Chapitre 1

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“Mesdames et messieurs, nous abordons notre descente vers Madison. L’atterrissage est prévu d’ici quelques minutes. Nous vous demandons de bien vouloir rester assis jusqu’à l’arrêt complet.”

La voix étouffée de l’hôtesse de l’air qui grésille dans les haut-parleurs me fait sursauter, me tirant de mon sommeil. Mes paupières sont lourdes et les muscles de mon dos se raidissent lorsque je me redresse dans mon siège bien trop étroit et inconfortable. Je me frotte les yeux et soupire, repoussant une mèche de cheveux qui me chatouille la joue. La nuit a été courte, beaucoup trop courte. Entre les turbulences, les annonces sonores et le petit diable derrière moi qui m’a prise pour son punching-ball, j’ai à peine dormi deux heures. J’ai même envisagé de lui donner mon paquet de bonbons pour qu’il arrête de me donner des coups de pied, tellement j’étais exaspérée.

Je pose ma tête contre le hublot, observant les gros nuages qui s’amoncellent en contrebas. Je pense à ma mère et à son regard triste hier soir, quand elle m’a serrée dans ses bras sur le pas de la porte. J’ai cru qu’elle allait se mettre à pleurer. J’ai tout juste eu le temps de goûter le chocolat chaud et les cookies aux noix de macadamia qu’elle avait préparés avant de partir. Je suis arrivée en catastrophe à l’aéroport après avoir renversé ma valise, oublié mon chargeur et failli me casser la figure en glissant sur une plaque de verglas. Et j’ai dû repasser la sécurité plusieurs fois parce que je n’avais pas enlevé mes bijoux. Quelle idiote !

Le cœur serré, je me rends compte que pour la première fois de ma vie, je ne passerai pas Noël chez moi, dans la maison familiale. Je ne mangerai pas les biscuits à la cannelle de ma mère tout en écoutant Silent Night, mon chant de Noël préféré. Je ne serai pas là pour décorer le sapin avec mon petit frère et mon père. Mais malgré la boule qui se loge dans ma gorge, une bouffée d’excitation m’envahit à l’idée de la destination qui nous attend, Sam et moi. Twinklebrook… Josh nous en parle depuis qu’on est gosses. Ce petit village situé au fin fond du Wisconsin, ça fait des années qu’on rêve d’y aller. Et en plus, nos parents et mon frère Max viendront nous rejoindre pour le réveillon. J’ai tellement hâte !

— Eh bah dis donc, la Belle au bois dormant, il était temps que tu te réveilles !

Je tourne la tête vers Sam, assise à ma droite, qui me regarde d’un air malicieux.

— Très drôle ! rétorqué-je en lui tirant la langue. Toi, au moins, t’as pu te reposer. Moi non, à cause de ce sale môme derrière qui se prenait pour Bruce Lee !

— Et toi qui voulais qu’on échange nos places, j’ai bien fait de dire non ! pouffe Sam. J’ai dormi comme un bébé !

Je lui donne un coup de coude.

— Arrête de te moquer !

— Je ne me moque pas, je dis juste que moi au moins j’ai pas oublié mes boules Quies, nuance ! dit-elle avec un clin d'œil. Allez, courage, on y est presque ! T’as hâte ?

Bien sûr que oui, j’ai hâte ! Je m’apprête à lui répondre, mais notre hôtesse annonce au même moment notre arrivée imminente à Madison avant de vérifier que chaque passager a bien mis sa ceinture. Lorsqu’elle arrive à notre hauteur, elle nous adresse un petit signe de tête auquel Sam répond d’un sourire poli. Quelques minutes plus tard, l’avion touche le sol dans un léger soubresaut, sous les applaudissements des autres passagers. Je soupire de soulagement. On est enfin arrivées.

— Bienvenue à Madison ! La température extérieure est de moins deux degrés. Nous vous souhaitons un agréable séjour !

