Chapitre 11 : le gitan 

7 minutes de lecture

Alexandre savait où aller pour avoir des renseignements. C’était au quartier chinois porte d’Italie. Le restaurant "Lotus Sanglant" semblait fermé, rideau tiré. Mais Alexandre savait que l’homme qu’il cherchait ne dormait jamais vraiment.

Il poussa la porte. Une clochette tinta, grinçante.

À l’intérieur, une femme d’âge mûr, au regard sévère et aux bras croisés, le fixa immédiatement.

Pas encore ouvert ! Dîner à midi ! Si toi pas réservé, nous complet ! Le ton était tranchant comme un couteau de cuisine.

Mais dès qu’elle le reconnut, une transformation subtile s’opéra. Son visage se fendit d’un sourire surprenant. Elle baissa la voix, presque complice :

Alexandre Vasseur… toujours pas mort alors ?

Il haussa un sourcil.

Tu parles comme si c’était prévu…

Elle éclata d’un rire court. Puis disparut derrière un rideau de perles, l’invitant à la suivre sans rien dire de plus.

Elle sourit. Et le guida dans l’arrière-salle, derrière un rideau de perles. Mr Wong l’attendait.

Ancien proxénète. Ami de la triade. Son sourire était plus tranchant que ses couteaux de cuisine.

Qu’est-ce qui m’amène mon inspecteur préféré ?

Tu sais que je ne suis plus flic.

Oui… mais les ombres te suivent. Dangereuses, dit-on.

Qui dit ça ?

Le vent. Tu sais comme il parle, par ici.

Alexandre s’installa.

Et que murmure-t-il ? Sacrifices ? Filles enlevées ?

Wong se redressa.

Des choses que je ne peux dire… sans risquer ma peau.

Alexandre sourit et posa 200 euros sur la table.

Toujours aussi filou, Wong.

Le vieil homme les ramassa lentement.

On dit que le Gitan a fait venir cinq filles vierges de Roumanie. Il les garde enfermées. Pas de travail. Pas de passage. Rien. Juste… de l’attente. Et il flambe son argent au bar Fleur de Lotus. Trop d’argent. Trop de silence.

Alexandre se leva.

Merci.

Wong le raccompagna avec un air grave.

Un dernier conseil… Le démon que tu veux combattre… il ne vient pas seul. Et il n’a pas besoin de croire en toi pour te détruire.

À peine sorti du restaurant, Alexandre s’apprêtait à rejoindre le métro quand une silhouette surgit à sa droite.

Franck.

Alexandre… Corinne est protégée. Complètement.Impossible de l’approcher. Dès qu’elle s’enferme dans son bureau… la porte change. Elle est scellée. Pas physiquement… mais par un sort.

Alexandre s’arrêta net.

Un sort ?

Franck hocha la tête.

Des ombres tournent dans tout le bâtiment. Elles ne regardent pas… elles sentent. Et elles ont senti que j’étais là. Que je cherchais. L’une d’elles m’a frôlé. Et j’ai eu… une vision de l’enfer.Je te jure… elles voulaient m’aspirer

Il se passa une main sur le front.

Grrr… je n’y retourne pas. Même si on me paie. Je suis resté trop longtemps. Et elles m’ont vu.

Alexandre posa une main sur son épaule, doucement.

Calme-toi. Tu es déjà mort. Elles t’ont vu… mais pas pris. Tu as ramené quelque chose : une preuve que ce n’est pas qu’un jeu. C’est bien elle.

Franck murmura, presque coupé :

Alors on est fichus ?

Alexandre regarda les rues derrière lui. Puis sortit la croix-épée de sa poche.

Elle restait silencieuse et sans réaction.

Non, dit-il. On a juste franchi le vrai seuil. Maintenant… on sait où elle se cache. Et ce qui veille sur elle. On retourne au bureau.

Claire surgit dans le bureau des affaires étranges

J’ai une info capitale.Le député Delajoie est hors de lui. Il ne veut pas attendre samedi…Il a appelé la Prêtresse — elle était furieuse. Elle lui a interdit d’aller à Neuilly.

Alexandre se figea.

