17. Confidente

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Je pensais avoir trouvé sur Netflix, une pépite qui me permettrait de comprendre mon moi profond. Après avoir regardé Bonding, j’avais éteint l’écran. Aucun des protagonistes ne reflétait ce que je vivais, ce que je ressentais. Je ne m’étais pas prise d’un goût pour le sadomasochisme, je trouvais juste un certain plaisir dans un jeu de domination soft. Pour être honnête, Arcan y était pour beaucoup. Si je l’enlevais de l’équation, jamais je ne retournais à une soirée de poupées. En vérité, il y avait deux facteurs dans l’équation. Un facteur XY surnommé Arcan et un facteur XX qui se faisait appeler Sculpturine. Les deux s’opposaient, comme deux aimants d’une même polarité. Retourner dans une soirée de poupées me mettait mal à l’aise uniquement à cause de ma mère. Je pouvais toujours me balader à poil et ne participer à aucun jeu, c’était dans mes cordes. Mais sa présence rendait la chose complètement différente. J’étais assez ouverte pour comprendre qu’elle aimât les filles, moins à l’aise que l’évocation du jeu auquel j’avais participé lui fît de l’effet. En revanche, je voulais revoir Arcan. Et s’il fallait retourner à une soirée pour pouvoir passer une nouvelle semaine avec lui, alors je ne me posais plus de question.

Il n’y avait personne dans mes amis à qui je puisse me confier, alors l’unique, la seule, ma sœur jumelle dans l’âme, devenait ma seule épaule, comme à chaque chagrin d’amour. Je textai ma cousine Léa :

Moi : Besoin de parler. T’es dispo ?

Best~Léa : Yep. Qu’est-ce qui ne va pas ma poulette ?

Moi : Je suis amoureuse.

Best~Léa : T’es branchée sur Discord ?

Moi : Oui.

Best~Léa : Je me connecte.

Je coiffai mon casque à micro et attendis qu’elle m’appelle. Sa voix m’explosa dans les oreilles :

— Vas-y ! Raconte !

— Salut Léa. Ça va ?

— Ouais, moi ça va. Allez ! Raconte !

— Ben. Je ne sais pas par où commencer. Déjà, c’est un homme.

— Un homme ? Tu as bien dit un homme. Pas un mec ou un garçon. Je sens que c’est grave. Attends, je ferme la porte de ma chambre… C’est bon. Vas-y. Il a quel âge ?

— Quarante-et-un.

— Trop délire ! T’as un sugar daddy ? Genre ventre à bière et calvitie ou genre mono de ski ?

— Genre super bien gaulé.

— T’as une photo

— Non, pas où on voit son visage.

— T’es en train de me dire que t’as une photo de sa bite ?

Je ris.

— Non. Je n’ai pas de photo de lui. Ce n’est pas ce genre. C’est au contraire, un gentleman.

— C’est quoi le problème, ma poulette ? Il est marié ?

— Non. C’est juste que j’avais envie d’en parler à quelqu’un. Et t’es la première personne à qui j’ai pensé.

— Je suis flattée. Mais l’inverse m’aurait fait bader. Vas-y. Parle-moi de lui. Il est comment ?

— C’est… Imagine un corps de boxeur.

— Ça commence bien.

— Les cheveux ras, les tempes très dégarnies.

— Là ça me plait moins.

— Les yeux révolver. Il a un regard. Même dans sa voix. Il a une voix grave très posée. Dès qu’il monte d’un demi-ton, tout le monde se tait. Genre il pourrait tuer un type dans la seconde.

— Je ne sais pas si c’est badant ou sexy.

— Dès fois, moi non-plus. Surtout au début. T’as qu’à imaginer Jason Statham mais qui ne s’énerve jamais, et rasé impeccable.

— T’imaginer avec Jason Statham, ça pourrait m’exciter.

— Ne parle pas comme ça, on dirait ma mère.

— Pourquoi ? Elle parle comme ça, Tata ?

— Je suis… Je ne suis pas fâchée avec elle, mais ce n’est pas la bonne période pour en parler.

— Sérieux ? T’es brouillée avec ta reum ?

— Je ne veux pas en parler.

— Alors dis-moi comment t’as rencontré Jason Statham ? C’est quoi son prénom ?

— Je n’en sais rien.

Elle pouffa de rire.

— Tu le connais au moins ? À part son âge ?

— Je ne connais pas son prénom, mais j’ai passé beaucoup de temps avec lui. Il cuisine super bien. Le mec parfait de ce côté-là. Et il ne veut pas que je cuisine à sa place. Super bon, super diététique, mais si tu veux manger un kebab, y a pas de lézard.