Les gens se lèvent et récupèrent leurs affaires. Sam et moi restons assises, nos valises cabine à nos pieds. Inutile de nous mêler à cette cohue bruyante. Nous attendons quelques minutes avant de nous lever et de nous diriger vers la sortie.

— Prête ? me lance Sam.

— Plus que prête !

***

Après avoir récupéré nos valises, nous quittons l’aéroport et nous nous dirigeons vers la zone réservée aux taxis où nous attend déjà notre chauffeur. Nous nous installons à l’arrière tandis que ce dernier range nos bagages dans le coffre. Nous sommes un peu à l’étroit, surtout Sam. Pour une fois que ma petite taille est un avantage. Heureusement, le chauffage est allumé, c’est agréable. Le chauffeur démarre et nous nous en allons, en route vers notre destination.

Tandis que Sam discute avec le chauffeur, je m’égare dans mes pensées, contemplant sans le voir le paysage qui défile sous mes yeux. Je suis tellement contente de passer les vacances avec Sam ! C’est ma meilleure amie, c’était inenvisageable qu’on ne parte pas ensemble. Je crois que c’est notre amour réciproque pour Noël qui nous a rapprochées lorsqu’on s’est rencontrées. Et pourtant, on ne pourrait pas être plus différentes l’une de l’autre. Sam incarne la fille que j’ai toujours voulu être : intelligente, drôle et sociable. Et elle est sacrément belle avec ses longs cheveux roux, ses yeux vert jade et ses taches de rousseur qui s’illuminent au soleil. La seule chose que j’aime chez moi, ce sont mes yeux vairons. Mes parents me répètent sans cesse que c’est un atout qui me rend unique et dont je dois être fière. Et je le suis, d’autant plus que ma grand-mère maternelle les a aussi. Ça me rend heureuse de savoir qu’on partage quelque chose en commun.

Perdue dans mes pensées, je ne remarque pas tout de suite que le taxi s’est arrêté. Sam me donne un coup de coude, ce qui me fait sursauter. Je jette un coup d'œil à travers la vitre et constate que nous nous trouvons devant un petit village dont l’entrée est barricadée par de grosses poutres en bois ornées de guirlandes et de couronnes de houx. Un panneau rouge, vert et blanc arbore une inscription aux lettres clignotantes : Twinklebrook. On y est !

Je jette un coup d'œil à Sam, qui a l’air aussi excitée que moi. Nous remercions le chauffeur et sortons du véhicule afin de récupérer nos bagages. Nous regardons le taxi s’éloigner avant de nous diriger vers le village.

— J’y crois pas, c’est exactement comme Josh nous l’a décrit ! C’est trop beau ! s’écrie Sam.

— Oui, c’est magnifique ! confirmé-je, émerveillée.

Nous attendons quelques minutes en silence. Je frissonne et frotte mes mains l’une contre l’autre pour les réchauffer. Un vent glacial nous souffle dans les oreilles et des flocons virevoltent dans l’air. Heureusement que j’ai pris mes gants, mon écharpe et mon bonnet… même si, en ce moment, ils ne me sont d’aucune utilité car ils se trouvent au fond de ma valise. Quelle gourde !

Sam se tourne vers moi et s’apprête à me dire quelque chose lorsqu’un homme de haute taille portant un costume vert sapin se dirige vers nous en souriant.

— Bonjour ! Bienvenue à Twinklebrook ! Je suis M. Sutherland, le maire du village, mais vous pouvez m’appeler Patrick. Vous venez pour les vacances de Noël, je suppose ?

— Oui, c’est notre ami Josh qui nous a convaincues de venir ! explique Sam.

— Josh ? Josh Anderson ?

— Oui ! Vous le connaissez ? demandé-je, surprise.

— Bien sûr ! Je connais tout le monde ici, et il vient avec sa famille tous les ans. Je me rappelle de lui quand il était encore en couches-culottes. Venez, nous allons procéder à l’attribution de votre logement !

