25. Valse blanche

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C’est l’annonce qui nous sépara des convives :

— Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs. Au nom du Grand Glouton et toute l’équipe des Gloutonettes, je vous souhaite la bienvenue à la soirée poupée. Les premiers shows de la soirée vont débuter d’ici trois minutes sur l’estrade. J’appelle donc notre vainqueur de la semaine dernière, Arcan, à venir ouvrir la soirée.

Arcan nous excusa poliment, puis me tira en direction des coulisses. La Gloutonnette nous indiqua :

— On commence dans une petite dizaine de minutes.

— Trois, non ? s’étonna Arcan.

— Non, trois c’est ce qu’on annonce pour que tout le monde soit assis.

Elle s’éloigna. Arcan et moi grimpâmes l’estrade, puis nous attendîmes. J’ignorais si on me voyait, ou si j’étais dans le noir. Le brouhaha des gens s’installant me rendait nerveuse et le silence d’Arcan en disait long sur son trac. J’avais les doigts qui tremblaient et aucune poche pour les cacher.

Les minutes furent longues, jusqu’à ce que le silence se fît. Arcan attacha ma laisse à sa ceinture, souleva délicatement mes doigts, soutint mon épaule gauche. Les premières notes de clochettes commencèrent et entonnèrent une ritournelle lente. Nos corps conditionnés, s’élancèrent, laissant le trac derrière nous. Six pas de danse sur une estrade couverte de feutrine et non sur un parquet solide. Mais peu m’importait, j’étais dans ses bras, et j’avais juste à me laisser faire. Il était mes yeux, et je ne craignais pas de chuter de l’estrade tant que j’étais avec lui. La mélodie, magnifique dans les enceintes de la salle, me transportait. Nous n’étions plus avec le son limité d’un téléphone, plus dans la tiédeur vide d’un appartement. Non, nous étions devant des centaines d’yeux que je pouvais sentir sur nous.

La partition semblait inscrite dans mes muscles. À la nuance musicale, nous nous arrêtâmes. La main gauche d’Arcan quitta la mienne et ouvrit mon blouson. Cambrée, je laissai mon bras glisser en dehors, découvrir mon épaule couverte de peinture noire. La main d’Arcan descendit langoureusement, affectueuse sur ma poitrine, possessive sur ma hanche. Les flocons de fécule de maïs qui singeaient la neige me chatouillaient. La main d’Arcan flatta ma croupe, puis remonta en chemin inverse sur mon flanc. Elle parvint sous mon aisselle, longea mon bras, jusqu’à trouver mes doigts. Rythmique parfaite avec les notes, nous repartîmes pour six pas de valse, puis sa main droite glissa sur mon épaule, nos mains qui se tenaient se trouvèrent séparées du bout des doigts, comme si je lui échappais. Je tournai sur moi-même, priant pour ne pas me vautrer de l’estrade. La laisse me retint par le cou, alors j’inversai ma rotation, pour enrouler ma taille au fur et à mesure que je me rapprochais. Je terminai dos à Arcan, nue face au public, mon corps à demi recouvert de cette peinture noire. Sa main gauche enveloppa ma poitrine, sa main droite masqua mon pubis. Je couchai ma tête sur son épaule et, abritée de la neige par son large chapeau, j’ouvris la bouche en grand, dardant la langue avide de désir. Sa bouche se referma délicatement autour tandis que ses doigts se retenaient de m’explorer comme à l’entraînement. Je devinai que la lumière s’éteignit quand des sifflets nous acclamèrent.

La laisse m’emmena, puis après deux marches descendantes, je repris mon souffle. Arcan me rassura :

— Tu as été parfaite. Tu aurais vu leurs yeux quand j’ai enlevé le blouson.

Il m’assit sur une chaise alors que ma concurrente était annoncée. Frustrée d’être aveugle pour ne pas les juger moi-même, je laissai à nouveau jouer mes doigts entre eux. Assise, je ne prêtais pas attention aux noms des candidates, ni aux réactions. Je ne cessais de me demander comment quelqu’un pourrait faire mieux. Les poupées furent nombreuses à tenter leur chance. Vingt minutes s’écoulèrent avant qu’on annonçât ma mère :

— Pour clôturer les défilés, voici le spectacle de Sculpturine.

Arcan ne résista pas à me raconter ce qu’il voyait car derrière les musiques Egyptiennes, il y avait à nouveau une mise en scène. Je posai ma tête sur son épaule et le laissai me faire l’audiodescription.

