Chapitre 11

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Hope

Ce matin, je me réveille en sursaut, la boule au ventre et la peau perlée d’une fine pellicule de sueur.

À l’étage des dortoirs, le plus haut de tous, personne ne semble partager mon sentiment.

Je m'assieds sur mon matelas, la tête dans les épaules, et prends une grande inspiration. Je ne veux pas penser au songe qui m’a tiré du lit.

Je ne veux plus y penser.

Voilà quatre jours que je suis ici. Je ne suis pas habituée à l’odeur de sueur et de pluie qui flotte sans arrêt dans l’air.

Le temps est toujours gris et les soldats s’entraînent sans faire une seule pause.

Je me sens comme une tâche et ça doit changer.

Je me lève et saisis les vêtements qu’on m’a donnés en arrivant ici. Fini les uniformes blancs et aseptisés.

Après un tour dans la salle de bain commune, j’enfile le tissu noir près du corps en haut comme en bas.

La couleur se fond avec le noir de mes cheveux et je me dis soudain que je les trouve trop long.

À ce moment-là, c’est sûrement une pensée surfaite et superficielle mais je me dis une chose: si je veux avancer, je dois changer.

Une nouvelle hope, toute neuve avec des sentiments et l’envie de s’en sortir.

Il m’est pas difficile de trouver une paire de ciseau dans cet endroit plein à craqué d’armes de toutes sortes.

Je vais pour la deuxième fois dans la salle d’eau et croise pour la première fois depuis l’hôpital mon regard dans le reflet.

J’évite de croiser l’océan que sont mes yeux. Mon teint est dangereusement pâle et ma pensée se confirme quand je pose les yeux sur mes cheveux.

Je les sépare en deux et attrape mes pointes pour les couper sans y réfléchir à deux fois en me disant que ça repoussera de toute façon.

J’ai une frayeur lorsque je percute une surface solide en sortant de la pièce.

– Bonjour, tu dois être Hope !

Une fille me prend par le bras tandis qu’un homme met le sien autour de mes épaules.

– Sab nous a demandé de venir te chercher, tu comptes sauter le petit-dej’ tous les jours ?

– Euhh…

– Ne fais pas attention à lui. Moi c’est Eléonore et lui Ryan mais tu peux nous appeler Léo et Ry c’est tout aussi bien !

Je n’ai jamais vraiment été à l’aise avec le contact physique mais j’essaye de faire exception le temps du trajet jusqu’au réfectoire.

Heureusement, ils ne me forcent pas à prendre l’ascenseur.

Léo et Ry me conduisent jusqu’à une table un peu à l’écart du réfectoire. Le bruit autour me bouscule encore, les conversations qui fusent, les éclats de rire, les plateaux qui s’entrechoquent.

C’est tellement vivant. Presque trop vivant pour moi, qui viens d’un lieu où chaque son était contrôlé.

Léo joue avec sa cuillère, comme si elle hésitait à lancer une question. Puis elle me regarde droit dans les yeux.
– Hope… tu viens d’où, exactement ?

Mon ventre se noue aussitôt. Je sens mes doigts devenir moites sous la table.
Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas comment dire.

Ry, lui, incline légèrement la tête vers moi avec un sourire sincère.

– Tu peux nous le dire. On sait tous ce que ça fait d’être nouveau ici, mais on s’y habitue je te le promet.

Il se gratte la nuque tandis que je sens mes joues s’échauffer.

– Enfin bref, on a chacun nos trucs bizarres derrière nous. Rien ne nous surprend vraiment.

Cette phrase me réchauffe. Mais agréablement cette fois. Pour une fois, je me sens autorisée à dire quelque chose de vrai.
Pas tout. Mais un morceau.

– Je… j’étais dans un hôpital, dis-je doucement. Une aile spéciale. Ils faisaient des tests. Beaucoup. J’avais pas trop le droit de sortir.

Je relève la tête, prête à affronter le dégoût, la méfiance… n’importe quoi.

– Enfin… Je ne suis jamais sortie, en fait.
Mais Léo fronce les sourcils, pas contre moi : contre ce qu’on m’a fait.
Ry hoche la tête, grave, comme s’il comprenait beaucoup plus que je ne le pensais.

– Ouais, ça colle à ce qu’on a tous vécu d’une manière ou d’une autre, murmure Ry. T’es pas la seule à avoir été enfermée.
– Et t’es plus là-bas, ajoute Léo. C’est ce qui compte.

Je respire un peu mieux. Je sens mes épaules s’abaisser. Je n’ai jamais été aussi honnête devant quelqu’un.

Puis, soudain, l’ambiance change autour de nous. Les chuchotements, les regards, comme une vague invisible.
Je relève la tête. Caïn vient d’entrer dans le réfectoire. D’un coup, l’air semble s'épaissir et je deviens encore plus consciente de ce qui m’entoure.

Mon cœur rate un battement. Une chaleur étrange me traverse quand nos yeux se croisent. Il ne sourit pas, il ne montre rien… mais je sens qu’il m’a vue.

Il marche vers nous. Droit. Calme. Intimidant. Ry blêmit.
– Bon… on euh… Je crois qu’on a fini, nous.

Ry se lève et arrache presque le bras de Léo pour qu’elle le suive.

– Ouais, on va aller s’entraîner. A plus tard Hope !

Ils filent presque en courant, me laissant seule à table au moment où Caïn s'assit juste en face de moi.

Il pose son plateau avec un calme parfait. Pas un mouvement de trop.

– Ils fuient toujours quand j’arrive, dit-il sans me quitter des yeux.

Je tente un sourire.

– Ils sont juste… impressionnés.

– Et toi ? demande Cain.

Je cligne des yeux, prise au dépourvu.
– Moi ?

– Oui. Tu es… impressionnée ?

