Dire adieu

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[TW mort, enterrement]

Zahid

Je sens mon cœur chuter dans ma poitrine alors que la première poignée de terre tombe sur le cercueil. J’ai une boule dans la gorge ; elle protestait souvent contre l’obligation de mettre le corps dans un cercueil, à l’occidentale. Mais ses dernières volontés importaient peu face à la loi.

J’aimerais pleurer, mais à cet instant, j’en suis incapable. J’ai les yeux secs comme un désert et les tripes nouées ; un vertige me monte à la tête, brouillant mes pensées, aiguisant mes sens. Les sanglots épars émanant de la foule blanche sonnent comme la chute d’une cascade ; chaque pelletée de terre lâchée sur le cercueil résonne comme un coup de tonnerre dans l’atmosphère pesante de cette fin d’après-midi. Même les oiseaux semblent faire silence.

Au fond, c’est toujours la même question : m’aurait-elle toujours aimé si elle m’avait connu ? Si au lieu du petit-fils dévoué, elle avait vu une personne agenre ; au lieu de sa belle-fille, une femme trans ; si elle m’avait écouté chanter mes tripes sur une scène, la rage nouant ma gorge en un cri rauque et bestial ?

C’était fini maintenant. Plus jamais je n’aurais l’occasion de lui présenter le Zahid épanoui, queer, libre ; de lui montrer ma seconde famille, les membres de trans’lucides, le pédés, les queers, les fous.

Finalement, ce n’est pas moi qui l’ai tué, comme me l’avait prédit ma mère. “Ne lui parle surtout pas de ton truc de trans, ça pourrait la tuer.” La vieillesse a suffit, et désormais, j’ail’impression d’enterrer mon secret avec le corps de ma grand-mère maternelle.

C’est dur de se sentir aimé conditionnellement. C’est dur de ne pas pouvoir offrir la vérité à sa propre famille. M’aurait-elle encore aimé ?

Ma grand-mère, celle qui me tricotait des pulls chaque Noël. Ma grand-mère, celle qui me gavait de petites friandises sucrées qu’elle faisait elle-même, celle qui me gardait pendant chaque vacances alors que mes parents travaillaient pour gagner leur croûte. Elle était au moins aussi douce que l’arôme sucré des baklavas qu’elle aimait cuisiner.

Ma grand-mère, qui s’inquiétait de l’homosexualité de ses connaissances, les considérant victime d’une maladie. Ma grand-mère, si compatissante et pourtant si pleine d’idées reçues, datées.

Selon son désir, je suis installé à l’avant pendant la cérémonie. Avec les hommes. Dans la mosquée de ville où je me rends habituellement, j’ai droit à une place intermédiaire entre les hommes et les femmes ; ici, ils sont bien plus stricts. Jamais ma non-binarité ne sera entièrement acceptée dans les milieux croyants, je savais que le cas de ma mosquée était l’exception plutôt que la règle en matière de tolérance religieuse.

J’y suis allé.e, à ces camps pour croyants, ces petites colonies de vacances spirituelles. Je savais déjà que quelque chose n’allait pas chez moi, que je n’étais pas, que je n’aimais pas comme les autres. Le voir confirmé par l’homophobie et le sexisme extrême de certains de nos animateurs avait cassé quelque chose dans l’enfant que j’étais. Un quelque chose qui encore aujourd’hui mettait une barrière entre moi et ma foi, une barrière que peu de gens ont à traverser. Ils étaient gentils, nos paroissiens ; mais de là à comprendre…

Et pourtant, je crois… encore ? A nouveau ? Avec une dévotion immense et un amour grand comme le ciel envers le Dieu qui m’a posé sur terre comme on allume une bougie. Éphémère, mais chaude et douce.

Je jette un dernier regard au cercueil qui reposait au fond du trou. Sur le couvercle en bois se superpose l’image, intense et vivante, de celle que j’ai aimée. De celle qui aurait pu m’aimer.

Je ferme les yeux et m’oblige à respirer trois fois profondément avant d’aller vers la suite de la réception, entouré du petit nombre de proches qui ont été invités. Je tente d’imprimer sur ma rétine l’image de ma grand-mère souriante avant que la vie ne se tâche de déformer ses traits et sa voix dans ma mémoire.

Les autres membres du groupe sont parti.e.s rendre visite à Sam, toujours à l'hôpital. A la fin de ma journée, quand j’ouvre mon téléphone pour me retrouver face à un message vocal laissé par Nora.. Mia aussi avait reu un message vocal de sa part.. Inquiet.e.s de ce qui pouvait pousser Nora à nous appeler alors qu’elle utilise peu son téléphone, nous ouvrons nos messages.

Immédiatement, un grand soulagement se pose sur mes épaules alors que j’expire lentement le voile d’angoisse et de tristesse qui me suivait depuis le début de l’hospitalisation de Sam et l’annonce du décès de ma grand-mère.

Il est réveillé.

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