Chapitre 8 – La Prêtresse

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Alexandre se redressa brutalement. Le sol sous lui était froid, rocailleux. Et Sylvie… gisait là, inerte, ses bras écartés comme une offrande tragique. Le médaillon brillait contre son cou, pulsant doucement comme s’il avait survécu à une épreuve.

Qu’est-ce qui s’est passé ? murmura-t-il, perdu. Marianne était à ses côtés, calme, presque posée dans le chaos.

Distorsion du temps, dit-elle simplement. Un déplacement… comme s’il était naturel.

Claire apparut, le regard perçant.

Bienvenue dans mon monde, dit-elle. — Dans les limbes, le temps n’existe pas. Seuls les échos… et les erreurs y résonnent.

Marianne hocha la tête. Comme si cette folie était devenue la norme.

Alexandre se releva, s’appuya brièvement contre un pilier fendu. Les réflexes revenaient. Le masque du flic se remettait en place.

On prévient la police, dit-il. Et on protège les indices.

Mais déjà… le vent avait changé. Comme si une présence s’était invitée. Quelqu’un d’autre savait. Quelqu’un préparait.

Et dans le lointain, la grande prêtresse dressait son autel.

Alexandre raccrocha le téléphone après avoir alerté la Crim’. Marianne observait les alentours. Rien ne semblait déplacé, et pourtant… le sanctuaire vibrait d’une mémoire étrange.

Claire s’approcha, regard ailleurs.

Quelque chose se met en place, dit-elle. — Une femme… une voix… une influence. Je l’ai ressentie.

Marianne se figea. — Tu crois que c’est elle ?

Claire ne répondit pas. Mais Alexandre se souvenait d’un parfum. D’un regard. D’une main sur son épaule… autrefois. Corinne.

Son lieutenante. Sa complice. Sa amante, à une époque floue. Mais depuis quelques mois… quelque chose en elle avait changé. Et une phrase lui revint :

“Tu ne comprends pas encore la vraie force… Alexandre.”

Il secoua la tête. Pas de conclusion trop rapide. Mais le doute avait été semé.

Et dans un lieu que personne ne surveillait, un autel s’élevait. Des symboles se gravaient lentement. Et une femme aux yeux clairs traçait un cercle d’argent.

Le téléphone vibra sur le bureau. Elle décrocha sans hésiter.

Oui… j’arrive.Où ? D’accord, je suis presque en route. Une pause. Puis sa voix se fit plus basse, comme un murmure adressé à un autre monde.

Ne vous en faites pas, Maître.Tout se met en place. Nous serons prêts en temps et en heure…Mais je dois régler quelques problèmes.

Elle raccrocha. Puis se leva, ajusta sa veste d’un geste lent. Le regard qu’elle porta à son reflet dans la vitre n’était plus celui d’une femme. C’était celui d’un instrument.

Corinne arriva la dernière. Son pas était assuré, presque trop calme. Elle jeta un regard circulaire, puis s’arrêta sur Alexandre, un sourire en coin.

Alors, on dirait que tu sèmes les cadavres, Alex…Deux morts en deux jours. Tu fais des progrès…

Elle s’approcha de Marianne, la toisant subtilement.

Tu ne me présentes pas ton amie ?

Alexandre resta impassible.

Marianne. Ancienne victime d’une secte diabolique.Et grâce à elle, j’ai retrouvé Sylvie.

Corinne haussa les sourcils, faussement impressionnée.

Et après les politiciens, voilà que tu chasses les démons ?Tu vises de plus en plus grand…

Un silence s’installa. Mais dans le regard de Corinne… il y avait autre chose. Comme si elle savait déjà. Comme si le jeu avait commencé depuis longtemps.

Marianne s’était figée dès l’arrivée de Corinne. Son regard s’était posé sur elle, puis s’était détourné — comme si quelque chose l’avait repoussé, bloqué.

Elle se pencha vers Alexandre, à voix basse.

Je ne peux pas lire son âme…Dès qu’elle a senti mon don, elle s’est protégée.

Alexandre fronça les sourcils. — Tu veux dire… comme un voile ?

Marianne acquiesça lentement.

Marianne recula légèrement, le souffle court. Ce voile… elle le reconnaissait. Elle l’avait déjà senti. Une fois. Il y a longtemps.

“Rome. 1998. Une crypte sous l’église San Bartolomeo. Le cercle était tracé. Le sang avait coulé. Et lui… il avait parlé.”

Elle se souvenait de la voix. Pas celle qu’on entend avec les oreilles. Celle qui s’insinue dans les pensées, qui caresse les failles, qui promet sans jamais donner.

“Tu es mienne, Marianne. Tu es née pour moi. Tu es la clef et la serrure.”

Elle avait résisté. Elle avait fui. Le Père Giovanni l’avait sauvée. Mais la marque était restée. Invisible. Spirituelle. Et ce voile… ce voile qu’elle sentait autour de Corinne… c’était le même.

“Elle est liée. Pas possédée. Pas encore. Mais elle a accepté quelque chose.”

Marianne se tourna vers Alexandre, le regard grave.

— Si elle est ce que je crois… alors elle n’est pas la prêtresse. Elle est l’élue. Celle qui ouvre les portes.

Claire murmura :

— Et toi, Marianne… tu es celle qui les referme.

Comme une barrière. Elle m’a vue. Elle m’a comprise. Et elle a fermé toutes les portes avant que je puisse les franchir.

Claire murmura depuis l’arrière-plan :

Elle sait. Et elle veille. Mais elle n’a pas encore dévoilé son vrai visage.

Corinne, à quelques mètres, riait avec un officier. Mais sa main effleura son pendentif. Et dans ses yeux… il n’y avait rien à lire.

