9. Naissance d'une poupée

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Le temps était à la grisaille. La bruine brouillait le parebrise de la voiture. Je demandai :

— Comment font les filles qui ont leurs règles ?

— Elles mettent un tampon. Quelle question !

— Mais la ficelle ?

— Tu la coupes.

Cela semblait tellement évident dans sa façon de le dire. Je préférai ne pas poursuivre la conversation. Si cela devait m’arriver, est-ce qu’Arcan avait prévu des poches dans son costume pour mes tampons, et une pince pour aller les chercher ?

Claquette à la main, baskets aux pieds, je descendis de la voiture de ma mère. J’avais gardé le jean moulant, mais enfilé mon sweat-shirt à capuche gris. Je montai les marches tandis qu’elle s’éloignait, puis je pressai l’interphone. Arcan déverrouilla sans me répondre. Je montai la marche deux par deux jusqu’au quatrième étage, puis je frappai à la porte. Quand il m’ouvrit, des yeux fatigués vieillissaient son visage. Je lâchai une voix enjouée :

— Bonjour !

— Bonjour, Muse.

— Vous avez l’air fatigué.

— J’ai passé la nuit sur ton masque. Je vais le chercher. Fais ton chignon.

Laissée dans le salon, j’otai mes vêtements. Il revint alors que je me chaussais. Je me levai du canapé et nouai mes cheveux derrière ma tête. Il resta stoïque, mais un peu surpris. Je lui dis :

— Je pensais qu’on allait faire l’essai complet.

— Ferme les yeux. J’ai mis du talc dedans, ne t’étonnes pas.

Il appliqua sur mon visage la cagoule de latex. Cette dernière couvrait mes joues, mais laissait libre tout mon menton, laissant émerger mon nez. J’étais à nouveau aveugle. Il fixa la longue chevelure en chaine de vélo, elles battirent dans le creux de mon dos. Il marmonna entre ses dents :

— Merveilleux. Ne bouge pas, je vais te mettre du noir à lèvres.

Je sentis le lipstick appuyer sur mes lèvres. Lorsqu’il finit, je les pinçai et son pouce vint essuyer la commissure de ma bouche. Ce contact pourtant si anodin me fit vibrer toute entière.

— Il faut que tu voies ça. Tu peux retirer le masque.

— Je ne risque pas de l’abimer ?

— J’ai fait en sorte que tu puisses l’enlever n’importe quand.

Je le soulevai délicatement, sentant le poids des chaînes le tirer vers l’arrière. Il me tendit mes lunettes et tourna son téléphone vers moi. Il avait fait mon portrait. Le masque n’était pas d’un noir total, mais d’un gris anthracite, ce qui permettait à la lumière de mettre en valeur le sentiment que dégageait le masque. J’observai ces yeux avec ces sourcils creusés en supplice qui détonnaient par rapport à ma bouche inexpressive. Du front, comme deux cornes, deux chaines de vélo partaient de la structure vers l’arrière de la tête. Du milieu du crâne, six autres surgissaient, comme des tresses africaines. Les huit chaines se mélangeaient aux cheveux derrière mon crâne.

— C’est une bonne idée, les deux lignes.

— C’est pour cacher un accroc. Mais je me suis bien rattrapé.

— Du coup, tout le costume est complet ?

— Impatiente ?

— Très.

— Je vais chercher le reste.

Il s’éloigna. Je posai mes lunettes et remis le masque de latex sur mon visage. Je ne l’entendis pas revenir, et je sursautai en entendant sa voix à dix centimètres de mon visage.

— Attends, il faut que ça épouse bien.

Ses doigts, appliquèrent le masque, puis descendirent sur mon cou. Il attacha le collier métallique dont il avait comblé le sillon. Il me remit la laisse en chaîne de vélo entre mes mains. Il souleva délicatement mon bras, enfila mes doigts au travers des bagues avant de verrouiller la coudière. Il appliqua consciencieusement du vernis noir sur mes ongles. Il fit le second bras, puis s’agenouilla. Ses doigts levèrent mon mollet alors que son souffle caressait ma cuisse. Mon pied se logea dans les escarpins. Et il referma la première genouillère. Je me redressai sur un pied ma main sur son épaule pour qu’il chaussât le second pied.

— Parfait. Prends l’allure et avance vers moi, même si ça se détend, je vais te filmer.

