chapitre 3  A la recherche de Sylvie

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Il arriva en taxi vers 20h50. La maison était belle, en retrait de la route, bordée de lilas assoupis sous la lune. Rien à voir avec la bicoque d’une sorcière, pensa-t-il en esquissant un sourire. Trop calme, trop bien entretenue… presque trop normale.

La maîtresse des lieux l’accueillit sans un mot de trop, avec une douceur presque inquiétante. Elle le guida vers une petite salle à l’arrière.

Une pièce sombre, tapissée d’objets anciens et silencieux. Au centre, une table ronde, sobre, sur laquelle brûlait une bougie unique. Sa flamme vacillait sans courant d’air, comme si elle réagissait à quelque chose qu’on ne voyait pas.

Autour du guéridon, six personnes attendaient déjà en silence. Leurs visages étaient tendus, concentrés, comme s’ils savaient que ce soir ne serait pas comme les autres.

— Nous voilà au complet, dit Marianne d’une voix posée. Prenez place. Donnez-vous la main.

Alexandre hésita, puis s’assit. Sa main gauche dans celle d’un inconnu, sa main droite dans celle de Marianne, qui le regarda en coin.

Elle ferma les yeux… et entama une litanie étrange, dans une langue ancienne que seule elle semblait comprendre.

Les syllabes roulaient comme des vagues lentes, lourdes, chargées de sens. La bougie clignota. Un froid s’installa. Le bois du guéridon craqua doucement, comme s’il s’éveillait.

La pièce était figée dans un silence de plomb. Une ombre apparut, lente, sans traits distincts, comme une fumée vivante.

Marianne se pencha légèrement vers le centre du cercle.

— C’est toi, Sylvie ?

Une voix étouffée répondit :

— Oui… mais il ne faut pas m’appeler. Il est là.

— Qui ? murmura Marianne.

Le démon qu’on ne nomme pas, dit Sylvie.

Un souffle brutal traversa la salle, éteignant la bougie d’un seul coup. L’obscurité s’imposa comme une chape glacée. L’un des participants convulsa, sa tête bascula en arrière, ses mains crispées sur le guéridon.

Puis une voix… plus grave, plus ancienne… résonna à travers lui :

— Alexandre… Tu crois pouvoir me vaincre. Mais ta souffrance, ta haine… elles me nourrissent.
— Bientôt, ton âme sera à moi. Mon fidèle serviteur me l’a promis.
— Car je suis Belial. Je ne règne pas par la peur. Je règne par le choix.

Alexandre recula, le souffle court, le cœur battant comme un tambour de guerre. Claire murmura à son oreille, presque amusée :

— Et tu disais que ce n’était qu’un théâtre de sorcière ?

La voix dans le corps possédé grondait, déformée, ancestrale.

Une légion est en marche. Ni toi, ni Marianne ne pourrez l’arrêter.
Marianne… tu m’as échappé une fois. Mais cette fois, tu seras mienne. Comme les autres.

Puis le silence. Brutal. Le corps de l’homme s’effondra, pantin vidé de sa marionnette invisible. Il respirait encore… mais le calme n’était pas un soulagement.

Marianne, figée, les traits décomposés, murmura dans un souffle :

— Non… pas lui. Belial.

Son regard était posé sur le corps étalé au sol, mais son esprit semblait ailleurs… peut-être dans une époque où une guerre dont elle ne parlait jamais avait laissé des cicatrices.

Alexandre se redressa lentement, le cœur au bord de l’explosion.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda-t-il. Et qui est ce “lui” ?

Marianne ne répondit pas. Mais Claire, assise dans l’ombre, le regard brillant, lança doucement :

— Tu viens d’ouvrir la porte, Alexandre. Et ce qu’il y a derrière… ne dort jamais.

— Tu le connais… dit Alexandre, le regard lourd.

— Oui, répondit Marianne, la voix voilée. Il est… très puissant.

Elle marqua un temps.

— Le Père Giovanni, un exorciste italien, l’a combattu il y a plus de vingt ans. Il n’a pas réussi à le vaincre… mais il a brisé le pacte qui liait une femme à lui.

Alexandre retint son souffle.

— Giovanni a réussi à l’enfermer… dans les ténèbres. Il a utilisé un sceau ancien, gravé dans une lame sacrée et protégé par une prière oubliée. C’est grâce à ce rituel que j’ai été sauvée.

Alexandre sentit son esprit tanguer. Si Marianne avait été ciblée… ce démon ne frappait pas au hasard. Il chassait. Il choisissait. Il revenait.

Il s’était levé, enfilant son manteau comme on remet une armure.

— Tout ça ne nous dit pas où est Sylvie, grogna-t-il. Demain, j’irai au 36. J’ai encore quelques amis là-bas. Des vrais flics, pas des fantômes.

Marianne acquiesça, le regard grave.

— Et moi… je vais voir mes consœurs. Certaines médiums connaissent des lieux profanés, des églises désacralisées où se déroulent des rites noirs.
— Des messes inversées, des convocations interdites.

Alexandre secoua la tête.

— Tu crois vraiment qu’ils utilisent encore des lieux sacrés ?

Marianne répondit sans hésiter :

— Le sacré est une porte. Et le profané, une trahison. C’est là que les démons aiment opérer.

Leur enquête venait de basculer dans les entrailles de la ville — là où la foi et la peur se croisent sans se saluer.

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