— C’est très gentil, M. Sutherland… euh, Patrick, merci beaucoup ! dit Sam.

— Tout le plaisir est pour moi ! C’est moi qui suis chargé d’accueillir les vacanciers donc, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à venir me voir.

Sam et moi hochons la tête avant de lui emboîter le pas.

Lorsque nous entrons dans le village, je constate que Josh ne nous a pas menti. Tout est si beau que j’en ai le souffle coupé : les chalets ornés de houx et de guirlandes, les boutiques peintes en vert et en rouge, les allées bordées de LED multicolores et d’immenses sucres d’orge… Nous traversons une grande place avec en son centre un sapin géant de plusieurs mètres de haut et quelques échoppes dont s’échappe une agréable odeur de cannelle et de pain d’épice qui me met l’eau à la bouche. Patrick se dirige vers un grand bâtiment au toit pointu et à la façade blanche dont le fronton porte l’inscription : “Hôtel de ville”. Nous entrons sous les regards curieux des villageois qui semblent deviner que nous ne sommes pas d’ici. Après tout, Twinklebrook est un petit village de cinq cents habitants, ils doivent tous se connaître entre eux. J’adresse quelques sourires polis et observe la pièce dans laquelle nous nous tenons. Ce que je vois ne correspond pas vraiment à l’image que je me fais des hôtels de ville. J’ai l’impression d’être dans un coffee shop avec, d’un côté, un distributeur de boissons, et de l’autre, de gros fauteuils marron autour d’une table basse. Des affiches sur le thème de Noël sont placardées sur les murs. Je sens que je vais me plaire ici.

Patrick nous emmène vers ce qui me semble être l’accueil. Une femme aux cheveux blonds coiffés en chignon et aux lunettes carrées est assise derrière le comptoir, les yeux fixés sur son écran d’ordinateur. Quand elle s’aperçoit de notre présence, elle salue respectueusement le maire et nous sourit de toutes ses dents, à Sam et à moi.

— Maddie, je te présente… commence Patrick avant de se tourner vers nous, l’air hésitant, se rendant compte que nous ne lui avons pas décliné nos noms.

— Moi c’est Sam et elle c’est Molly !

— Chouette, de nouvelles têtes ! s’exclame Maddie. Vous venez d’où ?

— De Los Angeles.

— Oh, super ! Vous voulez boire quelque chose ?

— Euh… un chocolat chaud, s’il vous plaît, réponds-je en examinant la carte des boissons que Patrick vient de nous tendre.

— Pareil, s’il vous plaît ! dit Sam.

— Très bien ! Je vais vous chercher vos boissons. Maddie, tu peux voir avec elles pour leur logement ?

— Ce n’est pas très commun pour un maire de faire ça, remarque Sam tandis qu’il s’éloigne.

— Oui, en effet, mais c’est ce qui le rend si populaire. Ici, le maire n’a pas les mêmes prérogatives que dans les grandes villes. Il est très proche des habitants et s’investit pleinement dans la vie du village. C’est lui qui est chargé d’organiser les activités de Noël, d’accueillir les touristes et de superviser la construction de nouveaux chalets. D’ailleurs, ça me fait penser : vous souhaiteriez un chalet plutôt proche ou éloigné de la grande place ?

— Peu importe, répond Sam en me consultant du regard.

— Parfait ! Je termine votre dossier et je le transmets à Monsieur le maire. Justement, le revoilà !

— Veuillez m’excuser, le distributeur a encore fait des siennes, il faudra vraiment qu’on le remplace un de ces jours, dit-il en nous tendant deux tasses de chocolat chaud à l’odeur enivrante.

Nous le remercions chaleureusement et sortons notre porte-monnaie afin de lui payer notre dû, mais il nous interrompt d’un geste de la main.