— Prune et Mirabelle sont seules, devant un autel doré. Elles sont complètement nues à part leur masque, et des bracelets d’esclaves en haut des bras. Elles sont maquillées façon égypte. Y en a une qui s’allonge sur l’autel. Ça fait très solennel. Voilà ta mère. La deuxième fille s’agenouille et elle fait un présent à ta mère. Ah, c’est un instrument très phallique. La fille met les jambes de sa sœur à l’équerre. Ta mère l’enfonce.

La musique éclata dans un élan sonore. Arcan continua à décrire le faux sang qui s’écoulait le long de l’instrument. Le vent agitait les draperies blanches de décoration et une poursuite bleutée donnait des airs d’orage tandis que la poupée se tordait sur l’autel. La seconde fille vint boire à même le sexe le sang qui s’écoulait, jusqu’à s’en barbouiller le visage, puis elle singea une transe. Un coup de tonnerre fit un fondu noir, mais la musique ne cessa pas. Lorsque la lumière revint, la fille en transe était à quatre pattes sur sa sœur. La lumière disparut à nouveau et lorsqu’elle revint, un faux serpent noir et luisant commençait à lui sortir du vagin. À chaque flash, il avançait un peu plus pour plonger dans le sexe de la sacrifiée. Il finit par quitter le corps de la première, puis lorsqu’il eut disparu, l’orage cessa, la lumière chaude revint et ma mère fit lever les deux filles. Elle flatta le ventre de celle qui avait reçu le serpent avant que celle-ci se prosternât. Fin du spectacle.

Les applaudissements me semblèrent plus assourdissant que pour notre duo, peut-être parce que j’étais au milieu du public. L’hôtesse annonça qu’il restait une heure pour nos votes. Les chaises raclèrent et Arcan attendit que la place fût libre pour se lever. Il me confia :

— On peut dire que ta… que Sculpturine a mis le paquet sur la mise en scène. Il va falloir trouver quelque chose pour récupérer quelques votes supplémentaires. — Il murmura en caressant mon menton. — Baisers et caresses sont toujours valables ?

J’ignorais ce qu’il avait en tête, mais j’opinai. La laisse me tira. Un façonneur nous interpella après deux pas :

— Magnifique ouverture, Arcan.

— Merci.

— Très belle poésie, ajouta un autre.

— Merci.

Les compliments pleuvaient, mais je sentais la voix tendue d’Arcan. Il se sentait menacé par ma mère. Nous avancions lentement, et n’avions pas encore quitté la zone d’exhibition que l’Impératrice vint à notre secours :

— Arcan !

— Impératrice. Vos poupées sont magnifiques !

— Merci. Je vous apporte à chacun une flûte, je vois que le chemin vers le buffet s’annonce ardu.

Je tendis la main pour recevoir ma flûte.

— Oui, le spectacle a plu, j’espère plus que celui de Sculpturine.

— Les deux n’avaient rien à voir. Celui de clôture n’était que spectacle.

— Oui, mais je sais que le public aime le spectacle.

— Il a été splendide, annonça un façonneur. Prune et Mirabelle ont des corps très expressifs.

— Ce sont des poupées avec une beauté banale, lâcha l’Impératrice. Je trouve que cette nouvelle peinture sur Muse n’est pas aussi riche que la première et, si je devais être pointilleuse, que la neige du spectacle est un effet éculé, surtout avec ce choix de musique. Toutefois, ces effets étaient très bien choisis pour mettre en valeur votre chorégraphie. Sans cette musique ni cette fausse neige, finalement, l’ensemble aurait manqué de relief. Aussi bref a été votre danse, on y voit un travail appliqué qui respire une véritable sensualité. — Sa main caressa ma joue. — Et je gage que la jolie Muse a eu le cœur qui battait de sincérité lors de ce baiser.

— Le chapeau n’a pas laissé voir s’ils s’embrassaient vraiment, souligna le façonneur.

— C’était simulé, mentit Arcan. Content que le rendu ait été à la hauteur.

— Je vous enverrai la vidéo, indiqua un façonneur.

— Vous êtes à nouveau mon numéro un, Arcan, conclut l’Impératrice. Surtout parce que personne n’a de meilleure imagination. Peut-être à plus tard.