— Tu le connais depuis quand ?

— Maman nous a présentés la semaine dernière, pour un job d’été.

— Donc, c’est ton employeur ?

— Ouais. Je bosse chez lui. Il confectionne des costumes, des masques en silicone.

— Ne me dis pas qu’il fabrique des masques pour les soirées poupées de ta mère.

— Si, c’est comme ça qu’elle l’a connu. À la base, c’est un passionné de cosplay. Et un jour, quelqu’un des soirées de ma mère a vu un de ces costumes, et depuis, il en fabrique à la demande. Là, on est en été, les soirées battent leur plein, il a besoin d’un coup de main.

— Et toi, en une semaine, t’es tombée amoureuse de lui.

Je soupirai d’amour en souris bêtement en pensant à lui.

— Oui.

— Ta mère le sait ?

— Non. Je ne sais même pas si elle le prendrait bien.

— Du moment que ce n’est pas un pervers qui joue à la poupée, pourquoi elle le prendrait mal ? — Je cherchai mes mots pour répondre à côté du sujet. — Ne me dis pas que c’est un de ces types. S’te plaît, ma poulette, ne me dis pas que t’es sa poupée ou un truc dans le genre.

Je cherchai sur mon téléphone une photo de moi. J’en trouvais une où il apparaissait sur le côté, tenant la laisse. La fille à côté de moi, je ne me souvenais plus du nom, mais son masque dissimulait sa potentielle identité. J’envoyai. Ne m’entendant pas, Léa continuait à me supplier.

— Attends, tu ne connais pas son nom, je suis sûre que c’est un truc comme ça. Ta mère t’as fait embaucher chez les pervers.

— Tu serais choquée si je te racontais notre rencontre.

J’entendis son téléphone vibrer. Elle fit rouler sa chaise, puis s’exclama :

— Putain de merde ! C’est toi ? T’es celle du milieu ?

— Oui.

— Non ce n’est pas toi ! Si c’est toi ? Je n’y crois pas ! T’es en laisse ?

— Vaut mieux tenir les Gremlins attachés, sinon ils mangent après minuit.

— Je n’ai pas compris.

— Non, rien, je faisais une private joke à moi-même.

— Et ton crush, c’est le celui avec le chapeau noir, du coup ?

— Ouais.

Je la vis zoomer avec ses doigts.

— Putain de merde ! Comment tu t’es retrouvée là-dedans ?

— Maman m’a dit : accepte le job ou quitte la maison.

— T’aurais pu venir à la maison.

— Ouais, mais je me suis dit pourquoi pas.

— Pourquoi pas ? T’as raison, si on me proposait de me tenir en laisse et me fouetter, je me dirais pourquoi pas.

— Je ne me suis pas fait fouetter.

— Ça viendra. Après la laisse, la boule dans la bouche, et ensuite le fouet. — Je tapotai sur mon téléphone. — Tu fais quoi ?

— Je note mes limites. Les pours et les contre. La boule dans la bouche, pourquoi pas.

— T’es sérieuse ?

— Je viens de me faire quatre mille euros en une soirée.

— Même pour quatre mille, je ne fais pas ça.

Je souris et ayant besoin de parler de tout, je décidai de la choquer un peu en détaillant :

— J’ai pris mille euros pour me balader à poil, deux mille cinq cent euros pour avoir gagné le premier prix. Et cinq cent de plus pour avoir godé une autre nana.

Léa marqua un arrêt, la bouche entrouverte.

— T’es sérieuse ?

— Devine.

— Non, je ne te crois pas.

— Ça n’a duré qu’une minute, et elle a joui.

Je pouffai de rire en voyant son air abasourdi. Elle crut que je plaisantais.

— Tu déconnes !

— J’ai la vidéo, mais je n’ai pas le droit de la montrer. Si t’es sage, un jour.

— Je croyais que c’était juste des défilés ?

— Moi aussi. Mais après pour celles qui veulent, il y a des jeux. C’est que des trucs entre filles. Pas de façonneur. Ils n’ont même pas le droit de se palucher.

— Toi on t’a proposé, t’es allée direct.

— Je me suis sentie un peu invitée.

— Non mais sérieux ! Je n’en reviens pas !

Tandis qu’elle restait abasourdie, ma vision de la soirée s’éclaircissait. De le présenter moi-même à Léa donnait un autre sens à ce qui s’était déroulé. En fait, je savais que Léa ne me jugerait pas, même si elle ne comprenait pas. Mais j’avais besoin de quelqu’un avec le regard que j’aurais moi-même porté il y avait une semaine. Je voulais quelqu’un qui me parût lucide pour mieux juger qui j’étais devenue. Si aujourd’hui, c’était à refaire, j’étais prête à me remettre entre les jambes d’Ipkiss, pour le spectacle.

