Chapitre 7 – La Maudite des Ombres :

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Les ruines s’effacèrent. Littéralement. Comme si le monde s’était replié sur lui-même, avalé par une brume épaisse. Le sol sous ses pieds n’était plus pierre, mais terre battue. L’air sentait la mousse, le feu de bois, et les souvenirs.

Alexandre cligna des yeux. Il n’était plus dans le sanctuaire. Il était… chez lui. Ou plutôt, dans l’écho de son village d’enfance, figé dans une lumière irréelle, comme un souvenir trop longtemps enfoui.

Et là, au bout du chemin, elle l’attendait.

Une silhouette voûtée, drapée dans un châle noir, les cheveux blancs emmêlés, les yeux brillants d’une lucidité que personne n’avait jamais voulu voir.

Il n’est pas trop tôt, Alexandre, dit-elle d’une voix rauque mais ferme.

Il la reconnut aussitôt. Mireille, la vieille folle du village. Celle qu’il avait évitée toute son enfance. Celle qui parlait aux arbres, aux pierres, aux morts. Celle qu’on appelait la Maudite.

Il voulut parler, mais aucun son ne sortit. Elle s’approcha, posant une main ridée sur son torse.

Tu portes le Souffle, garçon. Mais tu l’as bâillonné. Tu l’as nié. Et maintenant, il hurle en toi.

Elle leva les yeux vers lui, et dans ce regard, il vit toute sa vie, ses fautes, ses fuites et ses silences.

Tu veux sauver les autres ? Alors commence par te regarder en face, pas en flic, pas en fils mais en porteur.

Tu m’as toujours méprisée, Alexandre, comme les autres. Parce que je parlais seule. Parce que je sentais ce que vous refusiez de voir.
Elle leva un doigt noueux vers lui.
Mais c’est toi qui m’as appelée, pas avec ta bouche mais avec ton sang.
Il voulut répondre, mais elle le coupa d’un regard.
Tu veux la vérité ? Alors regarde.
Elle lui tendit le miroir.
Et dans le verre terni, il vit… lui-même. Enfant. Tremblant. Et derrière lui, une ombre. Une voix. Un pacte qu’il n’avait jamais compris.

Le miroir vibra dans ses mains. Pas physiquement — mais dans sa mémoire. Comme si chaque reflet réveillait une pièce oubliée de son esprit.

Il se vit, enfant, dans la cour de l’ancienne école du village. Il pleuvait. Il était seul. Les autres jouaient plus loin. Et lui… il parlait à quelqu’un. Non, pas quelqu’un à quelque chose.

Une silhouette noire, floue, accroupie à sa hauteur. Elle ne bougeait pas. Mais elle l’écoutait. Et elle lui parlait, pas avec des mots mais avec des pensées et des promesses.

“Tu es spécial, Alexandre. Tu peux voir ce que les autres ne voient pas. Tu peux entendre ce que les autres refusent d’écouter. Tu n’as pas besoin d’eux. Tu n’auras jamais besoin d’eux.”

Et l’enfant hochait la tête. Il souriait. Il acceptait.

Puis, un cri, une femme Mireille surgissait de l’ombre, brandissant un talisman, hurlant des mots anciens. L’ombre reculait. L’enfant tombait à genoux. Et tout devenait noir.

Alexandre lâcha le miroir. Il tomba au sol, haletant, le cœur battant à tout rompre.

Mireille s’agenouilla près de lui, posant une main sur son front.

Tu ne t’en souvenais pas. Mais c’est là que tout a commencé. C’est là que lui t’a vu. Et qu’il t’a choisi.

Claire, apparue dans un coin de la pièce, murmurait presque pour elle-même :

Il ne t’a jamais quitté, Alex. Il a juste attendu que tu sois prêt… ou brisé.

Alexandre resta à genoux, le souffle court, les mains crispées sur le sol comme s’il avait peur que la terre elle-même se dérobe sous lui.

Non… murmura-t-il. Non, c’est pas possible.

Il releva lentement la tête vers Mireille, les yeux écarquillés, presque suppliants.