Il s’éloigna de deux mètres. La laisse m’indiqua d’avancer, alors j’obéis, ravie de jouer à nouveau. Il recula, me laissant avancer.

— Stop. Tu peux retirer le masque.

J’obéis, à regret que le jeu fut si court, et il me tendit mes lunettes. Il montra alors la vidéo de trois secondes qu’il venait de réaliser. Les pièces retravaillées avaient été peintes de noir et la peinture avait été brossée pour faire ressortir le métal et le vieillir. Il y avait une patte d’artiste indéniable, et très érotique. L’expression du masque et la nudité se confondaient dans quelque chose qui balançait entre le malaise et la fascination. Je lui dis :

— C’est génial.

— J’ai mieux. Si tu me laisses te peindre. — J’opinai du menton. — Je vais devoir toucher toutes les parties de ton corps.

Si seulement, il savait combien j'en avais envie.

— D’accord.

— On va à l’atelier.

— Attendez.

Je posai mes lunettes et remis le masque. Je sentis son sourire dans la voix quand il réajusta la cagoule.

— T’es joueuse.

— C’est mieux pour que vous me peigniez.

Il tira la laisse et je le suivis jusqu’à l’atelier. Lorsque nous fûmes dans l’atelier, je l’entendis agiter une bombe de peinture et il me dit :

— Tends le bras. C’est de la peinture alimentaire noire. Je veux qu’on ait l’impression que tu sortes d’une fournaise.

J’obéis en prenant la position d’un T. Il m’aspergea alors le corps tout entier. Le spray était humide, froid, je n’y pris aucun plaisir. Lorsqu’il eût terminé, il essuya mes bras avec un chiffons, en appuyant lentement. Il me dit :

— Tu peux poser les mains sur la tête.

Cette position me donna l’impression de me donner à lui. Son chiffon passa sur mes aisselles, puis descendit au fur et à mesure sur ma poitrine. Silencieuse, je savourais sa gestuelle délicate. Sa main libre venait faire contre-pression tandis qu’il descendait sur le ventre. Je retins ma respiration lorsqu’il passa sous le nombril. Son chiffon comprima mon pubis. Sa main libre se posa à l’arrière de ma cuisse, et il longea mes jambes. Il ne pouvait s’en doute pas se rendre compte, mais j’étais intérieurement humide. Il fit le tour et recommença depuis mes épaules, descendit dans le creux de mon dos, puis il étira la peinture sur mes fesses, appuyant plus fortement pour lutter contre le séchage. Je pensais qu’il avait terminé, mais sans dire un mot et alla à son établi, et un pinceau humide dessina sur mes omoplates. Il s’attarda ensuite sur chaque vertèbre, avant de revenir de face. Le pinceau commença sur mes joues, diffusant une odeur de solvant, sur mes clavicules, puis il chatouilla mes tétons, visita mon nombril, pour terminer en électrisant mon Mont de Vénus. J’inspirai un grand coup pour contrer la montée de l’excitation.

— Désolé, dit-il.

— Pas grave.

— J’ai terminé.

Il posa ses pinceaux, puis il y eut un grand silence. J’attendis jusqu’à ce que l’absence commençât à m’angoisser.

— Vous êtes encore là ?

— Je regarde.

— Vous êtes insatisfait ?

— Bien au contraire. Ne bouge pas, je vais m’habiller. Je ne voudrais pas que tu me voies nu.

J’esquissai un sourire, saisie par une certaine frustration. Chaque son de vêtement que j’entendais débridait mon imagination. J’entendis ensuite ses pas quitter l’atelier. Puis il revint, et sans un mot, il tira la laisse. Un peu surprise je rattrapai mon déséquilibre puis le suivis dans le couloir. Nous regagnâmes le salon, puis il s’arrêta. Il ramassa quelque chose sur le comptoir, puis il tourna lentement autour de moi. Un bip de fin de vidéo me fit comprendre qu’il avait filmé. J’entendis le bruit de nos pas se rapprocher lorsqu’il regarda la vidéo puis il conclut :

— Tu peux enlever ton masque.

