Chapitre 6 – Le sceau brisé
Le lieu était silencieux. Trop. Un ancien sanctuaire abandonné, niché entre les bois et la pierre, oublié par les vivants.
Marianne s’arrêta devant l’arche effondrée.
— C’est ici, dit-elle. Là où le sceau a été posé… et brisé.
Alexandre observa les gravures effacées sur les pierres, les symboles mutilés. Un cercle sombre brûlé dans le sol. Quelque chose avait eu lieu. Et quelque chose y avait été libéré.
— C’est là que Sylvie a été sacrifiée, murmura Marianne. Je le ressens.
Alexandre serra la croix contre lui. Elle vibrait doucement. Comme si elle reconnaissait le lieu. Comme si elle pleurait en silence.
Claire apparut à la lisière du sanctuaire.
— Ce n’est pas juste un lieu profané, dit-elle. C’est une porte. Et elle est ouverte.
Soudain, une rafale glaciale s’abattit sur eux. Le vent tourna. Le ciel sembla se tordre. Et dans le sol, un craquement se fit entendre. Comme si quelque chose voulait sortir à nouveau.
Du mur fissuré du sanctuaire, une forme translucide surgit. Ce n’était pas juste une ombre. Un spectre. Et dans ses bras, avec une lenteur morbide… le corps sans vie de Sylvie.
Alexandre recula, son cœur prêt à exploser. Le regard du spectre le cloua sur place. Ses orbites vides semblaient braquées sur lui, une accusation muette, un miroir de sa propre impuissance.
Puis la voix s’éleva, déformée, moqueuse et froide comme la pierre :
— Un cadeau… de mon maître.
— Elle ne lui est plus utile.
— Juste assez bonne pour augmenter tes remords.
— Chaque victime est une victoire pour lui… et un échec pour toi.
— Hihi.
Alexandre serra le manche de la croix-épée sans bouger. Mais le spectre se pencha, un sourire spectral déformant son visage.
— Il en faut encore cinq.
— Cinq âmes pures.
— Et puis… le duel final.
— Après ça, Alexandre…
— Game over.
Une rafale glaciale s’abattit sur le sanctuaire. Et dans les murs… on aurait juré que quelqu’un riait.
Marianne s’approcha lentement. Elle posa sa main sur celle d’Alexandre, celle qui crispait la croix devenue lumière intense.
— Ne sois pas en colère, murmura-t-elle, sa voix tremblante mais ferme.
— Ta rage le nourrit.
— Le démon s’abreuve de la haine. Elle le rend plus fort… elle le rend réel.
Alexandre la regarda, les mâchoires serrées. Il avait envie de hurler, de frapper, de courir après le spectre… Mais la croix vibrait faiblement dans sa main. Comme si elle lui soufflait :
La lumière ne se brandit pas avec violence.
Elle se porte avec foi.
Claire s’avança à son tour, les bras croisés, un sourire triste aux lèvres.
— Tu veux le vaincre ? Alors ne deviens pas ce qu’il attend.
Le silence était pesant. Il n’y avait que le murmure du vent à travers les ruines du sanctuaire.
Alexandre desserra lentement les doigts. Il ne lâchait pas l’arme. Mais il venait de lâcher quelque chose en lui.
Une voix s’éleva du sol fracturé. Pas un cri. Pas un râle. Une parole lisse, envoûtante, presque caressante :
— Oh Marianne…
— Tu aurais été une prêtresse parfaite.
— Pourquoi avoir choisi la lumière… quand l’ombre t’accueillait les bras ouverts ?
Le vent se figea. Même les feuilles semblèrent suspendre leur danse.
Marianne ferma les yeux, ses doigts tremblant légèrement sur le manche de la croix-épée.
— Reviens vers moi, murmura la voix, se glissant dans l’air comme un poison doux.
— Et je l’épargnerai.
Alexandre serra les dents, fixant Marianne. Elle ne bougeait pas. Mais une larme glissa sur sa joue. Un choix venait de s’imposer. Et il ne se résolvait pas en silence.
Claire murmura derrière eux :
— Là où le démon promet de la clémence… il prépare la plus cruelle des chaînes.
