Chapitre 2 : un ami imaginaire 

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La petite famille, à peine installée dans leur nouvelle maison, se mit à rechercher deux lits confortables pour s’y reposer.

Mère et fille étaient donc parties en direction de l’extrême centre de Cork, leur ville d’accueil. Alors qu’Izïa se baladait avec sa fille dans les bras, la jeune Gaïana était étonnamment agitée.

— Quelque chose ne va pas ma chérie ? demanda Izïa inquiète.

— Maman, maman, maman ! Je veux marcher ! Je veux faire comme le cerf ! lui répondit Gaïana, hyperactive comme elle ne l’a jamais été.

— Marcher ? D’accord, essayons !

Alors que la mère tenait sa fille par les bras, Gaïana arrivait à marcher de cette manière sur les pavés de la ville médiévale. Entourée de vieilles maisons en pierre aux toits noirs, le paysage de cette ville irlandaise avait, aux yeux de la petite Gaïana, un air de Bretagne.

Son esprit occupé par le cerf, elle ne se rendit pas compte que sa mère lui avait lâchée les mains et qu’elle arrivait désormais à marcher toute seule. La maman, pour qui ce souvenir ne quittera sa mémoire pour rien au monde, était bouche bée, de l’indifférence de sa fille qui effectuait ses premiers pas.

Sa mère, partagée entre curiosité et légère inquiétude, essaya d’en savoir un peu plus, au sujet de son ami cornu.

— Dis-moi jeune fille, comment s’appelle ce cerf que tu aimes tant depuis notre arrivée ?

— Je ne sais pas maman, il ne me l’a pas dit. Il passe son temps à me faire des blagues et à me raconter des histoires, surtout depuis que nous sommes ici, répondit Gaïana amusée.

— Des blagues, quel genre de blague pour que tu sois aussi amusée ? Je ne t’ai jamais vue aussi joyeuse et énergique auparavant !

— Il arrive devant moi, il part et il revient, et des fois, il s’amuse à me faire peur par surprise. Des fois, il fait des grimaces pour me faire rire et me remonte le moral, lorsque je pense à papa. Dis maman, on peut avoir un cerf à la maison ?

La maman, trop occupée à tenter de raisonner sa fille sur cette histoire de cerf domestique, ne se préoccupait pas, pour le moment, de cet ami imaginaire, aussi mystérieux qu’amusant pour sa fille. En revanche, elle sentait bien que son mari, père de Gaïana, manquait à sa fille, qui ignorait tout de la nature de sa disparition.

Arrivées devant une literie ancienne, la mère et la fille décident d’entrer, avec le peu d’argent que la jeune réfugiée possédait.

Alors qu’elles faisaient le tour de la petite boutique, un article attirait l’attention de Gaïana.

— Maman, maman, as-tu vu ce lit, il a l’air trop confortable ! On peut l’acheter s’il te plaît ? demanda la jeune fille avec insistance, toute contente à l'idée d'avoir un nouveau lit.

— Ce lit est un lit du Moyen Âge. Il est grand et construit avec un bois des plus robustes, dit le vendeur en irlandais, qui ne sera pas compris, par la petite famille.

— Oui, mais ce que je vois surtout, c’est le prix exorbitant, jeune fille, répondit Izïa à Gaïana d’une voix douce et bienveillante, tout en ignorant ce qu'avait dit le vendeur.

Après avoir fait attentivement le tour du magasin, un des articles attira son attention.

Regarde plutôt celui-ci, il est moins beau et moins ancien, mais il coûte deux fois moins cher, ajoutait-elle

Le vendeur, qui n’avait pas perdu son sourire, était prêt à lui vendre un de ses articles les plus récents.

Gaïana, d’un air déçu, accepta de prendre celui-ci.

Sa mère de son côté pris exactement le même, comme ça, il n’y aura aucune injustice. se dit-elle intérieurement.

Alors qu’elle s’apprêtait à payer le vendeur, elle se souvint qu’elle ne parlait pas un mot d’irlandais.

Le vendeur, qui réagissait à chaque fois qu’elle parlait breton, n’avait pourtant pas l’air de le parler.

Essayant de communiquer tant bien que mal avec quelques mots de la langue locale, elle arrive à se faire comprendre et à payer avec la monnaie, qu’elle avait réussi à faire échanger dans une boutique sur le chemin.

Le vendeur qui avait les yeux éblouis de la beauté d’Izïa, se mit sans même un mot à porter un lit, alors que la sorcière aux cheveux noirs qui était dotée d'une grande force en portait un autre. Izïa, sur le moment, comprenait que ce jeune homme à la peau mâte, brun aux yeux verts, l’aidait pour lui faire du charme.

Sur la route vers la maison, des grandes rues pavées se dessinaient aux deux nouvelles arrivantes. En cette journée ensoleillée, l'atmosphère était silencieuse. Le vendeur, qui portait un des lits, et Izïa, qui continuait sa route bien qu'à bout de force, portait le lit à bout de bras, et sa fille sur ces épaules.