— Et t’a aimé ça ? Goder une fille ? Te balader à poil attachée à ton bonhomme ?

— Le jeu avec la fille, non. Mais Arcan… Quand je porte le masque, je ne vois rien. Je n’ai que sa voix et la laisse pour me guider et c’est… comment te dire, c’est marrant. Ce n’est pas lui qui me l’a imposé, mais vu que je n’allais pas débarquer avec mes grosses lunettes, je me suis dit pourquoi pas être aveugle. La laisse est devenue la solution, et quand j’ai essayé, j’ai tout de suite trouvé ça marrant. Et une fois que je suis toute nue, que je ne vois rien, le moindre contact de sa part, ça me rend folle. Je kiffe ça, je te jure ! Il y a une semaine, je t’aurais dit : jamais ! Jamais de la vie ! Mais depuis ce matin, je n’ai qu’une seule envie. Ce n’est pas de retourner à leur soirée bizarre, non, c’est aller chez lui les yeux bandés, en laisse et le laisser faire ce qu’il veut.

— Ah ouais ! T’es chaude, là !

— Grave chaude ! Mais je ne sais pas comment lui dire.

— Il ne le sait pas ?

— Non.

— T’as pas couché avec lui ?

— Non. C’est juste professionnel.

— Le mec te trimballe au bout d’une laisse, pas de problème, c’est professionnel. Je ne sais pas, mais si je me baladais avec un mec sexy au bout d’une laisse, je serais comme un volcan. Je ne le laisserais pas repartir de chez moi avant d’avoir utilisé sa lance à incendie.

— C’est un gentleman.

— Pourquoi tu ne lui dis pas ?

— J’y réfléchis.

— Roule-lui un patin direct, tu verras bien.

— Ouais, mais s’il n’a pas envie, ça casserait notre relation.

— C’est un mec ! Laëtitia ! Forcément qu’il en a envie ! Sinon ce n’est pas toi qui serais au bout de sa laisse.

— T’as sans doute raison.

— En tout cas, juste entre toi et moi, choisis vraiment ce qui te motive. D’un point de vue extérieur, ça fait un peu syndrome de Stockholm. T’es obligée de bosser pour lui, tu deviens esclave sexuelle, il n’est pas méchant avec toi, du coup tu te fais des films.

— Non ce n’est pas ça. J’en suis sûre.

— Je l’espère. Mais n’attends pas l’histoire de conte de fée. OK ?

— Je n’ai pas dit que…

— Je te connais, Laëtitia. Je te connais. Ça va finir en larmes si t’écoutes trop ton petit cœur d’artichaud. Fais-en un bon plan cul, et s’il doit y avoir une histoire d’amour, peut-être, why not. Mais il a quarante ans, il joue à la poupée, il n’a sûrement pas envie de quelque chose de sérieux.

Je balançai la tête pour peser les pours et les contres. Pour ne pas me blesser, elle voulut nuancer ses propos :

— Je ne le connais pas…

— Non, mais c’est sensé.

— Of course, it makes sense, my poulette.

— Merci en tout cas de m’avoir écoutée.

— Merci à toi de ne pas m’avoir fait passer à côté de l’info de l’année ! Ma cousine, la fille qui a fait 18/20 sur une dissert pour l’égalité homme-femme, est une soumise !

— Tant que ça reste un jeu, ce n’est pas pareil.

Elle tourna son écran de portable vers la webcam pour que je me vois.

— Je la garde ! Je ne la mets pas en fond d’écran, mais je la garde ! T’es méga sex’ sur cette photo.

— Merci. Je vais aller faire ma liste de oui et non.

— Le coup de fouet, tu le mets où ?

— C’est non, t’es con ! Je crains trop la douleur.

— Allez, fais gaffe à toi. Je t’embrasse ma poulette !

— Bisous Léa !

Elle envoya un baiser du bout de ses doigts et je coupai. Je m’allongeai, heureuse d’avoir partagé mes sentiments avec quelqu’un. Je me sentais légère, et libre. Je regardai ma liste. Puis repensai à Arcan. Je glissai ma main dans mon short et roulai délicatement mes doigts au-dessus de mon clitoris. Je posai le téléphone et me laissai porter par mes nouveaux fantasmes.

Ce soir-là, j’envoyai un SMS à Arcan : « Préparez les croissants. »

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