— Ce n’est pas la peine, les boissons sont offertes aux vacanciers le jour de leur arrivée, cadeau de bienvenue. Non, non, n’insistez pas, j’y tiens vraiment, persiste-t-il en coupant court à nos protestations. Après tout, nous sommes le 1er décembre et donc le premier jour du Calendrier de l’Avent collectif.

— Le “Calendrier de l’Avent collectif” ? répété-je, intriguée.

— Une tradition du village. Chaque jour, du 1er au 24 décembre, nous offrons un cadeau aux vacanciers pour leur souhaiter la bienvenue.

— Oh mais c’est une super idée, ça ! s’exclame Sam. Quel genre de cadeau ?

— Tout et n’importe quoi : des gâteaux faits maison, des produits locaux, des bons de réduction pour les marchés et les foires… Vous avez l’embarras du choix.

— C’est très généreux de votre part, déclaré-je en souriant.

— C’est ça l’esprit de Noël : partage, générosité et entraide ! Bon, si vous voulez bien, je vais vous conduire à votre logement. Je ne veux pas vous presser, mais j’ai quelques affaires urgentes à régler.

— On vous suit !

***

Nous suivons Patrick à travers les ruelles sinueuses de Twinklebrook, nos valises crissant sur les pavés recouverts d’une fine couche de neige. Ce village est un véritable décor de carte postale. J’entends au loin une chorale qui répète sur la grande place. Mon cœur bat un peu plus fort sous l’effet de la joie qui s’empare de moi. J’ai l’impression d’être dans un rêve éveillé. Après quelques minutes de marche, Patrick s’arrête devant un petit portail en bois vert sur lequel pend une clochette dorée. Au loin, niché entre deux sapins, se dresse notre chalet.

— Et voilà, mesdemoiselles ! dit-il avec un sourire en nous tendant une clé ornée d’un ruban rouge. Votre chalet ! Rien que pour vous !

Sam et moi restons figées, le souffle coupé. Le chalet est ravissant avec sa façade en bois de hêtre, son toit pointu recouvert de neige, et les deux lanternes en fer forgé qui éclairent la terrasse sur laquelle se trouvent deux fauteuils à bascule. Je me vois déjà assise dans l’un d’eux, une tasse de chocolat chaud à la main. Un bonhomme de neige souriant, près de la porte d’entrée, tient une pancarte sur laquelle on peut lire : “Bienvenue à Twinklebrook !”.

— C’est… c’est exactement comme dans les films, souffle Sam.

Je hoche la tête, incapable de parler. Patrick nous adresse un clin d'œil et, avant de s’éclipser, nous explique qu’il nous laisse découvrir l’intérieur et qu’il reviendra plus tard nous faire faire le tour du village.

Sam insère la clé dans la serrure et nous entrons, le cœur battant. Ce que nous voyons surpasse de loin nos attentes : un salon cosy et douillet éclairé par un feu qui crépite dans une cheminée en briques, un grand tapis rouge sur un parquet brun clair, une immense baie vitrée au fond et un canapé d’angle en velours gris perle qui trône au centre de la pièce. Deux tasses en porcelaine sont posées sur une table basse en bois brut, ainsi qu’un plateau garni de biscuits sablés, de sucres d’orge et de bonshommes en pain d’épice.

— Y a de la musique, écoute… chuchote Sam.

J’entends en effet une douce mélodie qui provient d’un vieux tourne-disque posé dans un coin. Une version jazz de Have Yourself a Merry Little Christmas qui me donne envie de me blottir sous un plaid sur le canapé. Nous entrons dans la cuisine, décorée dans un style rustique-chic : meubles en bois blanc, poignées en laiton, évier en céramique et petits rideaux à carreaux rouges. Un panier garni de confitures maison, de sachets de thé et de petits pots de miel est posé sur le plan de travail, près d’une carte de vœux sur laquelle est écrite : “Bienvenue à Twinklebrook !”. Je sens mes yeux se remplir de larmes. Je n’imaginais pas recevoir un accueil aussi chaleureux.

