Chapitre 5

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Hope

L’air sent le métal froid, la sueur et la poussière, un mélange âcre qui me gratte la gorge.

Ce lieu est bien trop vivant. Des éclats de voix me transpercent les tympans, des rires résonnent dans l’espace immense qu’est cet endroit.

Je suis collée dos au mur, ne sachant pas comment réagir face aux innombrables paires d’yeux qui me fixent.

– Qu’est-ce que tu nous amènes là, mon petit Gab ?

Cette question provient d’un homme assez baraqué avec un rictus aussi pénible que… Gab ?

Soudain, je vois ses épaules se contracter et on aurait dit que l’air s'épaississait autour de lui.

– Ne joues pas avec mes nerfs, Jax.

Une femme à la peau matte et aux cheveux rasés se rapproche, toujours un oeil sur moi, et se penche pour lui parler.

Je n’entend malheureusement pas mais “Gab” se retourne pour me regarder du coin de l'œil. Soudain, la femme se détourne et fonce directement sur moi.

Inconsciemment, mes mains se lèvent et j’essaye de reculer davantage mais heurte de nouveau le mur.

Elle paraît s’en rendre compte car son regard parcourt mon corps et elle ralentit.

– Suis-moi.

L’espace est gigantesque, je distingue à peine le plafond et j’en découvre davantage lorsque je la suis.

L’extérieur du sanctuaire était à couper le souffle mais l’entrée me donne le vertige.

Nous traversons un balcon circulaire, suspendu dans une immensité qui me coupe le souffle. Le plafond se perd si haut que je distingue à peine son contour. Au centre, un arbre colossal s’élance vers la lumière, ses branches effleurant l’ouverture circulaire qui laisse passer le jour.

Je me penche au-dessus de la rambarde : l’édifice plonge sur des dizaines d’étages, peut-être plus. Le fond s’enfonce dans une obscurité sans fin, un gouffre abyssal. Un vertige me saisit.

Je me souviens soudain que je suis attendue et lorsque je pivote dos au vide, je vois cette même femme debout dans une sorte d’ascenseur m’observant, un demi sourire aux lèvres.

Je réprime la sensation de malaise qui grandit à ce moment et la suis sans dire un mot.

Une fois dans la cage, ma gorge se serre et j’essuie mes mains moites sur mon pantalon. En baissant les yeux, je réalise que je porte encore mes vêtement d’un blanc aséptisé provenant de l’hôpital.

Mon cœur accélère, ce foutu organe qui est l’objet de toutes mes angoisses.

Vont-ils aussi m’empêcher de ressentir ? M’enfermer, me priver d’eau et de sommeil, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de moi ?
Papa… est-ce qu’il me cherche ?

Un Delta a réduit l’hôpital en cendres. Mais qu’est-ce que ça change pour moi ? Est-ce que je dois vivre ici maintenant, parmi eux ?

Je vois les étages défiler et je n’ai qu’une envie, c’est de sortir d’ici. Les endroits exigus m’étouffent et je résistent à l’envie de me griffer la gorge.

Plus nous descendons, plus j’ai l’impression que l'oxygène est rare surtout en profondeur.

La femme passe devant sans un mot. Je la suis à contre-cœur vers ce qui ressemble à un cabinet médical. La vision me glace. Pas encore. Je ne veux plus de tests, plus de piqûres, plus de sang versé.

Elle désigne une chaise. Je m’assieds, raide, mes doigts crispés sur l’accoudoir. Mes yeux doivent crier ma détresse, mais elle reste impassible.

Je m’avance lentement vers le bureau et m’y appuie lorsque je m'assoie, l’appréhension me tordant le ventre.

– Comment t’appelles-tu ?

Soudain, mon nom de code me vient à l’esprit, c’est ça qu’elle veut non ? Dois-je lui révéler ce que je suis ? Va-t-elle m’enfermer une fois qu’elle saura ?

Fidèle à moi-même, c’est la vérité qui sort de ma bouche.

– Je suis la patiente Delta-1.

Je la regarde dans les yeux, les miens sont maintenant dénués d’émotions.

Ses sourcils se froncent mais je distingue dans son regard de la compassion. Elle veut sûrement me manipuler pour que je lui offre ma confiance.

– Non, quel est ton prénom ?

Elle m’offre un sourire encourageant mais je recule dans ma chaise, imperméable à cette marque d’affection.

– Qu’allez-vous faire de moi ?

Un soupir s’échappe de sa bouche pulpeuse et elle se lève pour se placer contre son bureau.

– Je sais ce que tu as vécu là-bas.

Je failli rire.

– Vous ne savez rien.

Malgré la bizarrerie de cette journée, je me sens soudain honteuse de lui tenir tête alors que ma position ne le permet pas.

– Tu te trompes. Je sais exactement ce que ça fait. Tu ne me demandes donc pas ?

Sans pouvoir comprendre pourquoi, je sais exactement à quoi elle fait référence. J’hésite quelques instants mais je ne résiste pas longtemps.

– Vous avez tous l’air de… d’agir différemment de ce qu’on attend de vous.

Elle rit doucement et cela provoque une chair de poule intense le long de ma colonne vertébrale.

– Tu peux parler librement, ici, je te le promets.

Mes poumons se gonflent d’air, douloureusement. Je ferme les yeux un instant.

– Vous ressentez tous quelque chose. On m’a toujours interdit de sourire, de pleurer, d’avoir peur… J’ai grandi dans une chambre close. Je savais qu’il y en avait d’autres comme moi, mais je n’avais jamais le droit de les voir.

Je fis une pause, à bout de souffle. La femme continuait de me regarder et je devinais qu’elle me donnait du temps. Je ne saurais dire ce que ça me fait ressentir.

– Arriver ici et constater autant de vie, de couleurs, d’odeurs… C’est comme si j’étais en plein dans un rêve éveillé.

– Mais tu sais que c’est impossible.

Mon cœur s’arrête un instant. Quoi ?

– Non, je veux dire, tu sais que c’est impossible de s’empêcher de ressentir.

L’air s’échappe brusquement de mes poumons, un souffle libérateur. Cette phrase… Elle ouvre une brèche, minuscule, mais assez large pour laisser passer une étincelle. L’espoir.

Ses yeux cherchent les miens.

– Alors, comment t’appelles-tu ?

Je la regarde dans les yeux mais cette fois mon regard a changé et je lui offre la chose qui me rend encore plus vulnérable, dont n’importe qui pourrait se servir.

– Je m’appelle Hope.

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