Neuilly… les cinq filles roumaines…

Alors c’est là qu’elles sont… murmura-t-il.

Claire acquiesça.

Je retourne avec Franck. On garde Delajoie à l’œil. S’il bouge, je te préviens.

Alexandre hocha la tête.

Bien. Moi, je vais au Fleur de Lotus. C’est là que le Gitan flambe son argent. Il est temps de le trouver.

Il vérifia la présence de sa croix-épée dans sa poche. Le métal était froid. Mais son instinct brûlait.

Le Fleur de Lotus.

En haut, un bar élégant. Boiseries vernies. Lustres de verre teinté. Serveuses en tenue traditionnelle, sourires calibrés. Cocktails floraux et violon discret. Un repaire de luxe, apparent, fréquenté par politiciens, avocats et faussaires déguisés en notables.

Mais en bas… Un escalier protégé par un videur. Pas de mot de passe. Juste un regard et une reconnaissance.

Le sous-sol où la Lumière rouge, murs défraîchis, l’odeur de tabac, ça sentait l’argent sale. Des tables de poker, des jeux chinois illégaux, des parieurs nerveux. Et au fond… une alcôve privée.

Là, le Gitan était entouré de gardes. Il était toujours vêtu d’une chemise trop voyante. Et ses yeux brillants de quelqu’un qui cache plus que des jetons.

Le Gitan leva les yeux d’un jeton qu’il faisait tourner entre ses doigts. Quand il vit Alexandre, il se signa rapidement, mais sans trembler. Presque par habitude. Presque par superstition.

Toi… murmura-t-il, — Tu transportes la mort.

Un de ses gorilles s’avança et fouilla Alexandre, sommairement. Rien. Rien… sauf une croix dans la poche.

Le Gitan l’aperçut. Et rit. Un rire lourd, chargé d’un mépris ancien.

Tu crois que ça va te protéger ?Tu crois que ce bout de métal tient tête au pouvoir que je sers ?

Alexandre haussa un sourcil.

Et c’est qui… ton commanditaire ?

Le Gitan se pencha, son regard plus sombre.

Celui qui ne signe pas. Celui qui ne promet rien. Mais qui… répond chaque fois qu’on l’appelle avec du sang.

Alexandre sentit la croix vibrer légèrement. Pas pour l’avertir. Mais comme si elle reconnaissait un nom non prononcé.

Alexandre s'avança d’un pas lent, presque calme.

Je sais que tu as de la marchandise pour lui, dit-il en fixant le Gitan droit dans les yeux. — Dis-moi où elles sont. Et on se quitte bons amis.

Le Gitan sourit, amer.

Tu veux savoir où elles sont ? Alors sache que si tu ouvres cette porte… tu ne pourras plus jamais la refermer.”

Et si je ne veux pas ?

Il fit un signe du menton. Les trois hommes derrière lui se redressèrent. Vestes ouvertes. Armes visibles.

Tu pourrais faire quoi ? On est trois. Et armés.

Alexandre sortit lentement la croix-épée de sa poche. Elle ne brillait pas. Mais le métal semblait plus lourd que l'air.

Tu vois cette croix ? dit-il. Elle n'est pas là pour me protéger… elle est là pour annoncer ce qui va arriver si tu fais le mauvais choix.

Un des gardes recula légèrement, troublé.

Le Gitan ricana.

Tu crois aux symboles ?

Je crois aux conséquences, dit Alexandre. — Ton commanditaire ne se souciera pas de ton sort si tu rates l’offre. Mais moi… je t’offrirai une sortie. Maintenant.*

Silence.

Sois malin. Dis-moi où elles sont. Et tu ne verras jamais les flammes que tu frôles.

Alexandre s’approcha sans un mot. Le Gitan ricanait, entouré de ses gardes, sûr de sa force.

Tu ne me fais pas peur avec ta croix, dit-il. — Ce n’est qu’un bibelot.

Mais Alexandre, d’un geste vif, plaqua la croix sur son front. Un cri rauque s’échappa immédiatement de la bouche du Gitan. Sa peau se mit à rougir, comme cuite par une lumière invisible.

