Chapitre 4 Le retour aux anciennes méthodes 

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Le lendemain matin, Alexandre poussa la porte des nouveaux bureaux de la Crim’. Tout était blanc, impersonnel, silencieux. Rien à voir avec les couloirs du 36 quai des Orfèvres, qu’il regrettait déjà. Ici, on sentait plus le désinfectant que la sueur des traques.

Il frappa à une porte vitrée. Une voix connue répondit :

— Entrez !

Il entra… et resta interdit. Un courant d’air froid sembla traverser la pièce, comme si elle respirait à l’envers.

Derrière le bureau, en tailleur sombre, Corinne Rousseau. Commissaire en chef désormais. Elle avait été sa lieutenante, autrefois.

Tiens tiens… un revenant, dit-elle en souriant. Que viens-tu faire ici ?

Je cherche des infos, répondit Alexandre. Sur l’affaire Sylvie Deschamps.

Corinne se pencha, l’air sérieux.

— Il n’y a pas d’affaire Deschamps. Juste une disparition. On parle de fugue. Pas de trace, pas de scène. Pas de crime déclaré. La Crim’ n’est pas dessus, Alexandre.

Il soupira.

Tu n’as pas un tuyau ? En souvenir du bon vieux temps…

Corinne le dévisagea.

Pourquoi cette affaire t’intéresse autant ?

Ses parents m’ont demandé de la retrouver. C’est… personnel.

Un silence s’installa. Puis elle se leva et ferma doucement la porte derrière elle.

— Écoute… je ne devrais pas te le dire. Mais ton ancien indic, Franck — le junkie — est passé ici. Il voulait te voir.

— Franck ?

Oui. Il était agité. Quand on lui a dit que tu ne bossais plus ici, il est parti comme une furie, en criant :

“Vous êtes tous des pourris ! Il y a une taupe parmi vous !”

Alexandre resta figé. Une taupe. Une disparition. Et maintenant, une légion.

En sortant des bureaux aseptisés de la Crim’, une seule phrase tournait en boucle dans sa tête :

Il y a une taupe parmi vous.

Comme une lame rouillée qu’on ne peut pas retirer. Et si c’était vrai ? Et si c’était ça… le chaînon manquant dans l’affaire Claire ? Les preuves disparues, les scellés brisés, les photos effacées du dossier numérique. À l’époque, il avait cru à une erreur. À un sabotage isolé. Mais peut-être que tout était lié. Peut-être que quelqu’un, de l’intérieur, avait tout fait pour que la vérité ne voie jamais le jour. Il savait où aller.

Le bar de Max. Une taverne un peu pourrie, planquée derrière un dépôt de bus à moitié abandonné. Max, vieux routier reconverti en barman philosophe, laissait traîner ses oreilles entre deux verres tièdes. Les petits malfrats du quartier y venaient pour boire, oublier ou vendre ce qu’ils n’auraient jamais dû posséder.

Et Franck… Franck traînait souvent là, cherchant une dose ou un marché. Un indic fragile, mais lucide… quand il n’était pas noyé dans sa propre brume.

En poussant la porte du bar, Alexandre fut assailli par un cocktail brutal : alcool bon marché, sueur rance, fumée de clope… et d’autres substances qu’on n’évoquait jamais à voix haute.

Les lumières étaient basses, les regards lourds. Un silence flottant, comme dans les repaires où tout le monde a quelque chose à se reprocher.

Derrière le comptoir, Max — barbe blanche tachée de nicotine, avant-bras tatoués — lançait sa rengaine habituelle :

Ici, les interdits ? Je m’assois dessus.”
Si ça te plaît pas, tu prends la porte, tu fermes ta gueule… ou sinon, Max te la ferme.”

Il ponctua sa tirade d’un crachat dans un verre vide, qu’il essuya à peine avec un torchon douteux.

Alexandre esquissa un demi-sourire. Rien n’avait changé. Et c’était peut-être ça, le pire.

Ça sent le poulet à plein nez, les gars… lâcha Max en lorgnant Alexandre par-dessus son comptoir.

Un silence brutal s’abattit sur le bar. Les verres cessèrent de glisser. Les rires se figèrent. Tous les regards se tournèrent vers lui, pesants, méfiants.

Certains clients se levèrent sans bruit, glissant vers la sortie comme des ombres. Des habitués. Des méfiants. Des gens qui n’aiment pas le bleu… même quand il est délavé.

Alexandre resta droit, calme. Puis lança d’une voix claire :

Du calme, les gars. Je suis plus de la maison poulagars. Je viens voir un ami.

L’atmosphère se détendit, doucement. Les conversations reprirent, les murmures aussi. Mais personne ne l’oubliait.