Je m’exécutai. Je sentis sous mes doigts les lunettes qu’il me donnait, et une fois que je les eux chaussées, il posa son téléphone sur le comptoir. Il avait laissé l’enregistrement filmer notre arrivée. Je devais reconnaître que nous nous accordions bien. La coupe similaire de notre masque sur notre visage nous donnait l’impression d’appartenir à la même faction. Il portait son grand bâton, la lanterne allumée. Ensuite, sa caméra fit le tour de moi, variant les angles. Je découvris ma peau brillante comme si elle avait été huilée, couverte de grosses traces noires estompées qui rappelaient le cambouis. C’était comme si je sortais d’un baril de pétrole. Son pinceau avait tracé un sillon sur mes joues, comme si deux larmes avaient ruisselé et chassé le noir. Je me surpris à trouver mes fesses magnifiques, et je me sentis confuse en voyant combien mes tétons étaient tendus. Nous comparant à ce que j’avais pu voir dans les books, je lui dis :

— On va gagner, c’est sûr.

Mon avis le fit sourire. Il posa son chapeau, retira sa cagoule. Il s’était peint les orbites et les paupières en noir pour que ses yeux se confondissent avec le masque. Il prit la laisse et me dit :

— Viens.

Il me tira à travers le couloir jusque dans la salle de bains. Je lui dis :

— C’est plus amusant quand on ne voit pas.

— J’ai noté que t’aimais ça.

Je plaquai mes mains sur mes mamelons. Il passa sa main devant son visage pour cacher son amusement, et me désigna la serviette.

— Tu peux prendre ta douche, ça s’enlève facilement. Serviette, gant. Je t’apporte tes vêtements.

— D’accord.

Il quitta la pièce, alors je commençai à défaire les accessoires sur mes bras. Je défis mes genouillères et déverrouillai les escarpins. Un des avantages, c’était qu’il n’y avait pas grand-chose à enlever. Je cherchai du bout des doigts comment ma chevelure était emprisonnée lorsqu’il arriva. Il déposa mes vêtements sur une chaise en me disant :

— Attends.

Je le laissai passer dans mon dos pour me libérer les cheveux. Ses doigts glissèrent délicatement sur ma nuque et il ouvrit le collier. Je trouvais que je ne l’avais pas assez porté, j’aurais voulu répéter. Je pénétrai dans la vaste cabine, me qualifiant intérieurement de névrosée. Je fermai la paroi de verre alors qu’Arcan s’était tourné face à la vasque. Il démaquilla ses yeux, ensuite, il quitta la pièce, sans un regard vers moi, me laissant un sentiment de vide. J’aurais aimé qu’il restât à me regarder, à me parler, et qu’il me tendît la serviette. Il était trop gentleman pour ça.

C’est seule avec mes pensées impures, que je me débarrassai de ce qu’il restait de peinture noire. Je voulais de lui juste un peu plus de tactile, mais comment lui dire ? Comment lui dire sans qu’il ne prît ça pour du masochisme dur ? Après tout, il restait un inconnu. Ça ne faisait que quatre jours que nous passions ensemble. Ce n’était pas parce qu’il faisait la cuisine qu’il était le compagnon idéal. Et il fallait que je n’oubliasse pas notre âge. Peut-être me voyait-il uniquement comme une gamine. Quel âge pouvait-il réellement avoir ? Quarante ? Trente-huit ? Peut-être que si je lui posais des questions sur son passé pourrais-je mieux l’évaluer ? Mais pourquoi m’intéressais-je à lui ? Pourquoi me faisait-il tant d’effet ? Était-ce un artifice créé par mon esprit parce que je lui confiais mon corps ? Ou était-ce vraiment le genre d’homme fait pour moi ?

Je coupai l’eau, m’enveloppai dans la serviette. Toutes ces interrogations me faisaient mal au point que j’avais envie de pleurer. Je n’avais pas envie de me poser de question. Je voulais juste vivre le moment présent, profiter de sa compagnie et tant pis si l’absence de contacts sensuels était frustrante.

Je m’habillai, essuyai le noir sur mes lèvres, puis je le rejoignis en souriant parce que mes socquettes sur le parquet ne faisaient pas de bruit. Il avait revêtu son t-shirt noir et son jeans. Il était en train de cuisiner. Il remarqua :

— Quel sourire !

— Je viens de penser à votre voisine.

Il posa les yeux sur mes socquettes et sourit. Je m’approchai et regardai par-dessus son épaule en déclarant :

— Ça sent bon.

— Nous sommes jeudi. Le jeudi, c’est gnocchis.

— Tous les jeudis ?

— Oui. Dans différentes variations d’une recette de ma maman, avec de la tomme du fromager d’en face, et une petite salade de mâche du jardin de mon père. Le tout en quantité réduite pour ne pas voir des petits boutons apparaître sur ma poupée.

