23. Déjeuner dansant

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Lunette sur le nez, queue de cheval à l’arrache, une surchemise par-dessus mon débardeur blanc, je déboulais en jeans et basket dans le vieil escalier. Il était midi passé de dix minutes lorsque je frappai à la porte. Arcan ouvrit la porte, un sourire sincère embellit son visage. Je passai devant lui, déposai un baiser sur ses lèvres et attendis qu’il ait fermé la porte pour m’excuser :

— Pardon. Je n’ai pas l’habitude du bus.

— Cette tenue vaut pour excuse.

— Parce que vous me trouvez jolie ?

— Très.

— Vous êtes très… bizarre.

— Parce que j’aime les filles sans maquillage ? Le maquillage, ça vous vieillit toutes. Et, là tu es naturelle, tu es toi. Entre un baiser sincère de Laëtitia et un baiser torride de Muse, je crois que je préfère le premier.

— Pourtant c’est la même bouche.

Il acquiesça, puis il se dirigea vers le plan de travail de sa cuisine.

— J’espère que ça ne sera pas trop cuit par ma faute.

— Je t’ai attendue avant de commencer la cuisson. Installe-toi.

Il mit à revenir quatre aiguillettes de poulet. J’écoutai le crépitement de l’huile en me remémorant l’émoi de mardi. Mon ventre bouillonnait à l’idée d’expérimenter à nouveau ou de découvrir autre chose.

Mon silence appelant à discussion, il demanda sans se retourner :

— Maman n’a pas posé de question ?

— Je ne l’ai pas croisée. Je me suis levée juste à temps pour sauter dans le bus.

Il ne demanda rien d’autres, éteignit le feu, garnit les assiettes, puis s’installa devant moi.

— Bon appétit.

— Vous aussi.

— Je propose qu’après le café, nous répétions la danse. Et seulement si la chorégraphie nous convient, nous pourrons passer à des activités extraprofessionnelles.

— Vous savez comment me motiver.

Il sourit, la bouche pleine en me dévisageant, puis opina d’un mouvement de la fourchette. Il essuya un coin de sa bouche avec sa serviette avant d’ajouter :

— On a toujours plus d’allant avant qu’après.

— Je danse en tenue ?

— Evidemment.

Je lui souris à mon tour.

La café terminé, j’étais redevenue Muse, aveugle et en laisse, dressée sur les talons hauts, mon épiderme nu rencontrant la tenue dure et les pièces de métal de sa tunique. La musique qui se répétait, sans cesse la même, finissait par déchiqueter mon humeur. Chaque fois, les premiers pas étaient les mêmes au centimètre près. Il n’y avait aucune surprise. Cambrée contre son bras, je le laissais ouvrir mon blouson. La main d’Arcan descendait tendrement sur mon sein gauche pour gagner ma hanche. La répétition me désensibilisait presque et mon sein droit réclamait lui aussi le droit aux caresses. Puis nos corps s’éloignaient, comme si la danse nous repoussait et je me fiais à la laisse qui se tendait pour m’enrouler et finir dos à lui. J’aurais dansé habillée, ça m’aurait fait le même effet.

Arcan était anxieux de ce que les gens allaient en penser. Il filmait, s’auto-corrigeait, me faisait peu de remarque. Il commentait parfois, confiait ses inquiétudes et ses espoirs, comme celui d’être en fermeture des défilés, pour marquer davantage les esprits. Nous en étions peut-être à la vingtième répétition quand il posa son téléphone et déclara :

— Je crois que celle-ci est la bonne. On en fait une dernière pour être sûrs.

Ravie que ce fut la dernière, je laissai ses mains se replacer. La musique que je commençais à détester repartit et nous valsâmes. Comme à chaque fois, je lui échappais, tournais sur moi-même et revenais en sens inverse quand la laisse me retenait. Ma course finit dos contre lui entre ses mains moites. La tête en arrière, j’ouvris la bouche en grand, dardant la langue avide de désir. Sa bouche se referma délicatement autour tandis que ses doigts pressaient tendrement mon Mont de Venus et mon sein. Ce changement de routine réveilla mon corps endormi. Notre baiser s’éternisa, passant de fictif à actif. Sa main changea de sein, pour mon plus grand plaisir. J’échappai un soupir alors que l’humidité croissait entre mes cuisses. Ses doigts s’enfoncèrent entre mes lèvres, sa bouche glissa sur ma joue, et me dévora le cou. Mes mains partirent en quête de sa ceinture, alors il me souleva toujours dos à lui, mon entrecuisse posé sur sa paume. Il m’emmena jusqu’à la chambre. Mes jambes se plièrent en rencontrant les draps, et il me déposa à genou. Sa main entre mes omoplates me guida jusqu’à ce que je fusse à quatre pattes. J’attendis quelques secondes au son de sa tunique qu’il dévêtait, puis le bord froid de son chapeau se posa sur ma croupe. Sa langue suivit, pointant contre ma vulve, rampant vers mon clitoris. J’écartai un peu les cuisses et savourai cette galante introduction. Les frissons ne se firent pas attendre. Mon ventre se serrait à chaque flatterie, huilant davantage les papilles de mon amant. Puis ses mains finirent par rapprocher mes cuisses l’une de l’autre. Il grimpa sur le lit et son sexe s’appuya sur ma fleur. Arcan me pénétra très lentement. Puis d’un à-coup, il s’enfonça jusqu’à s’y perdre entièrement. Une main agrippa le tressage de câbles et de chaînes et ses hanches se mirent à taper contre mes cuisses. La cadence régulière et soutenue m’indiquait qu’il n’était plus question de valse.