À l’étage, les deux chambres sont toutes aussi charmantes : plafonds mansardés en bois clair, lits recouverts d’épaisses couvertures en laine, lampes de chevet en forme de sapins. Dans la mienne, une fenêtre à croisillons donne sur la grande place, illuminée comme un phare au beau milieu de la mer. Sam entre dans ma chambre, son bonnet encore sur la tête.

— J’ai l’impression de rêver ! s’écrie-t-elle. C’est cent fois mieux que ce que Josh nous avait dit !

Mille fois mieux, tu veux dire ! rectifié-je en me tournant vers elle, le sourire aux lèvres.

— Et on est là pour trois semaines, tu te rends compte !

Je contemple longuement le ciel et pousse un profond soupir.

— Trois semaines, oui… On a intérêt à bien en profiter !

***

Une fois nos valises rangées, nous nous sommes blotties sur le canapé et emmitouflées sous un grand plaid rouge. Nos tasses de chocolat chaud sont posées sur la table basse, près de l’assortiment de biscuits auquel nous faisons honneur. Je croque dans un sablé en forme d’étoile et soupire de plaisir.

— C’est officiel, je veux vivre ici pour toujours ! déclaré-je, la bouche pleine.

Sam rit, calée contre l’accoudoir, ses jambes repliées sous elle.

— On est là depuis même pas deux heures, Molly.

— Et alors ? Je suis aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau !

Elle attrape un bonhomme en pain d’épice et l’observe un instant avant de lui croquer la tête.

— Bon, maintenant qu’on est enfin tranquilles, faut qu’on parle planning. Si on veut vivre les meilleures vacances de Noël de notre vie, va falloir optimiser notre emploi du temps comme des pros !

Je hoche la tête, l’air solennel.

— D’accord, cheffe ! Tu proposes quoi ?

Elle attrape son téléphone, ouvre l’application “Notes” et sélectionne une liste qu’elle a probablement créée bien avant notre départ.

— Alors, demain matin : visite guidée.

— OK, je suis partante ! Et l’après-midi ?

— Visite de la fabrique de biscuits de Mme Clarkson. Josh m’a dit qu’elle donne des cours de pâtisserie depuis qu’elle a gagné un concours régional avec ses sablés à la noisette, il y a quelques années.

— Super, ça me plaît bien tout ça ! m’exclamé-je en m’enfouissant un peu plus sous le plaid. Et après-demain ?

— Projection en plein air de The Holiday sur la grande place, le soir. Le matin, y a un truc de Secret Santa mais je sais pas ce que c’est. Et un atelier de fabrication de flocons de neige en papier aussi.

— Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de ce village.

Sam sourit, puis son regard se perd dans les flammes dansantes de la cheminée. Un silence s’installe que je finis par briser au bout de quelques instants :

— Tu crois que c’est possible qu’on… qu’on rencontre quelqu’un ?

Elle tourne la tête vers moi, l’air songeur.

— J’en sais rien, mais j’aimerais tellement. Genre… un vrai coup de foudre. Un gars gentil, drôle, pas parfait mais sincère. Avec qui tout serait simple. Évident.

— Ouais… Quelqu’un qui te regarde comme si t’étais la perfection incarnée. Pas parce que t’as fait quelque chose d’extraordinaire, mais juste parce que t’es toi.

— Exactement ! s’exclame-t-elle. Je sais que ça peut paraître cliché mais… j’en ai marre des aventures sans lendemain qui ne mènent nulle part. J’ai envie d’une vraie belle histoire !

— Tu crois qu’il existe, le gars qui va te faire danser sous la neige avant de t’embrasser sous une branche de gui ?

Sam éclate de rire.

— Il doit sûrement se cacher alors !

Je me mets à rire moi aussi.

Quelqu’un toque à la porte, ce qui nous fait sursauter. Avant même qu’on ait le temps de bouger, elle s’ouvre sur Patrick, impeccable dans son costume vert, les joues rosies par le froid.

