Chapitre 7

5 minutes de lecture

Caïn

Elle a l’air paisible dans son sommeil mais je sais que ce n’est qu’une façade.

Son visage pâle exprime la quiétude… mais ses doigts trahissent tout. La peau rongée autour de ses ongles raconte une autre histoire.

Soudain, ses cils noirs fournis frémissent et ses yeux apparaissent. Elle regarde tout autour d’elle d’un air perdu, déboussolée, puis son regard arrive sur moi.

Je reste de marbre. On m’a appris à effacer toute émotion de mon visage, et cette habitude me colle à la peau.

Elle, par contre… elle ne sait pas que derrière ce masque, je suis une bombe prête à exploser. L’angoisse me ronge.

Parmi tous les patients de ce foutu hôpital, il a fallu que ce soit elle. Ce mot qu’on n’a pas le droit de prononcer.

Car les Delta sont pourchassés, mais eux sont éliminés. Cette fille pourrait attirer les autorités et tout faire couler.

Mais elle pourrait aussi nous aider.

Quand elle a soigné mon soldat… j’en suis resté bouche bée. La plaie s’est refermée sous nos yeux, la chair recollée comme si le temps avait fait marche arrière.

C’était inhumain. Terrifiant. Magnifique.

Elle me regarde toujours, interdite. Elle n’ose même pas se redresser. Je sais à quoi elle pense.

Cette chambre doit lui rappeler l’hôpital, les expériences, les remontrances parce que notre sourire était trop avenant, ou pas assez.

Rien qu’en la regardant, je peux voir toutes les questions se bousculer dans son esprit.

Mon regard glisse vers Sab. Son crâne à moitié rasé, les tatouages noirs qui lui couvrent la peau… Elle a l’air sévère. Mais je sais qu’elle est plus loyale et plus pure que bien d’autres.

C’est elle qui brise ce silence pesant la première.

– As-tu déjà expérimenté ce genre de choses avant ?

Elle ne répond pas tout de suite. En fait, elle ne répond pas, elle se contente de secouer la tête de gauche à droite.

– Je vois.

Un blanc. Lourd. Moi non plus je ne trouve rien à dire. On patauge tous dans l’inconnu.

Sab recommence à faire les cent pas, son visage fermé.

– Qu’est-ce qui a bien pu provoquer ça ?

Elle tourne maintenant en rond, les méninges en marche et l’anxiété visible sur ton visage. Pour la première fois, Hope se redresse, s’asseyant sur le lit, et prend la parole.

– Depuis que je suis ici, il m’est très dur de me contrôler.

Hope se redresse enfin. Elle s’assoit sur le lit, ses cheveux retombant devant ses yeux.

– Ce lieu est tout le contraire de ce dans quoi j’ai vécu. Quand j’ai vu arriver ce soldat blessé, mon corps a bougé de lui-même.

Elle relève la tête. Cette fois, je lis clairement la peur dans ses yeux.

– J’ai ressenti une compassion extrême. Un besoin vital de m’approcher pour le soigner. Je sais que ça sonne fou dit comme ça mais… c’est arrivé, c’est tout.

Ses mots résonnent en moi comme une gifle. On ne parle pas comme ça ici. Pas à voix haute.

Nous nous regardons, Sab et moi, en espérant qu’elle ne nous posera pas cette question.

Mais elle est évidente.

En ayant été retenue captive ainsi, sans voir le jour, elle a râté la dégringolade de ce monde.

Cette chose qui a blessé mon collègue des armes… Nous la pourchassons tous les jours. Mais tous les jours elle se multiplie.

Hope ouvre la bouche mais comme je sais ce qu’elle va demander, je la devance.

– Un spectre.

Elle me regarde, la bouche grande ouverte. Tout comme Sab qui comptait peut-être garder ce secret plus longtemps mais je ne peux pas.

Ce don qu’elle a pourrait nous empêcher tellement de blessés, même mortels.

