88 - Une odieuse trahison

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Je suis déééésolée, en ce moment je n'ai plus du tout le temps de passer sur Scribay :'(

Mais je remédie à ça très bientôt !

Aegeus était amplement capable de la rattraper, mais il ne prit même pas la peine de se presser. Il se contenta de lui emboîter le pas en soupirant.

Cornélia claqua la porte de l’appartement derrière elle et la verrouilla d’une main tremblante – c’était stupide, il pourrait sans doute la fracasser d’un coup d’épaule – avant de hurler :

– Blanche ! Blanche !

D’habitude, sa sœur l’ignorait royalement quand elle était occupée. Mais cette fois-là, elle dut sentir dans sa voix rendue rauque par la peur que quelque chose n’allait pas.

– Quoi ? s’exclama-t-elle depuis sa chambre. Il se passe quoi ?

La poignée se mit à tourner dans le dos de Cornélia. Elle tressaillit, s’élança à travers le salon, dérapa dans le couloir et fit claquer la porte de sa sœur. Son pouls battait fort à ses tympans, la rendant à moitié sourde.

– On s’en va, dit-elle d’une voix sans timbre. On s’en va maintenant.

Attends, quoi ? réagit la cadette abasourdie.

L’aînée fonça dans sa chambre, attrapa son portable, récupéra son sac et son portefeuille.

– Prends des sous et ta carte d’identité. Dépêche !

– Mais tu…

– Tais-toi ! Pas le temps de parler !

Cornélia entendait Aegeus jurer à l’extérieur. Il se mit à secouer la poignée, puis à peser sur le chambranle. La terreur l’électrisa toute entière.

– Grouille, grouille ! se mit-elle à hurler. Dépêche-toi ! Aegeus veut nous tuer ! On se barre ! On se barre d’ici !

Elle ouvrit la fenêtre de sa chambre, jeta un œil sur la pelouse de l’immeuble – une chance qu’elles habitent au rez-de-chaussée – puis se retourna pour fustiger Blanche de plus belle.

Trop tard.

La porte venait d’être dégondée par un poids énorme, celui d’Aegeus qui s’était jeté dessus. Un grand vacarme s’ensuivit lorsqu’elle valdingua contre le mur. Les yeux écarquillés, Cornélia fonça vers Blanche et l’agrippa par le poignet. Elles coururent vers la fenêtre ouverte.

On rentre chez nous, se répétait l’aînée. On prend le premier train et on rentre chez papa et maman… et plus jamais on ne…

– Cornélia ! glapit sa petite sœur. On oublie Greg ! Et Pouet !

Blanche freina des quatre fers, puis se retourna un instant pour chercher leurs compagnons du regard.

Et ce qui devait arriver arriva.

Aegeus leur coupa la route vers la fenêtre, obstruant toute issue devant Cornélia. Comme un coup de poing dans le ventre, elle se rappela soudain à quel point il était grand. Il la surplombait elle, la grande perche, de presque vingt centimètres. Et sa largeur d’épaules n’avait rien à voir avec la sienne.

– Les filles, maugréa-t-il. Je suis désolé, ok ? Je vous aime bien. (Ses yeux de cristal se fichèrent dans ceux de Cornélia.) J’ai bien perdu une heure de ma vie à vous sauver les miches l’autre fois, ça me dégoûte de vous faire ça maintenant. Mais des fois…

Il tendit une main vers le bras de Cornélia.

– … on ne peut pas faire autrement. Vos fantômes iront se plaindre à Aaron.

Comme quand la jeune femme s’était tenue sur le toit avec les archanges, l’adrénaline la submergea toute entière et la survie pure prit le dessus. Elle esquiva gauchement une première fois, puis une deuxième, et recula d’un bond. Elle ne pensait plus. Il n’y avait plus rien à penser.

Elle était coincée.

Tétanisée, Blanche fixa l’homme qui était sur le point d’attraper sa sœur, puis Aaron qui se tenait appuyé contre la porte d’entrée à moitié défoncée. Il gardait la tête baissée. Elle ne pouvait voir ses yeux, cachés dans l’ombre de ses arcades sourcilières.

