Chapitre 10

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Caïn

Cette fille me perturbe.

Elle sort de nul part, fait irruption dans ma vie sans prévenir et d’un coup, j’ai peur.

Ce sentiment est bien différent de d’habitude.

La peur de mourir me suit depuis toujours mais au final, j’en fais une force et ne laisse personne m’atteindre.

Pour la première fois de ma vie, j’ai peur de décevoir quelqu’un.

J’ai peur de revoir dans ses yeux l’angoisse qu’elle a ressenti dans cette chambre maculée de rouge.

J’ai peur qu’elle me regarde avec cette terreur, qu’elle ne sache plus à qui faire confiance.

Je flippe carrément, en fait. Mais je ne peux pas me le permettre.

Je ne peux pas le montrer.

J’ai une brigade qui compte sur moi. Je n’ai plus de famille, certes, mais tous ces gens, cette résistance qu’on a construite, s'en rapproche beaucoup.

Et je déteste ce regard qu’elle m’a adressé quand je suis parti de l’espace d’entraînement. Comme un lâche…

J’essaye de me donner des excuses, comme l’entretien qu’a demandé le sergent Rohn.

Arrivé au centre de l’étage, je me dirige vers l’ascenseur implanté directement à l’intérieur du long pilier central.

La nature a repris ses libertés tout autour et il m’arrive d’admirer ce que nous avons malheureusement perdu mais qui semble résister ici.

J’entre dans l’habitacle et laisse l’étroitesse de l’espace m’accueillir.

Voilà bien longtemps que je ne suis plus angoissé dans les espaces clos.

Je me demande comment réagirait Hope ici. Elle a préféré entamer son échauffement dans les escaliers interminables en colimaçon.

Je suis un soldat bien entraîné, mais je ne vais pas refuser d’économiser mon énergie. On ne sait jamais, je pourrais en avoir besoin.

Lorsque je suis arrivé à l’étage le plus bas, je remets mon masque froid sur mon visage.

Ce que le sergent s’apprête à me dire constitue le but de toutes ces années passées avec la résistance.

Ces années à se battre, à passer nos nuits à chasser ces spectres, à tenter de comprendre ce qu’ils ont infligé à ces sans-cœurs.

Je pose un pied dans le laboratoire et mon œil est aussitôt attiré par la raison de notre bataille.

Sur une table pont, dans une boîte en verre scellé se trouve un cœur bionique.

On appelle ça un noyau. Le Noyau, ce n’est pas un vrai cœur. C’est juste un foutu moteur. Il les maintient en vie, mais ils ne sont pas vivants.

Il ne pompe rien. Il n’y a pas de sang qui circule, pas de pouls, rien.

Ils ne saignent pas. Leur corps est rempli d’un liquide clair, une sorte de gel conducteur.

Il ne transporte ni l’air ni les nutriments, juste de l’énergie.

Ça fait bouger les muscles, ça garde le cerveau éveillé, mais ça ne remplace pas la vie.

Tout marche à l’électricité. Le Noyau envoie des impulsions dans leur système nerveux, comme un programme.

Et le pire ? Tout est relié au Réseau Central. Le gouvernement peut modifier la fréquence, les calmer, les activer, ou les cramer de l’intérieur si ça leur chante.

C’est pas un cœur, c’est une laisse invisible.

C’est pour ça qu’ils ne ressentent rien. Sans cœur, le corps bouge mécaniquement grâce, ou à cause, d’impulsions.

Le cerveau est toujours là, mais ils sont pratiquement morts.

– Caïn ?

Sab me ramène à la réalité par une main sur mon épaule et je desserre automatiquement mes poings.

Nous sommes très peu à savoir tout ça. La plupart des delta, comme Hope et moi, ne savent pas pourquoi les autres n’ont plus de sentiments.

J’avance jusqu’au fond de la salle accompagné par Sab. Le sergent Rohn nous attend. Assis à son bureau, il est penché sur des tas de dossiers éparpillés.

Il a la double casquette: soldat à temps plein et scientifique dans ses heures perdues.

J’essaye d’éviter du regard les plans détaillés du réseau central et me concentre sur la voix de Rohn.

– Ah, Caïn, te voilà.

Ils échangent un regard inquiétant que je préfère ignorer.

Je déteste qu’on prenne des pincettes avec moi. Je peux tout endurer.

Je prends les devants face à ce silence insoutenable qui s’installe.

– N’essayez pas de me ménager. Est-ce qu’on peut intégrer les jeux, oui ou non ?

– Nous avons réussi à récupérer les plans grâce à notre source. Malheureusement, nous n’avons toujours pas réussi à trouver un moyen de les sauver et…

Je ne laisse pas Sab finir sa phrase et la coupe aussitôt.

– Peu importe, j’irai.

Ils échangent de nouveau un regard que je ne peux pas supporter.

J’ai toujours été mis dans la confidence alors pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’ils me cachent quelque chose ?

– Caïn, même si tu te fais capturer, il n’est pas dit qu’ils décident de te balancer dans les jeux. C’est très risqué tu pourrai simplement finir dans les cachots et tout ça n’aurait servi à rien.

Je tourne maintenant en rond comme un lion en cage.

– Alors, quoi ? On fait rien ? On les laisse continuer leurs expériences ?

Je m’arrête et me masse les tempes. Ma tête va exploser.

– On va juste les laisser poursuivre cette maltraitance et rester cachés toute notre vie ?

– Je travaille tous les jours avec… pour trouver un remède, je te le promets.

Rohn s’avance vers moi et pose une main sur mon bras mais je recule. Je ne veux pas de cette fausse compassion.

– Caïn… même si tu réussis à désactiver le noyau central, tu vas juste tous les tuer définitivement et c’est ça qui n’aurait servi à rien justement !

Je ne veux pas m’avouer à moi-même que ma vue devient flou d’un coup. C’est irréel.

Des fois je me demande si ce ne sont pas eux, les chanceux. Ceux qui ne ressentent rien.

Je m’éloigne et retourne sur mes pas, vers la sortie. J’entend des pas mais pas ceux de rohn. Ceux-là sont beaucoup plus doux.

Sab me retient par le bras.

– Laisse-nous un peu de temps.

Je ne la laisse pas finir mais elle n’a pas l’air d’accord avec moi.

– Ecoute-moi ! Nous allons trouver un moyen de remplacer leur noyau. Il y a forcément quelque chose que nous pouvons faire pour limiter les dégâts.

– Alors dépêchez-vous.

Elle a alors un mouvement de recul que j’ignore.

– Les jeux sont dans un mois. Donc utilisez ce temps à bon escient.

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