2. Tempête intérieure

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Ma mère était partie pour sa soirée. Je n’avais pas relancé de série sur l’écran. Je m’étais posée à la fenêtre de ma chambre avec un Coca-Cola, sans trouver l’appétit. D’avoir été humiliée devant les deux filles me restait en travers du cœur. Pourtant, en regardant l’horizon sombre qui écrasait le soleil, je ne pouvais que donner raison à ma mère. J’étais une lamentable chercheuse d’emploi. Rien de ce qu’on me proposait ne m’intéressait. Je fuyais les postes de caissière, traumatisée par un job d’été pitoyable. Quant à ceux qui correspondaient à mon niveau d’étude, ils n’avaient pas de sens. Rien… Absolument rien ne m’intéressait. Je ne demandais pas à vivre comme une héroïne de série, mais j’attendais autre chose de la vie qu’un train-train de labeur.

La brise était lourde, et annonçait un été où le pyjama plaid deviendrait plus chaud que confortable. Je retournai à l’intérieur, ma canette vide, en me faisant violence pour ne pas en reprendre une. Trop de sucre n’était pas bon pour ma ligne et trop de caféine m’empêcherait de dormir.

J’avais parcouru la maison, ressassant cette discussion désagréable. Elle martelait dans ma tête. Ma mère ne m’avait jamais proposé de participer à ses soirées, c’était son truc à elle. Je regardais ça de loin sans vraiment comprendre l’intérêt qu’elle y trouvait. Elle s’était sans doute dit que si j’avais voulu m’y lancer, je lui en aurais parlé.

J’arrivai dans sa chambre. Le tonnerre grondait au-dessus de notre lotissement et le vent se levait. Je fermai la fenêtre et regardai son lit défait. Son atelier de confection et de couture était grand ouvert, la lumière encore allumée. Combien d’heures passait-elle ici ? Je ne me rappelais plus à quel âge, j’avais découvert son hobby. Déguiser ses poupées, c’était sa passion. J’étais certaine qu’elle n’avait pas voulu m’humilier. Pour elle, la nudité, ça s’exposait. Elle voulait juste déclencher un électrochoc pour que je me bougeasse, et que je prisse ma vie en main.

Je longeai le couloir et fermai la fenêtre de ma chambre. Un nouveau coup de tonnerre fit vibrer l’obscurité. J’appuyai sur la télécommande du volet roulant alors que les premières gouttes de pluie commençaient à tomber. Dix secondes plus tard, le déluge battait le PVC.

Il était une heure du matin. Assise sur mon lit, je regardais mon téléphone, sans savoir quelle application choisir. Je comptais les amis prêts à m’héberger sur les doigts de la main. Aussi peu nombreux étaient-ils, ils étaient des gens de valeur. Mais ce n’était pas le logement qui m’inquiétait. C’était de ne pas sortir de ce cercle d’ataraxie et de devenir un boulet pour mes propres amis. Si j’allais vivre chez eux, je n’aurais pas le choix que de prendre le premier boulot venu. Après trois années à faire la fine-bouche, ça aurait été stupide. Surtout si à côté, je pouvais me faire mille euros, juste pour passer la soirée à poil à côté d’un inconnu. Mille euros, je pouvais en faire ce que je voulais. Si je décidais de participer à toutes les soirées de cet été, j’avais un potentiel de gain à dix mille euros. Dix mille euros !

J’abandonnai mon téléphone et me levai. Mon esprit moulinait, j’avais besoin de marcher.

Deux heures du matin. J’étais encore sur les nerfs, incapable d’ôter cette idée de la tête : participer. J’enfilai un short-cycliste noir, une brassière blanche, puis marchai pieds nus en direction du garage que ma mère avait transformé en salle de sport. Sans allumer la lumière, juste à la lueur du couloir qui parvenait jusqu’à moi, je ramassai ma corde à sauter et j’activai Kavinsky dans mes oreilles.