— Je ne vous dérange pas, j’espère ? Je venais voir s’il vous restait assez d’énergie pour une visite expresse du village. Ça ne prendra pas plus d’une demi-heure, promis !

— Vous tombez bien, j’étais à deux doigts de manger un coussin tellement je m’ennuyais ! plaisante Sam en repoussant le plaid.

Je me lève et lui emboîte le pas, un peu déçue de quitter notre cocon mais curieuse de découvrir les secrets que recèle ce village féérique.

— Allons-y ! dis-je. On ne va quand même pas dire non à un guide privé !

Patrick sourit, visiblement ravi.

— Excellent choix, mesdemoiselles. Préparez-vous, Twinklebrook n’a pas fini de vous surprendre !

***

Lorsque nous rentrons au chalet, la nuit est déjà tombée. De légers flocons virevoltent dans l’air et les guirlandes lumineuses accrochées aux toits des maisons scintillent doucement comme des lucioles. Le froid nous glace le sang, mais nos coeurs sont ravis par la petite visite de Patrick. Il nous a montré les coins les plus charmants du village : la boulangerie, l’atelier de fabrication de bougies, la boutique d’objets anciens, et même la serre où sont cultivées les plantes de Noël. C’était fascinant, j’ai hâte d’en découvrir plus demain lors de la visite guidée.

Une fois à l’intérieur, la chaleur du feu dans la cheminée nous enveloppe aussitôt. Sa lumière douce éclaire le salon d’une lueur orangée, projetant des ombres dansantes sur les murs. Nous retirons nos manteaux et nos bottes couvertes de neige avant de nous écrouler sur le canapé, épuisées.

— On se croirait dans un film, souffle Sam en serrant un coussin contre elle.

— Oui, je confirme, répliqué-je en hochant la tête.

Elle éclate de rire puis se redresse d’un coup, la mine sérieuse.

— Bon, pas question d’arriver en retard au feu de camp ! Je sais que Patrick a dit que personne n’arrive jamais à l’heure, mais quand même ! Allez, on va se changer !

Nous montons à l’étage, le bruit de nos pas étouffé par la moquette verte recouvrant les escaliers. J’enfile un pull rouge avec des flocons brodés et un jean noir bien épais. Sam, elle, opte pour son pull préféré, celui avec des pingouins qui font du patin à glace, et une écharpe assortie à ses yeux. Nous enfilons nos manteaux, bonnets et gants, et prenons chacune une couverture avant de partir.

Dix minutes plus tard, nous rejoignons la grande place qui a été aménagée pour l’occasion. Un immense brasero crépite au centre, à une distance raisonnable du sapin, entouré de bancs et de rondins recouverts de coussins. Des guirlandes lumineuses sont suspendues entre les lampadaires qui scintillent dans le noir. L’ambiance est joyeuse et animée : les gens discutent et rient. Des villageois circulent parmi la foule et distribuent des tasses de chocolat chaud, des gaufres, des bretzels et des petits pains encore tièdes. Des enfants courent dans la neige en riant. Un chant de Noël résonne dans l’air, interprété par une chorale sous une tonnelle.

— Par ici, les filles ! s’écrie Maddie, assise près du feu, un bonnet à pompon sur la tête et un gobelet dans les mains.

Nous nous installons à côté d’elle. Un homme à l’air jovial et aux joues rouges nous tend deux gobelets de cidre chaud parfumé à la cannelle et une assiette remplie de mini-brioches.

— C’est de la part du boulanger. Il y a des guimauves là-bas, si vous voulez, dit-il en désignant une grande table.

Sam et moi échangeons un regard complice. On est au paradis.

— Alors les filles, vous êtes là pour combien de temps ? nous demande une dame aux cheveux blancs, emmitouflée dans un manteau en fausse fourrure rose.

— Trois semaines, répond Sam. C’est notre premier Noël loin de chez nous.