Gaïana, à qui son père manquait, demanda de sa voix de petite-fille :

— C’est mon nouveau papa ? On dirait qu’il t’aime. C’est beau l’amour !

Sa mère, quelque-peu gênée par le regard insistant du galant vendeur, prit du temps à répondre.

— Tu sais ma fille, après ce que maman a vu de ses propres yeux, ce n’est pas un charmant vendeur qui me rendra la vie heureuse que j’avais. Encore moins l’amour que te portait ton père. Comprends-tu ? demanda sa mère d’une voix tremblante de chagrin.

Après cela, le vendeur qui ne prononça aucun mot sur la route vers la maison avait cette fois-ci laissé tomber son grand sourire, mais continuait silencieusement d’aider Izïa à porter son lit.

Arrivé devant la porte de la maison, le vendeur repartit sur le champ, sans même un mot ou un regard.

Avait-il compris ce que la mère et sa fille avaient dit sur le chemin ?

Après avoir porté les lits jusqu’à leurs chambres respectives, ils étaient enfin prêts à être utilisés en cette heure tardive. Après cette rude et épuisante journée, Izïa et Gaïana n’attendaient pas une minute pour pouvoir se reposer. Izïa, alors allongée dans son lit, se dit à voix basse qu’après cette longue et dure journée, le lendemain ne pourrait qu’être plus léger…

Après une douce nuit de sommeil, Izïa, qui allait réveiller sa fille, l’entendit rire toute seule. En entrant dans sa chambre, elle était endormie.

Décidant de la réveiller, Gaïana avait quelque chose à lui annoncer.

— Maman, tu ne devineras pas ! Je sais comment s’appelle le grand cerf rigolo, dit la petite-fille déjà en pleine forme

— Oui, dis-moi tout ? Comment s’appelle-t-il ? répondit sa mère, encore sous le coup de la journée d’hier.

— Cernunnos, il s’appelle Cernunnos !

Sa mère, qui était une sorcière, connaissait bien Le Grand Dieu Cornu. Très étonnée qu’elle connaisse déjà à son âge le nom de Cernunnos, elle lui demanda si c’était parce que maman lui en avait parlé ? Ce à quoi elle répondit :

Non maman, jamais, mais lui m’a parlé de toi, ma mère, il m’a dit que tu étais la Grande Déesse. C’est vrai que tu es la Grande Déesse ?

Sa mère, dans l’incompréhension de ce qu’il se passait devant elle, décida de réfléchir.

Peut-être est-ce son imagination qui débordait ? Après tout, c’est normal à son âge. Mais, comment ? Comment connaît-elle tout ça ? Je ne l’ai jamais emmenée dans un rituel…

Izïa, ruminant sans cesse les mêmes questions pendant une vingtaine de minutes, décida d’en avoir le cœur net.

Sa fille, encore dans sa chambre à parler avec son ami prétendument imaginaire, lui dit :

— Chérie, nous avons urgemment besoin de réponses, je t’emmène avec moi. Tu vas effectuer ton premier rituel.

Izïa, anxieuse, se mettait à agir sous le coup de l’émotion. La jeune maman, inquiète, avait en tête comme priorité de trouver un lac où elles pourraient être seules. Cette condition était indispensable afin de pouvoir communiquer en paix avec les divinités et de ne pas être déconcentrée. Sur le chemin, elle marchait vite, au point que sa fille lui demandait de ralentir, sans succès. Alors arrivées au lac le plus proche, elles avaient la chance d’être entièrement seules. Pas une personne à l’horizon. La grande mage était rassurée et se mit à sortir son matériel, prête à effectuer son rituel, pour avoir des réponses au sujet de ce mystérieux ami imaginaire.

Préparant très vite la cérémonie, Izïa et Gaïana se mirent d’accord sur les incantations à prononcer.

Il y avait sur l’autel monté pour la cérémonie, une bougie jaune à droite, pour le Grand Dieu, une bougie grise à gauche, pour la Grande Déesse, et au milieu une bougie bleue, signifiant qu’elles cherchaient une réponse.

Au milieu d’un cercle d’énergie de couleur blanche, qu’elles avaient tracée à l’aide d’une baguette de noisetier, elles commencèrent à réciter les incantations.

« Grande Déesse, astre de Lune, soit bénie de ta présence parmi nous. Éclaire nos chemins, menant vers notre réponse.

Grand Dieu, soit béni de ta présence parmi nous, que ta puissance et ta chaleur, nous guide vers notre réponse. »

Après avoir récité les incantations, toutes les bougies s'éteignirent.

Gaïana entendit son ami imaginaire lui dire qu’il s’était déplacé dans son monde.

— Où ça ? Où es-tu ? demanda la petite fille à son ami.

Quand en tournant les yeux, elle vit sa mère, les yeux prêts à sortir de leurs orbites. Quand elle tourna la tête vers la direction du regard d’Izïa, elle le vit.

Son cerf, son ami, son grand et majestueux ami, qui n’était en fin de compte, pas si imaginaire.

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