Les gorilles reculèrent, figés, incapables de comprendre. Mais la pièce semblait se resserrer, comme si la croix appelait un jugement.

Le Gitan hurla.

Arrête ! Arrête ! Je te la donne ! Voici l’adresse !

Il tendit une carte de visite, les doigts tremblants. Un lieu à Neuilly. Discret. Sans nom.

Alexandre la prit calmement.

Tu vois, quand tu veux… on peut s’arranger.

Le Gitan reprit son souffle, le front marqué d’une brûlure en forme de croix. Son regard était plein de peur. Et d’un secret qu’il ne dirait plus jamais à voix haute.

Sorti du bar, Alexandre s’éloigna de la façade en orge et néon. Sous un lampadaire vacillant, il sortit son téléphone.

Allô, la Mondaine ? Passez-moi l’inspecteur Vandenboul. Erik.C’est pour quoi ? demanda un agent à l’accueil.

Vasseur Alexandre. C’est pour une info urgente.

Un souffle. Puis une voix nasillarde et familière traversa la ligne.

Alors, ma poule… tu reviens des morts ?Presque, sourit Alexandre. Comment va le Belge ?

Pas trop rouillé. T’as un truc pour moi ?

Oui. Un gros coup. Cinq filles roumaines, vierges. Prisonnières d’un réseau. Allée des Pruniers, 7A, Neuilly.

Silence. Puis le ton d’Erik se fit plus sec.

T’es sûr de ton tuyau ?

Oui. Pourquoi ?

Parce que ce lieu… appartient à la famille Delajoie.C’est une maison sensible. Très surveillée.

J’en suis certain. dit Alexandre, sans trembler.

Alors on y va.Mais si c’est foireux, c’est toi qui portes la patate. Tu le sais ?

Alexandre regarda le ciel, sans lune.

À ce stade… je prends tout ce qui vient.

Un silence. Puis Erik ajouta, pensif :
Tu sais que ce nom, Delajoie… il me dit quelque chose.
— Normal. Il était cité dans le dossier Van Houtte.
— Léo ? L’enfant disparu ?
— Oui. Le père avait travaillé pour un certain Delajoie comme archiviste privé. Il avait quitté son emploi après ça.
Merde… je m’en souvenais plus.
Moi si. Et je crois que ce n’était pas un hasard.
— Tu veux dire quoi ?
— Rien encore. Juste… garde les yeux ouverts. Et les nerfs solides.
— Tu m’inquiètes, Vasseur.
— C’est que tu commences à comprendre.

La pluie tombait sur Paris comme un rideau de cendres. Alexandre se tenait sur le quai désert de la Seine, les yeux fixés sur la poupée en cire fondue posée sur la rambarde. Elle avait un visage d’enfant, mais sans yeux. Juste deux creux noirs. Et sur son torse, gravée à la pointe d’un couteau : Sanguis pro sanguine.

Erik Vandenboul, plus jeune, plus nerveux, s’approcha en soufflant dans ses mains gelées.

— Tu crois que c’est un message ?
— Non, répondit Alexandre. C’est une signature.

Ils avaient fouillé la maison des Van Houtte. Le père, ancien prêtre, avait quitté l’Église après avoir été engagé comme archiviste privé par un certain Jean Delajoie, député influent. Il avait cessé de parler du jour au lendemain. Puis, deux ans plus tard, son fils avait disparu.

Aucune trace d’effraction et surtout aucune demande de rançon. Juste cette poupée. Et un silence qui pesait comme une tombe.

Deux jours plus tard, le père de Léo s’était pendu dans sa cave. Sur le mur, écrit au sang : "Je l’ai vu. Il m’a répondu."

L’affaire avait été classée. Disparition non élucidée. Suicide. Aucun lien officiel avec Delajoie.

Mais Erik n’avait jamais oublié. Et chaque année, à la même date, Erik recevait une enveloppe noire. À l’intérieur : une mèche de cheveux d’enfant. Sans empreintes. Sans explication. Il ne supportait plus tous ses crimes et il demanda d’être affecté à la mondaine.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire lambeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0