Impossible, pensa la cadette. Ses pensées fusaient dans tous les sens, essayant de trouver un sens à ce qu’elle voyait. Quelle mouche les pique ? Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qui se passe ?

Puis tout s’assembla dans sa tête et elle comprit enfin.

– Attends, Aeg ! hurla-t-elle.

Il lui lança un coup d’œil. Le cœur de Blanche remonta brusquement dans sa gorge quand elle vit sa grande sœur entre ses griffes. Il avait saisi son épaisse chevelure bouclée dans une main pour l’empêcher de fuir, et de l’autre, il tenait un couteau tout près de sa gorge. D’où venait la lame ? Elle était sortie de nulle part, comme s’il l’avait cachée dans sa manche, et lançait des éclats blancs contre la peau de Cornélia. Celle-ci ne bougeait plus. On aurait dit une statue. Un lapin entre les mâchoires du renard. Elle fixait sa sœur, le teint blafard, et ses yeux vomissaient un torrent d’émotions.

Terreur, panique, angoisse pour Blanche… et trahison. Une odieuse trahison.

Trahie par celui qui l’avait rassurée quand le chien d’Actéon avait failli les piéger, par celui qui l’avait bordée sur ce stupide canapé un soir ou elle avait froid. Les doigts de l’homme étaient forts, rêches et brûlants. Cornélia sentait son pouls battre désespérément contre cette peau-là.

Jamais il ne s’est attaché à nous. Il nous trouvait juste comiques, comme des animaux de compagnie. De simples primates. Il a quatre ou cinq siècles… qu’est-ce qu’il en a à faire de deux microbes comme nous ?

– Tu veux nous tuer parce qu’on connaît le trajet que vous allez faire, pas vrai ? articula Blanche.

Ses poings étaient si serrés que ses ongles lui entraient dans la peau. Elle n’avait jamais été si consciente du moindre de ses mots. Aegeus tenait la vie de sa sœur entre ses mains. À l’autre bout de la pièce, Aaron releva la tête et la fixa.

– Quoi d’autre, sinon ? poursuivit la cadette d’une voix qui tirait de plus en plus dans l’aigu. Mais on peut… Aeg, on ne dira rien. On ne dira jamais rien à personne !

L’homme soupira. Elle comprit qu’en utilisant son surnom idiot – sans même faire exprès – elle avait marqué un point. Il avait dit la vérité : il n’avait pas envie de les tuer. Il y avait peut-être encore moyen de le faire changer d’avis.

– Tu comprends pas, la naine. Ne pas vouloir dire quelque chose, ça sert à rien quand on te torture.

Elle accusa le coup, chercha fiévreusement quoi répondre.

– Tu penses aux anges ? coassa Cornélia. Tu as dit qu’on ne risquait rien de leur part, comme ils ont leur…

– Ils ont leur tabou ! coupa Blanche en sursautant. Pourquoi tu fais ça, Aeg ? Ils ne peuvent pas nous faire de mal !

– Vous croyez qu’il n’y a que ces emplumés qui sont après moi ? maugréa-t-il. Actéon, Échidna, elles ont toutes les deux des moyens très efficaces de vous faire parler. Ce n’est qu’une question de jours ou d’heures avant que quelqu’un vous trouve, maintenant. Et même si ce sont les archanges qui vous chopent, s’ils vous ramènent chez eux, dans la Strate… (Ses yeux étincelèrent.) Ils ont des cages avec des zonures, dressés pour cracher leur venin sur de petites proies maigrichonnes comme vous. Ça leur évite de porter le moindre coup eux-mêmes. Qu’est-ce que vous ferez quand vous brûlerez au troisième degré ? Hein ?

Il se pencha à l’oreille de Cornélia.

– Est-ce que tu tiendras ta langue dans ces conditions, Corny ?

D’un seul coup, elle crut qu’elle allait vomir. Elle ne s’attendait pas à ça. Pas à ce foutu surnom. Pas maintenant, pas dans cette phrase.

Tu n’as pas le droit, eut-elle envie de hurler. Tu ne peux pas nous faire ça !

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