoi ce serait pertinent de s’éloigner des problèmes des trois mégalo’ si c’est pour finir griller par une tempête solaire ou bouffé par une sorte de créature horrifique ; j’appelle pas ça échapper à des problèmes.

Melys s’esclaffa, elle était d’une nature joviale qui ne laissait pas de marbre la stip’ : cette dernière ne put s’empêcher de sourire en la voyant se marrer de la sorte.

— Pas là où on va, c’est notre base, une très grande, des rejetés et damnés de la civilisation du “Monde” ! La météo n’est certes pas terrible, mais nous n’avons pas de créatures comme tu le décris !

— La météo n’est pas terrible ?

— Et bien la sécheresse en majeure partie, mais nous nous débrouillons comme nous pouvons pour les cultures. Des fermes d’humidité par exemple… tu verras une fois sur place.

Lavande tourna la tête vers l’horizon, le désert s’étendait à perte de vue, de la poussière… voilà tout. Cette vision lui donnait l’envie de parler d’un passé qu’elle n’a pas connu.

— On raconte qu’avant il y avait d’épaisses couches blanches, comme de la glace pilée. Que le froid était caractéristique du Groenland… puis la faune et la flore se développaient sans avoir besoin de l’homme.

— Nous avons une théorie de notre côté, on a quelques scientifiques. Notre Terre, pour une raison qui nous échappe, ne tournerait plus sur elle même comme avant, elle aurait ralentit, de manière extrême, induisant de gros effets sur le climat et pleins d’autres choses… par ailleurs ce n’est plus vraiment une théorie, néanmoins dans les mégalopoles il semblerait que personne ne se pose la question.

— Personne n’a les moyens d’y répondre surtout. Je ne serais pas étonnée qu’une famille aussi puissante que les Ming soit au courant cependant.

— Evidemment, cela va de soi, ils ne sont pas du même monde que nous.

Melys eut l’air remontée quand elle prononça ces derniers mots. Un temps passa, pendant lequel les deux jeunes femmes toisèrent les différents bâtiments du Nomadebyen.

— Nous savons pour ton frère d’ailleurs.

Cela n’étonnait pas la stip’, Lazarus avait du tout leur expliquer. Néanmoins elle n’osa pas répondre, sa gorge était bien trop serrée, comme si elle perdait de nouveau sa voix.

— Désolé, sache que je suis là si tu veux en parler, je ne suis pas psychologue mais je peux être une bonne amie.

— Amie ? Déjà ?

Le visage de la petite médecin se décomposa discrètement, Lavande le remarqua.

— Ne m’en veux pas Melys, tout ça est un peu brutal pour moi, je ne sais même pas qui vous êtes vraiment, j’ai plus de jambe, il y a encore quelques jours j’étais dans mon sang au seuil de la mort, j’ai sans doute… perdu celui qui était encore ma seule raison de…

— Vivre ? C’est vivre que tu veux dire ?

Le silence suivit, les mots lui furent ôtés de la bouche pour un constat terrible, pour l’instant elle rentrait dans une phase amorphe, elle ne pouvait pas encore se résoudre à sa mort… mais si c’était vrai ? Melys reprit :

— Nous on va t’en donner une nouvelle de raison, tu verras.

La petite femme posa sa paume sur l’épaule de Lavande, qui ne la refusa pas, bien que peu tactile, cette dernière avait besoin d’un peu de réconfort si maigre soit il.

— Ah, il se décide enfin à venir te voir !

Melys pointa du menton derrière Lavande. Quand cette dernière se tourna, elle aperçut un homme à l’imposante stature s’avancer en équilibriste sur un câble reliant leur bâtiment à un autre. Sa première impression se confirmait à mesure qu’il s’approchait, il devait la dépasser d’une tête ou deux, ce qui rendait son funambulisme d’autant plus impressionnant. Par ailleurs, l’interrogation se voyait très certainement sur la face de la stip’, car cela ne manqua pas d’esclaffer la médecin.

— Eh, Lavande, nos chaussures sont faites exprès, pas besoin d’être équilibriste pour passer sur les câbles !

L’homme disposait d’une ossature carrée de l’arcade sourcilière jusqu’aux mâchoires. La moitié de son visage était recouvert d’un métal chromé, pas ses yeux cependant. Il avait la peau ébène, des iris suffisamment foncés pour terrifier un loup en combat de regard. Pour confirmer sa présence, quand il se mit à parler, Lavande eut l’impression que ses tympans vibrait sous sa fréquence basse,

— Bienvenue Lavande. J’ai beaucoup de choses à te dire. Dont des propositions.

— Je vous laisse ! s’exclama Melys en s'éclipsant par là d’où était venu le mastoque.

La stip’ déposa ses mains sur la barricade, faisant dos à celle-ci, elle jaugeait le nouvel arrivant. Les sourcils arqués et le visage fermé, elle cherchait à se montrer digne et fière, sans doute que le type était là pour de la négociation.

— Tu dois être le fameux chef ?

— Si on veut. Tu peux m’appeler Ulysse.

Elle faillit perdre son sérieux.

— Ulysse ? Tu as fait un bon voyage ?

— Je suis né sans nom et prénom, j’ai été nommé Ulysse car je voyage beaucoup.

Il émettait un ton monocorde froid, c’était le boss, il ne blaguait pas.

— Ah ouais je vois le style… Bon, c’est quoi cette histoire de proposition ?

— Par habitude, quand nous sauvons la vie de quelqu’un, il nous rend service, mais tu es une stipendiaire alors je suppose que ça t’importe peu.

— Ouaip.

— Donc te demander service sans rien en retour de palpable, tu ne vas pas vouloir ?

— Nan.

Ulysse hocha la tête, pas plus choqué que ça, il pointa la jambe rouillée de son gros index.

— On te fournit une cybérol’ de meilleure qualité et tu nous aides.

— Doucement, j’aimerai déjà savoir ce que je dois faire avant toute chose.

— Quelques missions pour notre compte, elles ne sont pas encore définies, ce serait plus un contrat à durée déterminée qu’une simple prime. Pendant deux mois tu nous files des coups de main, pour récupérer des ressources par exemple, et nous en échange on t’offre une cybérol’ de pointe et de quoi dormir et manger.

Comme prise d’un mal de crâne, Lavande se massa les tempes. Elle soupira, balaya le vide d’un revers de main.

— Putain c’est toujours pareil ! De toute façon si je refuse je finis avec une jambe à moitié rouillée en plein milieu de nul part.

— C’est à peu près ça oui.

La discussion terminée, la stip’ boita jusqu’à son lit pour s’y affaler, lessivé autant physiquement que mentalement. Elle jura, siffla entre ses dents. D’une tentative foireuse pour sauver son frère elle passait à mercenaire pathétique au service d’une sorte de secte anti monde moderne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire C.K Renault ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0