Il la regarda parler, plaisanter, manipuler les dossiers comme toujours. Avec cette élégance froide, ce professionnalisme sans faille.

Corinne. Ils avaient résolu tant de crimes ensemble. Partagé des nuits d’enquête. Des silences complices. Et pourtant…

Ce n’est pas possible…, pensa Alexandre. Tant de complicité. Tant de vérité échangée. Et derrière…elle serait cette taupe dans la police. Qui était-elle ? Comment avait-elle survécu sous nos yeux ?

Marianne s’approcha. Mais il ne la regardait plus. Son esprit explorait les méandres d’un passé commun avec Corinne. Et chaque souvenir devenait suspect.

Claire glissa à son oreille :

La trahison ne vient pas de l’ombre, Alexandre.Elle vient de ce qu’on pensait être lumière.

Corinne s’avança, impeccable. Son regard accrocha celui d’Alexandre, mais ce n’était pas le regard d’une collègue — c’était un verrou.

Alors ? Tu vas poursuivre ton enquête, Alexandre ? demanda-t-elle avec une voix lisse. — Je dois bien ça aux parents, répondit-il, sans flancher.

Un petit sourire naquit sur les lèvres de Corinne. Un sourire administratif. Vide.

Tu n’es plus de la maison, tu te souviens ?Et si tu perturbes notre enquête… je te coffrerai, pour entrave.

Marianne se raidit. Claire baissa les yeux.

Mais Alexandre… ne broncha pas.

Tu ferais ça ? Me coffrer ?

Corinne s’approcha, presque trop près.

On est tous au service de la vérité. Mais certains… oublient à quoi elle ressemble quand elle les regarde.

Corinne s’approcha d’un pas plus lent, son regard accroché à celui d’Alexandre.

Mais si tu veux… on peut échanger nos informations… dans un cadre plus intime.

Elle pencha légèrement la tête, son sourire glissant entre sincérité et provocation.

Et peut-être… aller un peu plus loin qu’un simple baiser… cette fois-ci.

Alexandre eut un sursaut intérieur. Le passé refit surface. Ce soir-là… ce dossier brûlant… La salle plongée dans la pénombre, les silences étirés, le verre partagé.

Et ce baiser. Presque volé. Presque consenti. Presque regretté.

Il détourna le regard. La croix-épée vibra imperceptiblement sous sa veste, comme un rappel muet :

Ce qui charme peut aussi détruire.

Marianne observa la scène sans intervenir. Mais Claire, elle, se rapprocha de lui, et murmura doucement :

L’enfer ne vient pas toujours avec des flammes… parfois, il a les yeux clairs et les gestes tendres.

Alexandre referma la porte de son appartement, exténué. L’interrogatoire avait frôlé l’humiliation. Un rien de plus, et il passait de témoin à suspect.

Corinne n’avait rien laissé passer. Pas une faille. Pas un mot de trop. Et malgré les faits, malgré le cadavre, elle rejetait la piste de la secte. Comme si la vérité ne l'intéressait pas. Ou pire… comme si elle la cachait.

Il avait cru connaître Corinne. Il avait cru l’aimer. Mais peut-on aimer un masque ?

Heureusement, Marianne n’avait pas dévoilé ses dons. Elle s’était présentée comme une survivante. Une ancienne victime de rituels occultes pratiqués ici même. Et c’est cette mémoire… qui les avait ramenés sur ce lieu maudit.

Alexandre passa devant le bar. Le whisky était là, fidèle. Mais ce soir, il ne toucha pas au verre. Il avait autre chose à faire.

Il prit son téléphone. Appela. La voix répondit, familière, fatiguée son ex-femme :

Allô ? Alexandre ? Tu as vu l’heure qu’il est ?Je suppose que tu as encore bu…

Il sourit tristement.

Non. Pas cette fois.Je t’appelle… pour te demander pardon.

Silence. De l’autre côté, un souffle retenu.

Pour toute la souffrance que tu as endurée à cause de moi. Je t’ai blessée. Écartée. Noyée dans mes silences.

Sa voix à elle trembla, puis se fit inquiète :

Tu vas bien ?

Il ferma les yeux.

Oui. Maintenant… ça va mieux.

Es-tu heureuse maintenant ? demanda Alexandre dans un souffle. — Oui, répondit-elle. Et toi ?Alors je suis en paix, murmura-t-il. Un silence doux s’installa, le passé enfin apaisé. il avait raccroché, le cœur plus léger. Mais dans un autre monde, celui des couloirs feutrés et des serments impies, le sang s’apprêtait à couler à nouveau.

Dans une pièce privée d’un bâtiment ministériel, à l’abri des caméras… Une ombre féminine se tenait devant le député Delajoie, un homme autrefois jovial, désormais rongé par des ambitions trop grandes pour son humanité.

Elle parlait bas, mais chaque mot claquait comme une lame :

Le Maître attend de toi… une vierge pour le sacrifice de samedi.Ne le déçois pas une nouvelle fois. Il ne connaît pas la pitié.

Le député inclina la tête, la mâchoire tendue.

Oui, prêtresse. Je sais ce que je dois faire.Le pacte sera scellé avec du sang. Comme il a toujours été exigé.

Elle s’avança, ses yeux brillant d’une lueur d’acier.

Ce pouvoir que tu veux… ne vient qu’avec un prix. Et Alexandre renifle. Il gratte sous les pierres. Il est dangereux.

Le député détourna le regard, presque fébrile.

Je ne faiblirai pas.

Un pacte venait d’être renouvelé. Et l’ombre reprenait le contrôle.

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