— En effet, ça pourrait être disqualifiant.

Je humai son odeur, m’imaginant en couple avec lui. Réalisant que je réagissais comme une ado, je marchai vers la table en me traitant de folle. Je mis la table pour m’occuper l’esprit, me ramenant malgré-moi vers l’image d’une vie de couple. Il déposa les gnocchis et disposa les feuilles de mâche. Lorsqu’il s’installa il proposa un verre de vin rouge.

— Nous l’avons mérité ?

— Je ne suis pas très rouge.

— Il est très fruité. Je te fais goûter.

Il remplit le fond de son verre, trempa ses lèvres. Satisfait, il remplit le fond du mien et me laissa goûter. C’était un vrai jus de raisin tellement il était doux et sucré.

— Ah oui. Ce n’est pas mauvais.

Il sourit, remplit les verres, s’installa et nous trinquâmes.

— On a fini avec deux jours d’avance.

— Oui.

J’étais touchée qu’il dise « on », même si ça me gênait. Le mérite lui revenait entièrement, je ne faisais que porter son œuvre. Il entama son plat et la conversation.

— J’’ai regardé des vidéos de compétition de corde à sauter. C’est très impressionnant. Tu penses que si ton personnage avait du succès, tu pourrais faire un spectacle avec une chaîne malgré les talons ? — J’opinai du menton en retirant la fourchette de ma bouche. — Ce serait pour une prochaine fois.

— Mais si je saute, je préfèrerais avoir une brassière.

Il hocha de la tête, mâcha son gnocchi et acquiesça :

— Ça a du sens. Pour le moment se sont des idées en l’air. Si nous faisons un bide, ça n’aurait pas de sens de continuer avec ces personnages. Mais si nous touchons les gens, alors je pense que je serais incapable de me séparer de ce concept. Muse et Arcan ce sont les personnages que nous venons de créer. Partir sur quelque chose de différent, ce serait tuer leur personnalité. On pourrait redéfinir des éléments du costume à chaque fois, mais en gardant l’esprit des chaînes et des masques.

— Vous voulez créer un duo qui a une histoire. Pas simplement trimballer une poupée différente à chaque fois.

— C’est une sorte de postérité. Les gens savent qui est Sculpturine car elle se distingue par la présence des poupées jumelles. Nous, il faut que les gens au premier coup d’œil sachent qui nous sommes.

Je souris, appréciant l’évocation de notre duo come quelque chose d’indissociable. Il disait « nous », il m’incluait dans son rêve. Il continua de manger et me dit :

— Désolé, je m’emballe.

— Ça me va. Au moins, je sais que j’ai à faire à un passionné.

— Du moment que tu ne trouves pas mes costumes bizarres.

— Non. Ils sont originaux et bien faits. Je veux dire, super bien faits, ils ne sont pas bizarres. M’exhiber toute nue toute une soirée, c’est ça qui est bizarre.

— Tu appréhendes ?

— J’ai commencé à m’y habituer. Si je ne vois rien, en fait, je pense que ça sera top.

— Tu pourras enlever ton masque si tu te sens oppressée.

— Je crois que c’est l’inverse, je n’oserai pas le retirer.

— T’es à l’aise avec, j’ai remarqué.

— J’aime bien le porter.

— Même si tu ne vois rien ?

— Justement. Je ne me pose plus de question, je vous laisse tirer et faire vos trucs. J’ai juste à attendre. J’aime bien. Avec vous, en tout cas, je n’ai pas peur.

— Tant mieux. Le contraire me peinerait.

Nous terminâmes notre repas. Dégustâmes une verrine de fruits et de fromage blanc. Puis nous rangeâmes la vaisselle tous les deux. Nous prîmes le café au salon en discutant de la soirée.

— Je serai peut-être comme… un peu paralysée des cordes vocales.

— Parce que.

— Quand je suis stressée, je n’arrive pas à parler. Mais même si je ne le suis pas trop, au moins ça m’évite de dire des bêtises. C’est peut-être mieux que je ne parle pas. Muse est un peu une esclave ou une prisonnière.

— Ça colle tout à fait à ma vision de Muse.