Une voix s’éleva, douce comme du velours… mais chaque mot tranchait comme une lame invisible :
— Je vais être bon joueur…
— Une sacrifiée par semaine. Le samedi. Mmmh… j’aime les clichés.
— Et sur chaque corps, un indice. Une élégante devinette vers la prochaine victime.
Silence. Puis, un rictus dans l’air. Une malice sans visage.
— Oh… j’oubliais.
— Pour manier la lumière divine…
— Il faut un cœur pur.
— Alors, Alexandre…
— Es-tu sûr que le tien l’est ?
Le silence qui suivit n’était pas du vide. C’était du jugement.
Marianne pâlit. Claire détourna les yeux. Alexandre, lui, resta figé — comme si la croix qu’il tenait s’était alourdie d’un doute.
Le corps de Sylvie se releva lentement, comme tiré par des fils invisibles. Ses gestes étaient mécaniques, sa peau pâle tirée par la mort, et ses yeux… vides mais habités.
Une voix sortit de sa bouche. Pas la sienne. Une voix d’outre-tombe, fendue d’échos anciens :
— Trouve celle… qui te pardonnera.
— Elle est la clé de ton passé…
Alexandre recula, figé. Ce n’était pas une menace. C’était une énigme. Un chant funèbre déguisé en chemin de rédemption.
La croix-épée vibra doucement dans sa main. Marianne baissa les yeux. Claire, elle, s’était figée… comme si elle connaissait la réponse depuis toujours.
Marianne s’approcha lentement.
— Elle ne parle pas seulement du pardon, Alexandre, dit-elle. Elle parle de mémoire. D’une faille en toi.
Alexandre détourna le regard.
— Tu crois que je dois retrouver une femme du passé ? Quelqu’un à qui j’ai fait du mal ?
Marianne hocha la tête.
— Peut-être… ou peut-être une femme qui détient le secret de ton père. De ton sang. De ce qui te lie au démon.
La croix-épée vibra faiblement, comme pour approuver. Et dans son esprit, une image surgit. Une lettre jamais ouverte. Une adresse oubliée. Un prénom griffonné. Elle pourrait être la clé. Ou… le dernier avertissement.
Marianne s’était éloignée du sanctuaire, le regard perdu dans les arbres. Alexandre la suivit en silence, jusqu’à ce qu’elle s’arrête, les mains tremblantes.
— Ce n’est pas la première fois que je l’entends, murmura-t-elle. Cette voix… ce ton. Il m’a déjà parlé. Il m’a déjà… séduite.
Alexandre fronça les sourcils. Claire, en retrait, s’était figée.
— Tu veux dire que tu as été… liée à lui ?
Marianne hocha lentement la tête.
— J’avais vingt ans. J’étais jeune, arrogante. Je croyais pouvoir explorer les frontières de l’invisible sans en payer le prix. J’ai participé à une cérémonie… un cercle de conjuration. On voulait “comprendre” les forces obscures. On a ouvert une porte. Et lui… il est venu.
Elle releva la manche de son bras gauche. Une cicatrice en forme de spirale inversée y était gravée, comme une brûlure ancienne.
— Il m’a marquée. Pas physiquement, mais spirituellement. Il m’a offert des visions, des pouvoirs… et une illusion de contrôle. Mais chaque nuit, il prenait un peu plus de moi. Jusqu’à ce que je ne sois plus qu’un canal pour sa volonté.
Alexandre murmura, abasourdi :
— Et comment as-tu rompu le lien ?
— Le Père Giovanni. Il m’a trouvée à moitié morte dans une crypte en Toscane. Il a utilisé le sceau, la lame, et une prière oubliée. Il m’a arrachée à lui… mais pas sans conséquences.
Elle baissa les yeux.
— Depuis, je le sens. Il me cherche. Il me parle parfois dans mes rêves. Il me veut à nouveau. Et ce soir… il m’a reconnue.
Claire s’approcha, grave.
— Il ne t’a jamais oubliée. Tu es une faille qu’il n’a jamais refermée.
Marianne releva les yeux vers Alexandre.
— C’est pour ça que je t’aide. Pas seulement pour Sylvie. Pas seulement pour ton père.
Mais parce que si je ne l’affronte pas… il reviendra. Encore.
Et cette fois, il ne me laissera pas m’échapper.
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