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Youhouuuu, vous sentez bientôt venir la fin, là ? (la fin du tome 1, héhéhé)

On est au 100e épisode, c'est un truc de fou :0 Merci à vous d'être encore là !

Soudain, Cornélia ne vit plus rien.

L’instant d’après, elle ne sentit plus rien non plus, comme si son corps avait cessé d’exister, comme si sa peau et ses os venaient de disparaître, laissant son esprit totalement à nu. C’était une sensation terrifiante, inhumaine. Tous ses nerfs venaient de se déconnecter et elle flottait, seule et muette, dépourvue du moindre sens, dans un gouffre noir.

Peur atroce.

Elle n’avait jamais eu peur de l’obscurité. Jamais de sa vie, jusqu’à cet instant.

Puis vint la douleur.

Ce n’était pas un élancement violent. Pas une torture insupportable comme elle l’avait imaginé. C’était une vague sourde, qui déferlait puis refluait dans le silence, et qu’elle ne ressentait pas dans son corps – puisqu’elle n’était plus qu’une conscience dépourvu d’enveloppe –, mais qui vibrait dans son esprit.

Une sensation purement psychologique, suave et visqueuse, qui lui donnait envie de hurler et de se débattre… mais elle n’avait plus ni mains ni voix.

Elle n’était plus rien.

Et puis, petit à petit, les sensations revinrent.

D’horribles sensations comme elle n’aurait jamais cru pouvoir en ressentir un jour. Pas de douleur. Pas encore. Juste cette sensation que ses os se réorganisaient, comme l’avaient fait ceux de Blanche. Elle les sentait glisser, craquer, se déformer, sans avoir aucune prise sur leurs rotations insensées, comme si elle n’était qu’un puzzle dont quelqu’un faisait lentement glisser les pièces pour les imbriquer.

Une sculpture en cours de création.

Un objet.

Après le squelette, sa chair lui revint à son tour. Cornélia eut envie de pleurer de soulagement en ressentant enfin un minuscule quelque chose à l’extérieur d’elle-même. C’était un changement impossible à nommer, réellement infime – peut-être le simple contact de l’air contre sa peau – , mais qui lui rappela qu’elle avait un corps, qu’elle était davantage qu’un simple fantôme.

Ça va aller. Ça va aller. Je suis vivante. Je suis moi. Je suis Cornélia.

Mais elle voulait que ça s’arrête. Elle aurait donné n’importe quoi pour que ça s’arrête.

Et elle fut exaucée.

D’abord, elle sentit le sol.

Le tapis.

La gravité.

Elle en suffoqua presque, écrasée par ce poids soudain. Jamais elle n’avait réalisé à quel point un corps était lourd à porter… jusqu’à ce qu’elle s’en retrouve détachée.

Ça va. Tout va bien. Respire.

Elle faillit s’étouffer au début, comme si elle avait oublié comment respirer : quand elle voulut ouvrir la bouche afin d’aspirer une grande goulée d’air, rien ne se passa. Comme si le canal censé acheminer l’air à ses poumons venait de disparaître. Paniquée, elle s’affola un instant avant d’inspirer par le nez. Un fleuve de soulagement déferla en elle avec l’oxygène.

Soit. Cette créature ne respirait pas par la bouche, mais les poumons fonctionnaient.

Poumons ok. Maintenant, fais autre chose. Bouge une main, un pied, quelque chose. Avant tout, ouvre les yeux !

Les yeux, oui. Brillante idée.

Elle cilla. Un halo de lumière parvint à son cerveau, lui permettant de distinguer vaguement le tapis rouge, brodé d’or, devant son nez. Tout était flou, si flou ! Elle eut l’impression de voir à travers un kaléidoscope : les couleurs, les formes, tout avait changé. Surtout les couleurs. Elle n’avait jamais vu de telles nuances de rouge, qui se chevauchaient sur les fibres du tapis en formant un somptueux camaïeu. Lorsqu’elle leva les pupilles, un brusque mal de crâne la saisit à cause de ce mouvement minuscule. Lentement, ses nouveaux yeux s’accoutumèrent. Tout était si coloré ! Si mouvant. Du buffet en chêne massif aux lambris sur le mur, rien n’était stable ; la moindre ligne tremblotait et s’enfuyait vers la lisière de son champ de vision. Cornélia papillonna des paupières, espérant aider sa cervelle à mieux appréhender toutes ces nouveautés. Cette simple vision l’épuisait. Une seule portion de mur, et elle était déjà sur le point de tomber dans les pommes !

Aegeus occulta soudain son champ visuel. Les écailles dispersées sur sa peau brillaient fort sous la lumière du lustre, telles des étoiles blanches, si fort que le mal de tête de Cornélia s’intensifia. Quand il se pencha vers elle, des dizaines d’odeurs se ruèrent dans ses narines – naseaux ? –, si complexes et si prégnantes qu’elles formaient comme une partition de senteurs. Incapable de les comprendre ni de les démêler, son esprit passa de l’une à l’autre en un éclair, s’acharnant sur chacune d’elles pour tenter de les décrypter. L’effort se révéla si violent qu’elle crut disjoncter.

Ça suffit ! hurla-t-elle dans ses pensées éclatées en mille morceaux. Il faut que ça s’arrête ! Lève-toi et reprends-toi !

Aegeus tendit les paumes de ses mains vers elle, mais au moment où elle comprit qu’il lui demandait de rester couchée, il était trop tard. Elle venait de se mettre debout.

Sur ses quatre pattes.

D’abord, elle ne comprit pas. Instable sur son nouvel équilibre, elle se contenta d’observer les longues griffes qui transperçaient le tapis – aussi pâles et brillantes que l’ivoire – puis les phalanges, avant de remonter un peu le long du bras.

Elle pouvait voir le plancher à travers.

La peau, les muscles, tout était translucide, laissant voir les os de cette patte élancée. Ils étaient les seules pièces opaques de cette sinistre œuvre d’art. On aurait dit une architecture complexe, mise à nu dans un écrin de verre. Dans la chair transparente scintillaient des centaines de points lumineux, regroupés en tracés asymétriques, qui ressemblaient à s’y méprendre à des constellations.

Cornélia crut même voir une voie lactée, mais cela devait être son imagination.

C’était forcément son imagination.

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