Il se crispa après deux minutes. J’insistai pour qu’il continue, mais il se déraidissait. Il quitta mon corps, saisit mes épaules, me tourna sur le dos et son chapeau se posa sur mon ventre. Sa langue retrouva mon entrecuisse. J’aurais préféré qu’il poursuivît avec son adjoint, mais il me goba tout entière. Sa langue chercha à entrer et sa première succion crispa tous mes muscles de délice. Plus question de pénis factice, je voulais qu’il restât indéfiniment. Je plaquai son chapeau sur mes cuisses pour le lui faire comprendre et il poursuivit avec gourmandise, jusqu’à ce que mon corps se cabrât, que mes poings s’emmêlassent dans ses draps et qu’un cri aigrelet m’échappât. Mon corps subit les doux coups de l’orgasme. Mon amant patienta quelques longues secondes que mes muscles se détendissent, puis souleva délicatement mes jambes pour m’inviter à m’allonger dans le sens du lit. Je rampai sur mes épaules, dégageai la tresse qui s’enfonçait entre mes omoplates, puis sentis son corps tomber à côté du mien. Il lâcha un soupir rauque de satisfaction, ensuite le silence se fit. Je lui pris la main et savourai cet instant de sérénité, dans l’obscurité totale de mon masque.

Il mit une demi-heure à émerger. Le sentant bouger, je me tournai vers lui et posai ma main sur son ventre nu. Du bout des doigts, je cartographiai le relief de ses abdominaux, puis la plaine encore humide de son pubis, jusqu’au latex encore présent sur son sexe. Il brisa brutalement le silence :

— Un café ?

Il se leva sans que j’eusse répondu. Je m’assis sur le lit, et ôtai doucement ma cagoule avant de détacher les extensions métalliques de mes cheveux. Je libérai mes pieds des chaussures, puis avançai en suivant la lumière floue du couloir. Le percolateur fit vibrer l’appartement. Il avança vers moi, posa mes lunettes sur mon nez. Il me souriait. Son chapeau était posé sur la table basse, il était toujours nu, mais libéré de sa protection. Je ne pus m’empêcher de regarder ses fesses musclées et creusées sur les flancs lorsqu’il me tourna le dos. Il me tendit une tasse. La chaleur de la porcelaine entre mes doigts et le parfum me fit l’effet d’un cocon. Avant-même d’y avoir trempé les papilles, je lui concédai :

— Ça fait du bien.

— Il reste un peu de temps avant que Maman vienne te chercher.

— Je ne suis pas contre les heures supplémentaires.

— Pas ce soir. Je dois rentrer chez moi.

— Ce n’est pas chez vous ?

— Non. Ici, c’est mon atelier.

Je buggai quelques secondes.

— Mais il y a un lit, et une salle de bains.

— Le lit, c’est pour me reposer après de longues heures supplémentaires. Et la salle de bains, c’est le coin maquillage-démaquillage.

— D’accord.

C’était moins étonnant que le salon et la chambre fussent si épurés. Mais du coup, il titillait ma curiosité. Appartement ? Maison ? Villa ? Manoir ? Il posa sa tasse de café vide, et je lui dis :

— Personne ne peut donc connaître votre identité. Je veux dire, vu que ce n’est pas votre domicile.

— Je loue au nom de mon entreprise. Mais pour quelqu’un d’un peu fouineur, c’est assez facile.

— Mais pas pour une façonneuse lambda comma ma mère.

— Normalement, elle ne connaît que mon pseudonyme, mais je ne sous-estime pas une femme aussi ambitieuse qu’elle. Si je lui fais de l’ombre, elle peut être redoutable.

— Peut-être pas tant que je suis votre poupée.

Il fit une moue dubitative. Je posai ma tasse à côté de la sienne, alors il glissa sa main sur mes fesses et murmura :

— Il est peut-être temps d’enfiler quelque chose.

— Tant que votre main continue, je suis incapable de m’en aller.

Son pouce suivit la ligne de mes fesses, remonta ensuite dans le creux du dos puis s’arrêta. Je soupirai :

— C’était court.

— Cela risquerait de finir en heures supplémentaires.

Je m’éclipsai vers la salle de bains.

Lorsque j’en revins, il était également habillé. Je m’approchai, posai une main sur sa taille et posai ma bouche sur la sienne. Il me demanda :

— À samedi soir ?

— Demain ?

— J’ai encore du travail…

— Je peux aider.

—… et je crains de ne pas avancer si tu m’aides.

— Pour vérifier que la chorégraphie est acquise.

Il céda :

— Demain, quinze heures, et pas de baise.

— D’accord.

Je l’embrassai une dernière fois, puis passai la porte, ravie de l’avoir fait céder.

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