Je sens mes joues chauffer. Je déteste que ça se voie.
– Je devrai ?

Il incline légèrement la tête, comme si ma réponse l’intéressait vraiment.

– Tu dois faire attention à Ry.

Je relève aussitôt les yeux de mes œufs auxquels je n’ai pas touché. Je le questionne du regard, l’air dur.

– Léo est gentille mais même si elle a toujours été attachée à lui… lui ne s’empêche pas d’aller voir à gauche et à droite.

Je baisse les yeux. Je ne sais pas quoi répondre à ça. Je ne veux pas qu’il fasse fuir les seuls amis que je commençais à avoir.

– Ils veulent juste m’aider.

Cain se penche légèrement vers moi.
– Ryan ne veut pas juste t’aider. Il a trouvé une nouvelle proie parce que t’es différente. Et que ça se voit.

– Je ne pense pas que tu aies quoi que ce soit à dire sur le sujet.

Il me fixe avec une intensité qui me traverse jusqu’au fond de la poitrine.
– Non c’est vrai. Je n’ai rien à dire. N’empêche que je veux seulement te protéger.

Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais même plus respirer.

– Je ne suis pas sûre que me forcer à me battre soit très protecteur.

Caïn soupire et je ne devrais pas mais une partie de moi s’en veut de lui reprocher quelque chose alors qu’il m’a sauvé de cet endroit.

Je n’y croyais pas avant mais je le sais, je suis libre maintenant. Mais ça ne m’empêche pas d’être contrariée.

– Je veux justement te protéger en m’assurant que tu ne seras pas blessée.

– Qu’est-ce que ça peut te faire de toute façon ? Ça fait moins d’une semaine que j’ai atterri ici.

– Est-ce que ça signifie que je dois te détester ? Parce que je ne te connais pas par coeur ?

J’ai soudain la sensation d’étouffer et je commence à me relever mais Caïn me retient.

– Ecoute, je suis désolé pour ce que je t’ai dis hier.

Je le regarde sans répondre, je suis dépassée par la situation et on ne m’a jamais demandé pardon avant.

Pour moi, chaque action a une conséquence fatale, il faut sans cesse faire attention à nos moindre faits et gestes.

– J’ai parlé sur le coup de l’énervement. Évidemment que tu ne sais pas rien. Tu as vécu l’enfer et on ne doit jamais entrer en compétition pour déterminer celui dont les traumatismes sont les pires.

Je le regarde manger, incapable de bouger. Une partie de moi voudrait se lever, m’échapper, retrouver l’air connu de mon dortoir.

L’autre reste clouée à cette chaise, comme si sa présence me retenait par un fil invisible.

Je baisse finalement les yeux vers mon plateau. Je n’ai pas faim, mais je pique dans mes œufs pour faire semblant.

Caïn relève la tête vers moi à ce moment-là. Je sens que je suis observée. Pas comme un objet d’étude. Pas comme à l’hôpital. Mais comme… quelqu’un. Et c’est presque pire pour moi.

– Tu t’es coupé les cheveux.

Ma fourchette s’arrête net.

– Ça se voit ?

– Bien sûr que ça se voit. Avant, ils t’arrivaient… là.

Il touche sa propre clavicule d’un mouvement précis. J’ai presque l’impression que c’est moi, qu’il touche. Mon ventre se serre.

– Et maintenant… Ça te va mieux.

Je détourne le regard. Je ne suis pas habituée aux compliments. Je me rends compte d’à quel point il m’observe.

Je ne sais pas si son intention est gentille ou dangereuse. Peut-être un peu des deux.

– J’avais besoin de changement.

– T’en as pas fini avec ça.

Je comprends qu’il ne parle pas de mes cheveux, évidemment.

Je relève les yeux. Ils croisent les siens. Ses pupilles ont cette intensité qui me donne envie de fuir et de rester à la fois.

Le silence tombe entre nous. Mais ce n’est pas un silence vide. C’est un silence qui pèse, qui brûle un peu. Je n’ai jamais eu ça avec personne. Ça m’effraie, parce que je ne sais pas quoi en faire.

– Comment te sens-tu ici ?

Il a posé cette question calmement, presque avec une nonchalance forcée.

Il ne me regarde plus et se contente de se servir un verre d’eau, évitant mon regard.

– Je n’ai pas encore d’avis.

J’avoue que je ne me suis pas encore faite à ce bruit, mais en même temps à ce silence et cette absence de devoir.

– Tu dors mal.

Ce n’est pas une question mais une affirmation. Je me contente de le regarder, la bouche entrouverte incapable de prononcer un mot.

– N’oublies pas que c’est moi qui t’ai sortie de là. Je me souviens parfaitement la manière dont ils t’ont laissée.

Cette phrase sonne une menace mais pourquoi sonnerait-elle comme ça ?

Je ne comprend pas son besoin de me protéger, de savoir si je dors bien la nuit, d’éloigner les hommes de moi.

– Pourquoi tu fais ça ?

Il suspend tous ses gestes, les sourcils levés, comme s’il se posait la question lui-même.

Ses yeux se posent sur mes lèvres et il entrouvre les siennes mais nous sommes soudain interrompus.

Une femme qui est tout mon contraire, grande aux longs cheveux blonds et soyeux avec des yeux de biche s’approche.

Au même moment, Léo et Ryan sont rappelés par des soldats pour rester dans le réfectoire. En fait, personne n’est autorisé à sortir.

Elle pose sa main sur l’épaule de Caïn et lui souffle quelque chose à l’oreille, quelque chose que je n’entend pas.

Tout d’un coup, j’ai moi aussi envie de savoir s’il dort bien la nuit, mais aussi d’éloigner les femmes de lui.

Après un regard, il s’éloigne sans un mot.

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