Au fond de la salle, accoudé au vieux baby-foot cassé, Franck observait partout, les yeux fuyants, nerveux. Mais dès qu’il aperçut Alexandre, son visage se transforma. Un sourire presque mystique apparut sur ses lèvres, comme s’il venait de voir le Messie descendre dans les ténèbres.

Alex’ ! Bordel… t’es là. J’savais qu’tu viendrais…

Il paraît que tu me cherches... et que t’as des infos, dit Alexandre en s’approchant.

Franck jeta un regard rapide autour de lui, puis désigna le comptoir d’un mouvement de tête.

Pas ici. Les murs ont des oreilles...

Max s’était discrètement rapproché, essuyant le même verre depuis cinq minutes avec un air bien trop attentif.

— On sort. Ça nous fera respirer, dit Alexandre.

Max haussa les épaules, l’air de dire “c’est pas mon affaire”, et retourna à ses bouteilles.

Dehors, l’air était moite, chargé de rumeurs urbaines. Mais à peine avaient-ils franchi la porte qu’un bruit de moteur surgit dans la nuit. Un rugissement de moto. Puis deux coups de feu. Secs. Tranchants.

Par réflexe, Alexandre se jeta au sol. Mais Franck n’eut pas le temps. Il s’écroula, une balle plantée en plein front, le regard déjà ailleurs.

Le tueur s’évanouit dans la circulation, sa moto glissant entre les voitures comme une ombre pressée, trop rapide, trop bien huilée.

Alexandre se releva en vitesse, tenta de lire la plaque. Trop tard. Il revint vers Franck, chercha un battement. Rien. Juste le silence d’un corps encore chaud.

Il fouilla ses poches : pas de téléphone, pas de drogue, pas d’armes. Juste une carte de visite froissée.

Marianne Lhotellier — Médium
Et derrière, griffonnée au stylo :
“Elle sait où trouver la vérité.”

Deux heures après la mort de Franck, Alexandre rentra chez lui. Il claqua la porte sans précaution, comme si elle pouvait encore l’aider à tenir debout. Son manteau était trempé. Pas par la pluie. Par la sueur, le stress, la rage.

Il n’avait rien pu faire. Trop lent. Trop tard. Le cri dans sa tête ne voulait pas se taire :

Tu as encore échoué.

Il posa son revolver sur la table, jeta son téléphone à côté, et s’affala dans son fauteuil. Face à lui, la carte de visite de Marianne.

“Elle sait où trouver la vérité.”

Il la fixa sans la toucher. Comme si elle pouvait lui brûler les doigts.

Un silence épais s’était installé dans l’appartement. Mais dans ce silence, les pensées hurlaient :
Une moto. Une balle. Une taupe. Et maintenant, un démon qui réclame des vierges et parle en langue ancienne.

Il ouvrit sa bouteille de whisky, s’en servit un doigt.

Tu deviens cinglé, Vasseur… complètement.

Et comme pour lui répondre, le guéridon grinça légèrement. Sans raison. Ou peut-être avec toutes les raisons du monde.

Claire apparut sans bruit, comme un reflet dans la brume.

Tu vois, je suis un vrai fantôme, dit-elle d’un ton moqueur. Je fais bouger les guéridons… Et je croyais que la vérité était dans le vin, pas dans le whisky bon marché.

Alexandre ne leva même pas les yeux.

Arrête. Je suis pas d’humeur.

Il prit une gorgée. Longue. Amère.

Et je suis majeur, moi. J’en ai besoin.

Claire s’approcha, son sourire teinté de reproche.

Tu veux des infos ? Va voir Marianne. Elle, au moins, elle cherche sans boire.

Alexandre ferma les yeux. Dans le silence, il entendait à nouveau les mots de Franck.

“Il y a une taupe…”
“Il est là…”

Le whisky ne tuait rien. En tout cas, pas les démons. Ni les regrets.

Alexandre jeta le reste du whisky dans l’évier, le regard vide. Son manteau trempé gisait sur une chaise, comme un vieux cadavre. Il se passa une main sur le visage, épuisé. Le fantôme de Claire, bien sûr, était encore là.

Dernière chose, dit-elle en désignant son propre front. Pour me parler, moi ou Marianne, le téléphone, c’est plus pratique. Parce que c’est pas marqué La Poste ici.

Elle fit une moue en pointant son front, comme si on avait pu y coller un timbre. Le sarcasme flotta dans l’air, léger mais acéré.

Alexandre esquissa un sourire. Fatigué, cassé… mais sincère.

Et, dans le silence étrange de son appartement, le fantôme de Franck aussi souriait.

Car certains secrets ne se taisent jamais.
Ils attendent simplement leur prochaine scène.

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