N’ayant plus rien à faire, nous discutâmes de tout et de rien. Je réussis à lui faire parler de sa famille, apprendre que ses deux parents étaient en vie, qu’il allait les voir régulièrement et qu’il avait une sœur. Personne, pas même ses amis, ne savaient qu’il essayait d’intégrer un club du genre de celui des façonneurs. Il me confiait qu’il perdrait certaines de ses connaissances féminines si elles apprenaient qu’il avait tenu une fille nue en laisse. Je lui racontai comment ma myopie m’avait conduite vers des sports comme la corde à sauter, mon amour pour certains jeux vidéo et nous glissâmes vers le sujet du cinéma. Arcan était quelqu’un de très critique et du coup, nous nous entendîmes sur l’ensemble de la filmographie que nous avions en commun. Ses inspirations puisaient en partie dans les univers de Tim Burton. C’était souvent les vieux films qui marquaient notre différence d’âge, car je ne les connaissais pas tous. Pour le reste, notre bonne entente me faisait me demander pourquoi nous étions nés avec un écart de vingt ans ou presque. Soit j’étais née trop tard, soit lui trop tôt. Si nous avions fréquenté le même lycée, nous serions sûrement déjà mariés. L’heure tourna et il se leva :

— Et bien, à dans deux jours. Dix-huit heures trente pour me laisser le temps de te peindre ?

— Ça marche. Si ma mère accepte de me déposer.

— T’as mon numéro ?

— Oui.

— Sinon, tu viens plus tôt, tu prends ta douche ici.

— D’accord.

Il me laissa franchir le seuil et referma la porte. Les deux jours allaient me paraître être une éternité. Je descendis les marches et retrouvai ma mère qui attendait. Elle sursauta quand j’ouvris la porte.

— Et bien ! Tu t’es fait désirer.

— Je n’ai pas vu le temps passer.

— Il en est où du costume ?

— Il est fini.

— Je suis curieuse de voir ça, samedi.

— C’est… très cinématographique. Rien à voir avec ce que tu fais.

Elle vit que je souriais.

— Ça a l’air de te faire plaisir.

— Tu verras.

— Je croyais qu’il était débile son costume ?

— Je disais ça pour pas que tu te sentes menacée.

Le visage de ma mère se ferma. Je ris, puis allumai mon téléphone. J’essayai de me rappeler le titre du film qui était sorti quand il avait huit ans. Je parcourus la filmographie de Tim Burton, puis trouvai le titre. Arcan avait quarante-et-un ans. Pile poil vingt de plus que moi. L’écart ne me parut pas vertigineux. Mais savoir quelque chose de lui, me remplit de joie.

— T’as l’air heureuse.

— C’est parce que je suis sûre de gagner.

— Alors là, méfie-toi. Tu n’as pas encore vu les autres filles.

— Non, et je ne les verrai pas.

— Comment ça ?

— Tu verras… ou pas.

— Tu viens toujours à la soirée ?

Saisissant la perche, je mentis :

— En fait, je lui ai dit que son costume était pourri. Donc il se donne deux jours pour le recommencer. Je vais chez lui samedi avant dix-huit heures trente. Si le costume est bon, j’accepte, sinon il attendra la semaine suivante.

Ma mère lâcha un cri de satisfaction. Puis alors qu’elle entrait dans notre quartier, elle protesta :

— Mais t’es une putain de menteuse !

— Quoi ?

— Comment je peux me laisse mener en bateau par ma propre fille !

— Mais quoi ?

— On parle d’Arcan ! Il déborde toujours d’idées ! Jamais il ne fera quelque chose de quelconque ! Comment j’ai pu t’écouter… Une volleyeuse ! Mais il ne fera jamais une poupée volleyeuse !

— C’est un perfectionniste. Tant que ça ne sera pas parfait, il ne viendra pas.

— C’est ça. Essaie de me faire avaler des couleuvres !

Je descendis de voiture.

— Bon, je l’admets, le costume est terminé, il est noir, et il est purement génial. Mais avoue que tu l’as cherché ! Tu n’arrêtes pas de poser des questions, tu te chies dessus.

— Quelle vulgarité ! Et non, je ne me sens pas menacée.

— T’inquiète pas, je ne te mentais pas quand je disais que c’est très cinématographique, univers vidéoludique. Ça n’a rien à voir avec ce que tu fais, et nous ne venons pas pour gagner, juste pour nous présenter. Et je suis méga impatiente que tout le monde nous voie.

— Nous ?

— Arcan et moi.

J’entrai dans la maison. Je l’entendis maugréer avec elle-même.

— Que la meilleure gagne.

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