Chapitre 1 la hantise

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Alexandre Vasseur n’était plus vraiment sobre. Depuis le départ de sa femme, ses soirées s’étaient réduites à un fauteuil élimé, une bouteille de whisky et un silence trop lourd. Elle était partie sans éclat, lasse de l’attendre, lasse de le voir sombrer dans cette affaire qui l’avait brisé : la disparition de Claire, une fillette de huit ans, volatilisée lors d’une sortie scolaire.

Il avait promis de rentrer tôt. Il promettait toujours. Mais les nuits s’étiraient dans les archives, les photos floues, les interrogatoires sans issue. Trois jours. Il avait fallu trois jours pour retrouver le corps. Trois jours où chaque heure avait creusé un peu plus le gouffre entre vérité et justice.

Ce soir-là, dans sa brocante poussiéreuse, un verre à la main, il fixait le vide. Puis un bruit sec. Léger. Presque timide. Quelque chose venait de glisser sous la porte.

Un papier.

Pas d’enveloppe. Pas de timbre. Juste une feuille pliée, jaunie, comme arrachée au passé.

Il se leva lentement, l’alcool ralentissant ses gestes. Le papier était rugueux, presque friable. Une odeur de renfermé s’en échappait, comme un souffle venu d’un grenier oublié. Il déplia la feuille.

Une écriture fine, penchée, ancienne.

« Le jeu recommence. Cette fois, ouvre les yeux.
Tu sais où chercher. Tu sais ce que tu as vu. »

Scotchée au papier : une pièce de monnaie. Identique à celle retrouvée sur la langue de Claire.

Le souffle d’Alexandre se coupa. La pièce tremblait à peine dans sa main. Mais ce n’était pas elle qui lui glaçait le dos.

Une voix s’éleva. Douce. Frêle. Trop proche.

— Tu vois… il recommence.

Il se retourna. Lentement. Dans l’ombre, une silhouette floue s’avançait. Silencieuse. Inhumaine.

Son cœur s’arrêta. Claire. Ou ce qu’il restait d’elle.

Elle le fixait. Ni colère. Ni pardon. Juste ce regard, figé dans l’éternité.

Tu as laissé le monstre s’endormir, murmura-t-elle. Maintenant, il s’est réveillé.

Ses jambes fléchirent. Était-ce le whisky ? La fatigue ? Ou cette vérité qui revenait le hanter ?

Le monstre… oui. Il l’avait traqué. Une ombre sans empreintes, sans traces. Mais il savait. Il avait toujours su.

Et le jour où il avait cru le tenir, tout avait disparu. Les preuves. Les scellés. Comme effacés par une main invisible. Et lui, relégué à une retraite anticipée. Sacrifié.

Qui est cet homme… souffla-t-il. Celui qui efface les preuves… les soupçons… et moi ?

Claire ne répondit pas. Elle n’était pas venue pour parler. Elle était venue pour réveiller.

Ce n’est pas dans cet état que tu pourras l’arrêter, dit-elle.

Il vacilla. Ivre de rancune. Ivre tout court.

Arrête… Tu n’es pas réelle…

Mais elle ne bougea pas. Elle était là. Présente. Inflexible.

Ailleurs, dans la ville endormie, un autre cauchemar prenait forme.

Dans l’ombre d’un parking désert, une silhouette observait la sortie d’une discothèque. Les yeux fixes. Sans cligner. Il scrutait les visages, les rires, les corps titubants.

Je sais, Maître… Je dois choisir.

Sa voix était rauque. Dévitalisée.

Puis il la vit. Une blonde. Vacillante. Elle riait, insouciante, entourée de trois garçons bruyants.

— Eh, Sylvie, tu veux qu’on te raccompagne ?

Non, j’habite tout près, bonne soirée !

Elle s’éloigna, légère. Ignorant l’ombre qui s’était détachée du mur.

Elle est à votre goût, Maître, murmura-t-il.

La réponse fut immédiate. Silencieuse. Foudroyante.

Il bondit.

Non ! hurla Claire.

Alexandre sursauta. Le verre se renversa.

Quoi ? Qui ?

Claire était là. Encore. Son regard chargé de reproches.

— C’est de ta faute. Tu aurais pu l’arrêter.

Puis elle disparut. Comme soufflée par le vent.

Alexandre resta seul. Le cœur battant. Le souffle court.

Faut que j’arrête de boire… murmura-t-il. Je deviens fou…

Mais au fond, il le savait.

Ce qu’il voyait… n’était pas tout à fait faux.

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