Chapitre 4

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Hope

La voiture s’arrête devant une sorte de… Rien. Un vide immense se dresse devant moi et je dois prendre sur moi pour ne pas crier à l’aide.

Monsieur Grincheux - j’ai été inspiré par ses sourcils froncés tout le long du trajet - sort du véhicule mais je reste figée.

Parce que nous sommes des Delta. Cette phrase tourne en boucle dans ma tête. Cet homme serait comme moi ? Mieux encore, comment se fait-il qu’il soit soldat ? Je n’ai jamais eu de traitement de faveur.

Je devrais me méfier. Il n’a pas prononcé un mot depuis qu’il a coupé le contact. Trop calme. Trop calculé.

Il attend devant ma portière, droit comme une statue. Malgré cette patience apparente, quelque chose dans son attitude me trahit sa nervosité. Et ça me rend encore plus nerveuse.

Une fois à l’extérieur, il m’ordonne de le suivre et cette fois je n’ose pas le contredire. Quelque chose dans sa voix me dit que je dois me préparer à ce qui va suivre.

L’angoisse me serre la poitrine. Vais-je me faire découper en morceaux ? Serait-ce ici, dans ce nulle part silencieux ?

Pourtant, je respire. L’air sur ma peau me surprend. Il est… doux. Vrai.

Je ferme les yeux lorsque mes cheveux sont soudain portés par le vent. Je résiste à l’envie de retirer mes chaussures pour sentir le sol frais sous mes pieds.

Mais c’est idiot. Je n’ai jamais mis un seul pied dehors. Mes seules échappées consistaient à traverser les couloirs aseptisés de l’hôpital. Réfectoire. Salle blanche. Chambre. Toujours les mêmes murs.

Et ce matin… ce matin a tout fait basculer. J’ai presque oublié que ce monde existait.

Je prends une inspiration, rouvre les yeux, et découvre que le soldat se tient devant moi, bras croisés et avec un rictus qui me donne envie de lui en coller une.

Un signe de tête de sa part plus tard et je me retrouve à le suivre aveuglément car je n’ai tout simplement pas d’autre choix.

L’idée de fuir m’a traversé l’esprit. Mais le monde dehors me fait bien plus peur que lui.

Alors que je ne vois toujours que du vide, le monsieur très silencieux devant moi lève la main et aussitôt, une sorte d’onde se propage prenant la forme d’un dôme pour disparaître ensuite.

Il me regarde par-dessus son épaule et je ferme aussi la bouche, mon visage exprimant la surprise et… l’émerveillement.

Après un petit rire, il entreprend d’ouvrir une porte qui se cachait là, sous notre nez.

Entendre quelqu’un montrer ouvertement ce qu’il ressent est très désarmant.

Je me perds dans mes pensées, les lèvres tremblantes. Comment dois-je me comporter maintenant ? Vais-je être punie si je souris ? Si ma voix déraille ?
Savent-ils seulement que je suis ici, dehors, hors de leur protection ? Viendront-ils me chercher ? Me remettre dans une cellule ?
Et si… si j’avais fait une erreur ?

– Tu viens ?

Je sursaute lorsque sa main touche mon épaule, me ramenant à la réalité. Je fais un pas à l’intérieur du dôme, prenant soin de m’éloigner de sa prise et tombe aussitôt des nus.

Une énorme bâtisse majestueuse et abyssale nous surplombe d’au moins une centaine de mètres. Une pensée s’impose alors : de quelles autres de ces merveilles ai-je été privée tout ce temps ?

– Qu’est-ce que c’est ?

Je me tourne vers monsieur-muscles qui n’a visiblement pas de prénom et attend sa réponse.

Il me fixe quelques secondes, incrédule, puis me répond enfin comme si de rien n’était.

– C’est un sanctuaire

Cependant, la fin de sa phrase sonnait comme une question. Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ?

– Tu ne sais pas ce que c’est, hein… Bon, c’est un endroit où l’on se recueillait jusqu’à avant la guerre.

– Se recueillir ? Avant la guerre ?

Ce qu’il me dit ne fait aucun sens. À vrai dire, je ne comprends rien du tout à cette journée. Il me fixe avec des yeux ronds et soupire après quelques secondes.

– Tu sais quoi, contente toi de me suivre.

Il reprend sa route mais je ne bouge pas d’un pouce. Depuis quand suis-je aveuglément des inconnus qui me racontent autant de sottises ?

Il le remarque assez vite et fait volte face pour se planter devant moi, cette fois son visage n’exprime que l’irritation.

– Je ne te blâme pas mais tu ne connais rien du monde dans lequel tu vis ! Cesse un peu de résister et suis-moi, bordel !

Il attrape mon poignet et je me fige, son contact me brûle la peau.

– Lâchez-moi !

Je suis maintenant à la limite de l’hystérie, ayant oublié que je n’ai pas le droit de montrer mes émotions. Mais à cet instant je ne pense qu’à ce contact forcé et à tout ce que cela fait ressurgir.

– Ton masque se fissure bien vite, pour quelqu’un que l’on a torturé pour l’effacer.

Un étau se referme autour de ma gorge à l’instant où il prononce cette phrase et il a l’air de s’en apercevoir car ses yeux s’agrandissent et l’inquiétude marque ses traits.

Je pense instantanément à Maria, sans vie sur le carrelage blanc souillé de rouge. Mon esprit vagabonde vers lui, son parfum écoeurant et ses yeux noirs n’exprimant… rien, seulement du néant. Il pourrait me ramener. Je ne veux pas. Je ne veux pas.

Et s’il venait me chercher ? Et s’ils étaient déjà à ma recherche et qu’ils arrivaient bientôt, m’enfermeraient-ils de nouveau ?

Et si je me retrouvai encore dans la salle blanche car j’ai désobéi. Mais… Non, je suis en sécurité avec eux, ils me l’ont toujours dit, il ne m’arrivera rien. Ils m’ont seulement préservé de la dureté de ce monde, c’est tout… Mais alors pourquoi ai-je si peur ?

Une voix me parle à travers le voile qui m’empêche de voir et je sens de grandes mains sur mes joues humides.

– Hey, regarde moi, je suis désolé.

Je vois à présent ce visage doux et sévère à la fois, ce nez bossu et ces cils fournis, ces lèvres entrouvertes par l’attente.

Je tremble de tout mon être par la crispation et je me rends compte de la sensibilité de mes mains.

Lorsque je baisse les yeux, je vois mes ongles incrustés dans la chair et cette vision à l’air de me remettre les pieds sur terre.

– Il va bientôt faire nuit. Nous devons vraiment avancer… s’il te plaît.

Sa voix a flanché. Il a du mal à supplier. Et pourtant il l’a fait. Je le vois dans ses yeux. La peur.

Quoi qu’il s'échappe dans les rues la nuit, même lui en est effrayé. Alors je fais un pas. Puis un autre. Et je franchis la porte.

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