L’Impératrice s’éloigna. Arcan me décrivit brièvement les fresques de peinture surréalistes dorées, bleues et or qui couvraient les poupées de la femme. Elles portaient des masques immenses. Un voile dissimulait leurs yeux sans les empêcher de voir au travers. Leurs crânes étaient surmontés d’une coiffe en éventail sur laquelle étaient dessinés des yeux autour de billes de couleurs. On y sentait presque l’inspiration d’Arcan, mais en moins sombre. Je terminai mon verre tandis que les façonneurs près de nous discutaient avec moins de précision notre spectacle. On sentait bien que le public se partageait sur l’avis de ce qu’était l’érotisme. Je ne prêtais presque plus attention aux mots quand j’entendis Arcan dire :

— Du moment qu’elle applique ces règles. Muse, je te présente Chlora.

Je n’eus pas le temps de me poser des questions que les mains graciles de la poupée effleurèrent mes hanches. Des lèvres charnues se posèrent sur ma bouche, un ventre nu se colla contre le mien, des seins moelleux s’écrasèrent contre mon buste. Les baisers ne cessèrent, descendant sur mon cou tandis que ses mains se promenaient dans le creux de mon dos et le sillon de mes fesses. Je frissonnai sous cette douceur inattendue. Son pubis imprima un mouvement contre le mien tandis que sa main retenait mes fesses vers elle. Cette étreinte un peu intime me déplaisait, mais ses caresses étaient très agréables. Son autre main longea ma poitrine, remonta mon cou et sa bouche retrouva à nouveau mon menton. J’hasardai mes mains sur sa taille, trouvai le relief de ses côtes sous mes doigts puis découvris les seins en obus avant qu’ils ne s’appuyassent à nouveau contre moi. Je devais paraître gourde, alors je décidai de flatter ses fesses rondes et larges du bout des ongles.

— Est-ce que Geisha peut tenter sa chance ? demanda une voix.

Chlora s’éloigna et une autre fille plus petite que moi s’approcha. Un baiser léger se perdit sur mon cou. De mes mains, je parcourus son corps pour la connaître. Petite poitrine très ronde et très menue, corps frêle. Elle ne me laissa pas le temps de la découvrir davantage car elle descendit sa bouche sur la pointe de mon sein. Pas de langue, comme je l’avais demandé, mais elle déposa d’incessants petits baisers qui me chatouillaient autant qu’ils m’électrisaient. Je levai le menton au ciel pour exprimer le plaisir qu’elle provoquait, et elle descendit alors sur mon ventre. Mes abdominaux se contractèrent à chaque stimulus qui tentait de me voler un rire, puis elle parvint jusqu’à la fente de mon sexe. Ses baisers délicats et aériens se poursuivirent, me chamboulant complètement. Comment une fille pouvait-elle me faire cet effet ? Je glissai mes doigts dans ses cheveux fins, coiffés avec des baguettes. Obligée de reconnaître que l’effet produit était délicieux, je décidai de me laisser aller, lâchai un soupir et écartai légèrement les genoux.

— Au tour de Millicent, proposa un façonneur.

— Non, soupirai-je.

La poitrine d’une poupée s’appuya sous mes omoplates, sa bouche glissa sur mon épaule tandis que Geisha poursuivait. L’instant était confortable. La bouche de Geisha se recula et j’entendis Arcan lui dire :

— Je pense que tu peux.

La voix posée et suave de mon amant détendit davantage mes réticences. La bouche de Geisha revint sur mon pubis et la pointe de sa langue darda entre chaque baiser, tandis que ses mains longeaient mon sillon fessier jusqu’à celui de mon sexe. Les paumes de l’inconnue se fermaient sur ma poitrine. Les dents de Geisha griffèrent la peau de mon Mont de Venus.

— Ma poupée peut-elle participer ?

— Oui, mais Geisha reste où elle est, répondit Arcan.

Les poupées se succédèrent en caresses et en baisers sur ma peau, tandis que Geisha ne se lassait pas de me gouter. Certaines filles me firent boire du champagne, et je comprenais qu’elles étaient l’extension de leur façonneur. Tous ceux qui rêvaient de me posséder le faisaient au travers de leur poupée. Le désir m’embrasait, j’enfonçai le crâne de Geisha alors que mes premières lèvres s’ouvraient sous ses baisers. La pointe de sa langue roula sur mon clitoris. Ma respiration s’emballa. Les inconnues qui m’entouraient m’empêchèrent de vaciller. Mes cuisses frissonnèrent, puis tous mes muscles se contractèrent sous le feu de l’orgasme. Je serrai les dents et jouis en silence. Mon ventre dansa sous les yeux émerveillés des convives. Des mains applaudirent. Geisha se releva lentement, mais je ne lâchai pas son crâne, découvrant les contours de son visage asiatique du bout des doigts.

— Magnifique spectacle, merci Arcan.