J’étais un enfant. Je… je ne savais pas. Je ne pouvais pas comprendre.

Mireille ne répondit pas. Elle le regardait avec cette patience dure, celle des gens qui ont vu trop de vérités pour se laisser attendrir par les larmes.

Il m’a parlé, reprit Alexandre, la voix brisée. Il m’a parlé… et j’ai écouté. J’ai dit oui. Même si je ne savais pas à quoi.

Il se redressa, chancelant, et recula d’un pas, comme s’il voulait fuir son propre reflet.

— Tout ce que j’ai fait depuis… toutes les victimes… Claire… Sylvie… Est-ce que c’est à cause de moi ? Est-ce que je l’ai laissé entrer ?

Claire s’approcha, posant une main invisible sur son épaule. Sa voix était douce, pour une fois.

Tu n’as pas ouvert la porte, Alexandre. Tu es la porte.

Il se figea. Le silence retomba, lourd, presque sacré.

Mireille s’avança à son tour, et lui tendit un petit objet enveloppé dans un tissu noir. Il le prit, les doigts tremblants. En le dépliant, il découvrit un fragment de pierre gravée, semblable à celui du sceau brisé.

C’est ton héritage, dit-elle. Et ton fardeau. Mais aussi… ta seule arme.

Alexandre ferma les yeux. Il inspira profondément. Et pour la première fois depuis longtemps, il ne sentit pas seulement la peur. Il sentit… la nécessité.

Alors il est temps, murmura-t-il. Temps de refermer la porte.

Tu as franchi une épreuve.Ton cœur s’est ouvert.Mais ne crois pas que la lumière s’installe sans lutte.Il te reste d'autres passages. Et certains… font tomber plus que des larmes.

Marianne s’approcha, posa sa main sur l’épaule d’Alexandre.

Tu n’es pas seul. Même quand l’ombre te le murmure.

Claire flottait derrière eux, discrète, silencieuse. Mais pour la première fois… elle souriait.

Et quelque part, dans le ciel chargé, le démon avait dû frémir. Car l’homme qu’il voulait corrompre… Venait de poser les bases de sa propre rédemption.

La vieille femme s’était figée, droite malgré l’âge, ses yeux ancrés dans l’âme d’Alexandre.

N’oublie jamais une chose, murmura-t-elle. — L’ombre et la lumière ne sont pas des ennemies. Elles sont deux parties d’un tout…C’est leur équilibre qui fait tenir ce monde en vie.

Elle approcha lentement, ses pas semblant vibrer avec la terre elle-même.

Si l’ombre l’emporte… alors le chaos engloutira tout. Même les âmes. Même les souvenirs.

Elle s’arrêta juste devant lui, tendant un petit médaillon portant un symbole ancien — le cercle brisé par un rayon.

Ta famille… a toujours maintenu cet équilibre.Parfois en combattant. Parfois… en se sacrifiant.Mais toujours avec le flambeau de la lumière dans les mains, même quand leurs cœurs étaient en cendres.

Elle posa le médaillon sur la poitrine d’Alexandre, juste au-dessus de son cœur.

Aujourd’hui… c’est à toi de porter ce flambeau.Et si tu vacilles… rappelle-toi que la lumière ne vient pas de ta lame… mais de ta volonté à aimer le monde malgré l’ombre.

La vieille femme s’arrêta net, comme si un souffle noir venait de traverser la pièce.

Le serviteur du démon est déjà en route, dit-elle.il a déjà ses victimes

Le vent sembla s’infiltrer sous les murs, porteur d’un frisson que même Claire ne parvenait à réchauffer.

La grande prêtresse prépare le lieu du sacrifice, reprit-elle. — Ce ne sera pas un simple autel. Ce sera un piège. Un sanctuaire inversé. Et surtout…

Elle marqua un silence. Ses yeux devinrent deux foyers de vérité brutale.

Méfie-toi.Elle te connaît tes forces, tes blessures, tes doutes.Elle fera tout pour te faire croire que tu es le véritable responsable.Et si tu faiblis... c’est elle qui gagnera.

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