— Oh, alors il faut que ce soit un Noël inoubliable, dans ce cas ! dit-elle avec un clin d'œil.

— Trois semaines ? Dites-donc, vous en avez de la chance ! remarque un homme avec un bonnet vert. Vous êtes étudiantes ? Je ne savais pas que les facs accordaient autant de congés maintenant.

Je souris et échange un regard amusé avec Sam.

— Non, on n’est plus à la fac, réponds-je en me réchauffant les mains au-dessus du feu. Sinon, on n’aurait jamais pu partir aussi longtemps.

— Moi, j’ai commencé à bosser cette année, ajoute Sam. En tant que rédactrice dans un petit magazine people, Circus.

“Circus” ? Je crois que ma nièce m’en a déjà parlé ! s’exclame une jeune femme. À propos d’un scandale avec un présentateur télé, si je m’en souviens bien ?

— Oui, c’est ça ! C’était mon tout premier article, d’ailleurs.

Des rires fusent. Le feu crépite, projetant de petites étincelles vers le ciel étoilé.

— Et toi ? demande la dame au manteau rose en se tournant vers moi. Tu fais quoi dans la vie ?

Je sens mes joues rosir, un peu gênée.

— Je suis une formation à distance pour devenir écrivaine.

Un petit silence s’installe, puis les visages autour de moi s’illuminent.

— Oh, c’est merveilleux !

— Oui, c’est super !

— T’as déjà écrit des livres ?

— Non, j’ai quelques idées en tête, rien de plus.

— Tu veux écrire quoi exactement ? Des romances ? Des polars ?

— Des romances. J’adore ça, ça me fait rêver.

Plusieurs personnes acquiescent. Un vieux monsieur moustachu se tourne vers moi en souriant.

— Tu as bien raison, jeune fille, c’est exactement ce qu’il nous faut dans ce monde : des histoires qui nous font rêver. C’est très important.

Sam me lance un regard complice et je lui souris. La neige tombe doucement autour de nous, recouvrant peu à peu les bancs et les lampadaires. La chorale entame au loin un nouveau chant et quelqu’un se met à jouer de l’harmonica.

Petit à petit, tout le monde prend place autour du feu. Les rires s’éteignent, les conversations cessent. Patrick se lève, une tasse à la main.

— Mes chers amis, permettez-moi de souhaiter la bienvenue à nos vacanciers venus passer les fêtes de Noël dans notre humble village. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous. Comme le veut la tradition, ce soir, pour célébrer votre arrivée, nous allons vous offrir ce que Twinklebrook a de plus précieux : ses contes de Noël !

Des applaudissements retentissent et une vieille dame en manteau violet se lève. Elle porte des lunettes à monture dorée et tient dans ses mains un carnet en cuir écorné.

— Je m’appelle Hazel et je suis la conteuse officielle du village depuis aussi longtemps que mes genoux s’en souviennent, dit-elle en s’asseyant près du feu. Ce soir, je vais vous raconter plusieurs histoires, dont celle du “Renard Givré”.

Dès qu’elle commence à parler, le silence devient total. Sa voix est douce, envoûtante. Elle parle d’un renard qui veille sur le village durant les nuits les plus froides et de vœux qu’il accorde à ceux qui croient en la magie de Noël. Autour de moi, le temps semble suspendu. Sam me serre discrètement la main sous son plaid.

Quand Hazel termine sa dernière histoire, il est déjà tard. Les enfants baillent et les gens se lèvent. Sam et moi saluons Maddie et remercions Hazel avant de reprendre le chemin du chalet dans le silence feutré de la nuit.

— Tu crois que le “Renard Givré” existe pour de vrai ? Et qu’il exauce n’importe quel vœu ? chuchote Sam.

Je lève les yeux vers le ciel étoilé.

— Je ne sais pas, mais j’ai bien envie d’y croire.

L’espace d’un instant, dans ce petit village tout droit sorti d’un conte de fées, tout me semble possible.

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