Chapitre 2 le contrat

4 minutes de lecture

Le matin s’était levé sans prévenir. Alexandre, vaseux, alluma la radio d’un geste mécanique. Une voix grave s’échappa des ondes :

« … disparition inquiétante de Sylvie Deschamps, 19 ans, vue pour la dernière fois à la sortie d’une discothèque du centre-ville… »

Le verre qu’il tenait glissa presque de ses doigts. Le papier. La pièce. Claire.

On sonna.

Il grogna, traîna les pieds jusqu’à la porte, prêt à envoyer promener le monde entier.

Un couple. Visages creusés, yeux rougis, mains tremblantes.

— Inspecteur Vasseur ? demanda la femme.

Plus inspecteur. Juste un type fatigué, répondit-il, sec.

— Nous sommes les parents de Sylvie, dit l’homme, la voix brisée.

Le nom le frappa comme une gifle. Il jeta un regard derrière eux, comme pour vérifier qu’il n’était pas dans un cauchemar.

Notre voisine… Marianne… elle est médium, dit la femme. Elle nous a dit de venir vous voir.

Alexandre s’apprêta à claquer la porte.

Sérieusement ? Une médium ? Vous vous foutez de moi ?

Mais l’homme tendit la main, presque à genoux.

On veut juste savoir si notre fille est morte.

La femme murmura, les yeux embués :

Tu sais bien que Marianne a dit qu’elle est morte.

Alexandre blêmit.

Comment avez-vous eu mon adresse ?

Un silence. Puis la femme lâcha :

C’est Claire. Elle l’a donnée à Marianne.

Le sol se déroba sous ses pieds. Claire. Encore Claire.

Entrez, dit-il finalement. Ne faites pas attention au désordre.

Ils s’installèrent dans le salon, comme des ombres. Alexandre les observa, méfiant.

Pourquoi pas la police ?

Ils parlent de fugue, dit le mari. Que notre fille est majeure. Qu’il faut attendre.

On a eu l’aide d’un député, ajouta la femme. Delajoie.

Alexandre se figea.

Delajoie ? Et c’est lui qui vous a envoyés vers… la médium ?

Oui. Marianne. Elle a dit que Claire lui avait parlé.

Un silence. Alexandre regarda la photo de Claire sur la table. Puis le papier. Puis eux.

— D’accord. Je vais la chercher. Mais après ça, je raccroche. Je veux dormir en paix.

Le mari sortit un carnet de chèques.

On tient à vous remercier…

Gardez votre argent. Je le fais parce que personne d’autre ne le fera.

Ils partirent. Alexandre resta seul. Une douche. Oui. Pour redevenir humain.

L’eau brûlante coula. Mais elle n’effaça ni la fatigue, ni les voix.

En sortant, il croisa son reflet… et un autre.

Claire. Assise sur le bureau. Les jambes croisées. Le regard perçant.

Il attrapa une serviette, paniqué.

Encore toi ? J’ai accepté. Je vais la retrouver.

Claire pencha la tête, mi-moqueuse.

Tu as accepté de chercher. Pas de comprendre. Et tu sais qu’elle est morte.

C’est la médium qui le dit. Moi je n’ai rien vu.

Claire s’approcha, silencieuse.

Elle va t’expliquer. Elle arrive. Et tu ferais mieux de t’habiller. Elle est célibataire.

Alexandre se rhabilla, grognon.

Elle va leur pomper du fric, hein ?

Claire sourit.

Non. Elle veut bosser avec toi. Vous seriez les détectives du paranormal. Et moi… l’indic chez les fantômes.

Il éclata d’un rire sec.

Rêve toujours.

La sonnette retentit. Claire se leva, souriante.

La voilà.

Tu crois qu’elle est accompagnée du fantôme de Sylvie ?

Claire pencha la tête.

Qui te dit qu’elle ne l’est pas déjà ?

Alexandre ouvrit. Une femme. Élégante. Calme.

Bonjour Alexandre, dit-elle. Je suis Marianne. Ah je vois que Claire est déjà là.

Il haussa un sourcil.

Vous la voyez ? dit-il, en désignant Claire.

Oui. Cela vous étonne ?

— C’est mon hallucination, pas la vôtre.

Claire fit une grimace.

Je suis un fantôme, pas une illusion. Tu veux que je mette un drap blanc ?

— Si j’avais su que les morts avaient autant d’humour…

Marianne entra, le regard grave.

Alexandre… on va se tutoyer. Ce que je vais te dire est difficile.

Elle inspira.

Sylvie est morte. Entourée d’un rituel maléfique. Je ne peux pas la localiser seule.

Un silence.

Ce soir, à 21h. Chez moi. Séance de spiritisme. Viens seul. Et ne parle à personne.

Alexandre hésita. Mais Marianne ajouta :

Je ne te demande pas d’y croire. Juste d’être là. Pour voir ce que nous ne comprenons pas encore.

Il la fixa. Elle ne semblait ni folle, ni exaltée. Juste… fatiguée par un savoir qu’elle ne maîtrisait pas entièrement.

Claire, toujours présente, se pencha à son oreille.

— Tu sais… ça pourrait être amusant. Tu en as vu d’autres, non ?

Alexandre baissa les yeux vers ses mains tremblantes. Il ne savait plus ce qui était vrai, ce qui était fou, ce qui était lui.

Très bien, dit-il enfin. Je viendrai. Mais je ne promets rien. Et je ne crois à rien.

Marianne hocha la tête, comme si elle s’y attendait.

C’est suffisant.

Elle se leva, prête à partir, puis s’arrêta sur le seuil.

Prépare-toi à entendre des choses que personne ne devrait entendre. Et à voir ce que même les morts cachent.

Elle referma la porte derrière elle, laissant Alexandre seul avec Claire.

Alexandre resta un moment figé devant la porte close. Le silence semblait s’être épaissi, comme si l’air lui-même retenait son souffle.

Claire s’était levée, marchant lentement dans la pièce, ses pas ne produisant aucun son.

Tu sais ce que ça signifie, dit-elle. Ce soir, tu vas ouvrir une porte. Et certaines ne se referment jamais.

Tu parles comme une prophétesse, grogna-t-il. Tu veux que je tremble ?

Non. Je veux que tu sois prêt.

Il s’assit lourdement sur le canapé, le regard perdu dans le vide.

Et toi, tu seras là ? Pendant la séance ?

Claire haussa les épaules.

Peut-être. Peut-être pas. Je ne suis pas la seule à vouloir te parler.

Alexandre frissonna. Il se leva, se dirigea vers le buffet, et sortit une bouteille à moitié pleine. Il hésita, puis la reposa.

Pas ce soir.

Claire sourit, presque fière.

— Tu commences à comprendre.

La journée s’écoula comme un rêve brisé. Alexandre tenta de lire, de marcher, de penser à autre chose. Mais chaque bruit, chaque ombre, chaque silence semblait lui rappeler que quelque chose approchait.

À 20h45, il enfila une veste, prit ses clés, et sortit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire lambeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0