– Ces choses ne sont plus humaines. Plus de chair, plus d’âme. Juste une faim sans fin qui les pousse à bouger. Tous les jours, on les traque. Et tous les jours, ils se multiplient.

– Seigneur… C’est ça qui a tué votre ami ?

Je hoche la tête, encore secoué par ce spectacle dans lequel elle s’est donnée contre son gré.

Enfin, ma mère de cœur reprend la parole mais ce qu’elle dit ne me plaît pas. Je me crispe encore un peu plus.

– Sais-tu comment sont appelées les personnes comme toi ?

Elle semble réfléchir quelques instants, incertaine.

– Vous voulez parler des Delta ?

– Non. Pas eux. Je parle de ceux qui sont capables de… miracles. Comme toi.

Hope reste interdite. Avant qu’elle puisse répondre, des pas précipités résonnent dehors. La porte claque et Milo déboule, hors d’haleine.

– Cheffe, vous devez voir ça ! Nous avons un message du secteur 1.

Nous sortons précipitamment de la salle, la lumière s’éteint brusquement, et le silence s’impose aussitôt.

Dans le vide, au-dessus d’une estrade nue, un écran translucide se matérialise, projeté par une technologie que seuls les dirigeants peuvent se permettre.

C’est toujours le même rituel : l’image flotte au-dessus de nous, immense, impossible à ignorer.

Le visage du Haut Dirigeant apparaît. Ses yeux nous traversent comme s’il pouvait réellement nous voir.

– Cher peuple de Neovia.

Sa voix roule, claire, implacable. Personne ne respire. Même les plus jeunes savent que chaque mot compte.

– Notre société repose sur l’équilibre que nous avons construit ensemble. Mais cet équilibre est aujourd’hui menacé. Parmi vous se cachent des déviants. Pires encore que les Delta, que nous appelons les Alpha.

Un murmure traverse la foule, vite étouffé. Je garde le regard fixé sur l’écran, mais ma pensée dérive vers Hope, assise à ma gauche.

– Ces êtres ne sont pas comme vous. Leurs émotions sont instables, démesurées. Elles les poussent à la rébellion, au chaos, à la destruction. Ils veulent briser l’ordre que nous avons établi et mettre en péril notre avenir.

Je l'entend respirer plus vite. Je baisse légèrement les yeux et je la vois. Hope.

Son visage se décompose, ses traits tremblent, comme si chaque mot était dirigé contre elle. Elle ne peut pas le cacher. Pas encore.

Le discours continue, froid et tranchant.

– Si vous apercevez un individu dont le comportement vous semble étrange, alertez immédiatement les autorités. Car un seul Alpha suffit à déstabiliser notre nation. Un seul suffit à provoquer la chute de tout ce que nous avons bâti.

Je sens ses mains crispées sur ses genoux. Son corps tout entier se tend.

Elle est en train de sombrer, je le vois dans ses yeux. Tristesse. Peur. Tout se mélange en elle, trop fort. Beaucoup trop fort.

Puis, soudainement, c’est comme si un masque tombait. Elle relève la tête.

Son visage se ferme, ses émotions disparaissent. Elle s’efface volontairement derrière une façade de neutralité parfaite.

Plus rien ne filtre. Plus de peur, plus de douleur. Juste… le vide.

Et étrangement, c’est ça qui me serre la gorge. Parce qu’elle préfère disparaître derrière ce masque plutôt que de risquer d’exister.

L’écran s’éteint. La voix du Haut Dirigeant s’évapore, et la lumière revient.

La foule reprend vie comme si de rien n’était, parlant, bougeant, respirant à nouveau.

Moi, je reste figé. Mes yeux restent accrochés à elle.

Personne d’autre n’a vu ce qu’elle a laissé paraître. Personne, sauf moi.

Et je comprends. Peu importe ce que dit le Haut Dirigeant. Ce que j’ai vu dans ses yeux… ce n’était pas la destruction.

C’était autre chose. Quelque chose qu’ils ne comprendront jamais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire uneamoureusedemots ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0