Trois heures du matin. La musique électro tournait en boucle, je suais comme une vache… si une vache pouvait transpirer. Mais mon esprit était clair. Je voyais les choses avec limpidité. Connaissant le caractère de ma mère, jamais elle ne reviendrait sur ce qu’elle avait dit. Et maintenant qu’elle avait pris contact avec le façonneur, elle prendrait comme un affront que je ne vinsse pas au rendez-vous. Je savais que je pouvais dire non, mais j’étais décidée. Mille euros pour faire la potiche cul et seins nus, ça me rebutait, mais ça ne m’effrayait pas. À côté, le job de caissière me paraissait plus avilissant.

Tant que j’avais l’assurance qu’il n’y avait rien de sexuel dans ces soirées, je pouvais m’y préparer, me laisser maquiller et coiffer par un inconnu et parader en œuvre vivante avec d’autres. Si le façonneur était un jeune homme, ce n’était peut-être pas un pervers gras du bide comme je l’imaginais. Avec un peu de chance, c’était un gay, comme on se faisait de l’image des couturiers.

Trois heures et demi. J’essayais malgré tout de chasser ce sentiment désagréable d’être vendue comme un jouet à un autre collectionneur. Je savais comment ma mère préparait ses poupées. Il n’y avait rien de malsain, elle en prenait soin. Cela faisait cinq ans que les jumelles revenaient. Si ma mère, elle-même femme, acceptait ce genre de soirées, c’est qu’elles étaient moralement défendables. Et c’était mille euros en quelques heures.

J’arrêtai de sauter, exténuée, ruisselante et je coupai la musique. Les phares de la voiture de ma mère éclairèrent les vitres structurées de la porte de garage. Moi qui avais espéré ne pas la croiser. Les clés bruissèrent dans la serrure, et Maman suivit la lumière du couloir, une grande coiffe allongeait sa silhouette

— Laëtitia ?

— Quoi ?

— Tu ne dors pas ?

— Non. Je profite une dernière fois de la salle de sport.

Elle appuya son épaule nue contre le mur, fatiguée. Son maquillage faisait reine égyptienne. Un petit cobra doré cernait le bas de sa coiffe. Elle demanda :

— Tu ne viens donc pas rencontrer le façonneur ?

— Je n’en sais rien.

Elle pinça les lèvres en m’observant, pas plus agacée que ça de ma réponse. Je passai à côté d’elle en observant sa longue robe-fuseau blanche et le large collier plaqué or et serti de fausses émeraudes.

— Rencontrer ce jeune façonneur ne t’engage à rien.

— Je vais y réfléchir.

— J’ai invité Dorothée à prendre le café demain matin.

Trouvant prématuré de faire venir son esthéticienne, je m’agaçai :

— Je n’ai pas encore dit oui !

— Ça n’empêche pas de faire un rafraîchissement.

Je soupirai en la rejetant d’un signe de la main et montai les escaliers pour rejoindre la salle d’eau. Je me plaçai directement sous les jets. J’avais besoin d’une eau tiède, limite froide pour récupérer. J’ôtai ma brassière, puis déroulai le short-cycliste jusqu’à mes chevilles. J’observai mon profil dans l’armoire de toilette au travers de la vitre. Je dressai les épaules pour remonter ma poitrine. Je n’étais pas un standard de magazine, mais j’avais assez de recul pour me trouver jolie. La curiosité et l’argent facile me tentaient. Rencontrer ce jeune façonneur ne m’engageait à rien. Me dénuder une fois, devant un inconnu, ça pouvait se tenter. Et il fallait bien se lancer devant une personne avant de le faire devant plusieurs.

Mille euros, puis deux mille, et ce jusqu’à dix-mille.

C’était décidé. J’allais le faire. Je laissai donc les repousses clairsemées sur mon pubis, Dorothée s’en chargerait.

Dix mille euros.

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