Résister

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Zahid

TW : Vandalisme queerphobe

-Bordel de merde.

C’est la troisième fois ce mois-ci. Acharnés, les petits fafs. Debout au milieu des débris de verre de l’ancienne vitrine du café queer, Mia serre les dents, retenant des larmes d’impuissance.

Iels étaient motivés, cette fois-ci. On a l’habitude des tags insultants, des impacts sur la vitre, des menaces de morts glissées dans la boîte au lettres, mais c’était bien pire depuis que notre petit établissement avait pris en popularité dans les milieux queer. La rançon de la gloire, en quelque sorte.

Je pose une main sur l’épaule de ma partenaire. Elle tremble légèrement, elle semble plus pâle qu’à l’habitude. Les attaques répétées des petits fanatiques queerphobes commençaient à lui peser ; au vandalisme de son lieu de travail s’ajoute le stress des partiels qui approchent. C’est trop pour une personne, surtout quand on est aussi sensible que Mia.

La situation était en train de devenir critique. Nous avions besoin d’aide, et notre budget ne nous permettait pas d’assurer des réparations aussi régulières.

Des nœuds dans le ventre quand on entre dans la boutique pour évaluer les dégâts. Quelques larmes silencieuses coulent sur les joues de Mia, dont la main se crispe dans la mienne.

Le café est sans dessus-dessous. Des livres éventrés gisent au sol, dans un torrent de feuilles arrachées que le vent soulève en petits tourbillons de papier. Nous restons silencieux un moment, blottis l’un contre l’autre, cherchant du courage au sein de notre chaleur partagée.

Je ne sais pas combien de temps est passé. Deux minutes ? Une demi-heure ? Une heure ? Mia finit par se détacher de moi dans un soupir. Elle commence à ramasser les livres pour en évaluer l’état. Les coups de cutter sur les couvertures se répercutent dans notre cage thoracique comme des griffures de cœur. L’attaque était profondément intime : ce n’est pas des livres ou une vitrine qui ont été endommagés. C’était leur rapport avec nos existences queer, fols, handis, racisé.e.s ; c’était notre marginalité qui rebutait les vandales au point de tenter de nous chasser de nos espaces.

Parfois, j’ai peur pour nous. Ce n’est ni la première ni la dernière fois que nous sommes visés, harcelés, menacés. Se sentir bien avec soi-même est déjà une lutte ; se sentir bien face aux autres, c’était impossible dans beaucoup de cas.

Nous passons la journée à remettre le café en état. Au fur et à mesure que le temps passe, les habitués passent. Certains se joignent à nous pour une ou deux heures avant de repartir vaquer à leurs occupations. Dans tous les regards se partagent le choc, la crainte, mais aussi l’indignation et la colère.. Que se serait-il passé si le café avait été plein au moment de leur passage ? Si nous les avions croisés en ressortant de l’établissement ?

Je mets de la musique, et Dan va chercher des cafés et des gâteaux pour tout le monde. Les discussions, nerveuses et tendues au départ, se délient et se font plus chaleureuses au fur et à mesure que le travail avance. L’impression de faire quelque chose d’important nous motive. C’était notre acte de rébellion, notre façon de militer, de ne pas se laisser détruire.

A la fin de la journée; il n’y a plus que nous deux. Effondré.e.s sur l’un des canapé intacts, nous nous tenons la main.

-Parfois, j’ai peur pour nous, Zahid.

Mia avait sa voix des mauvais jours, à peine plus forte qu’un murmure, un peu sifflante. J’embrasse sa tempe et serre sa main dans la mienne.

-Je sais.

J’hésite un instant à continuer. Une vague d’anxiété et d’excitation me monte à la gorge alors que je reprends :

-J’ai toujours peur. Mais j’ai moins peur que quand je devais affronter ça seul. S’il arrive quelque chose de grave, je veux pouvoir être avec toi pour faire face. Je ne veux pas qu’on puisse nous séparer. Je veux pas qu’on m’empêche de venir te voir à l'hôpital parce que je ne suis pas de la famille. Je veux que l’enfant qu’on adoptera soit le nötre et pas juste l’enfant d’un de nous deux.

Je me laisse glisser de mon siège sous le regard confus de Mia. Je pose un genou à terre. Mon cœur bat la chamade et je sens des gouttes de sueur perler sur mon front.

J’avais gardé mon présent dans ma poche chaque fois que je sortais, dans l’espoir de trouver le moment parfait pour le lui offrir. Nous étions loin de ce que j’imaginais, mais nous en avions besoin.

-Je veux faire partie de ta famille, Mia, je veux qu’on me reconnaisse comme ton conjoint s’il se passe quelque chose. Est-ce que tu veux…

-OUI !

Ouf. Je souris de toutes mes dents, mais m’interrompt, soudain inquiet.

-Ça va ?

Mia pleurait toutes les larmes de son corps, tremblante. Elle hoche la tête et répond entre deux sanglots :

-C-c-c’est l’émotion.

Elle me tire contre elle pour m’embrasser et je la serrai contre moi. J’ai l’impression que mon thorax va exploser sous l’émotion quand elle enfile la bague et me sourit sous ses larmes.

Nous sommes fiancé.e.s.

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