J’ignorais pourquoi les remerciements allaient à mon amant, alors qu’il n’avait fait que me mettre à disposition des poupées des autres façonneurs lubriques. J’avais beau me persuader que c’était leur instinct voyeur qui avait instillé ce show, je ne pouvais qu’être reconnaissante envers la patience délicate de Geisha. Tandis que je gardais la poupée contre moi, une main se posa sur mon épaule, et la voix de ma mère me murmura avec ironie :

— Quel spectacle inspirant.

Je frissonnai de malaise. Les doigts de Geisha semblèrent le ressentir, car ils parcoururent mon dos. Elle était rassurante, et j’avais besoin de réconfort. Mes deux mains trouvèrent ses fesses pour plaquer son corps contre mes jambes. Sa joue se posa sur mon épaule. J’ignorais si ma mère s’était éloignée. Un homme dit :

— Je crois qu’il va être difficile de les séparer.

— Ça va bientôt être le résultat des élections, déclara Arcan. Nous allons bouger. Dis aurevoir à Geisha.

La laisse me tira. J’agrippai les doigts de la fille mais ils m’échappèrent. Arcan me conduit en dehors de la salle, dans l’odeur épicée et froide des WC. J’écoutai mes talons claquer tandis que mon ventre fourmillait encore du plaisir récent. Jamais je n’avais été attirée par une fille, ni sentimentalement, ni physiquement. J’étais déboussolée. J’avais envie de la retrouver, de finir le reste de la soirée à côté d’elle.

— Envie de te soulager ?

Je secouai la tête.

— Ecarte un peu les jambes.

Il épongea délicatement mon entrecuisse, puis il posa sa main sur ma joue.

— Ça t’a plu ?

J’opinai du menton en pinçant les lèvres. Je n’avais pas de mot, seulement la crainte qu’il pensât que je ne l’aimais plus autant. Je trouvai son visage de ma main et l’embrassai langoureusement.

— Doucement, doucement. On aura tout le temps la semaine prochaine. Je voulais juste m’assurer que tout allait bien. Je ne voudrais pas manquer l’élection.

Il m’entraîna vers la grande salle. Les gens étaient déjà en train de prendre place. Arcan décida de rester debout.

— Tout le monde est là ? Un peu de silence s’il vous plaît, et comme d’habitude, soyez fair-play. En cinquième position, une poupée qui vient de remonter d’un seul coup les statistiques : Geisha !

Les gens applaudirent, et après une minute, la voix de son façonneur prit la parole :

— Merci à tous. Je ne vais pas m’étendre sur la simplicité de l’habillage que j’ai choisi, vous connaissez tous mes influences. Merci à Arcan qui nous a laissés jouer avec Muse, ce qui a, je pense, contribué à ce classement.

Nouveaux applaudissements, et on invita la quatrième.

— En quatrième position, et sa robe extraordinaire : Solenelle !

— La fille est très belle, commenta Arcan à mon oreille. Typée andalouse, et elle porte une robe magnifique, tu verras les photos. On ne voit pas sa poitrine, mais on peut voir son mont de Vénus lorsqu’elle se déplace. Elle est vraiment élégante.

Le façonneur prit la parole, avec un phrasé très travaillé qui dissimulait une origine non francophone.

— Mesdames, messieurs. Merci pour ce vote inattendu qui récompense la recherche et la grâce. Merci mille fois.

Ils applaudirent.

— En troisième position, j’appelle la très mystérieuse Muse !

Arcan et moi sursautâmes en même temps, surpris l’un comme l’autre d’être relégués en troisième place. Nous montâmes sur l’estrade. L’amère défaite cachée derrière son masque Arcan dit simplement :

— Je vous remercie tous. Ce fut un long travail pour arriver à notre si petite chorégraphie. Merci. Et Merci à Geisha et aux poupées qui ont participé au petit show improvisé il y a quelques minutes.

Nous descendîmes.

— En seconde place, à moins d’un point devant Muse, j’appelle Tsarine !

Arcan dépité, me murmura :

— Alors là, je ne comprends pas.

Le façonneur excentrique qui monta sur scène s’exclama :

— Tout le monde est chaud ? Merci pour vos votes, les façonneurs ! Je suis trop content que ma création vous plaise ! Je me tiens à disposition pour parler avec vous de tous les petits détails ! Et surtout, un tonnerre d’applaudissement pour ma poupée ! Tsaaaaarine !

Les gens se prêtèrent au jeu en doublant l’ovation. Il quitta la scène et c’est sans surprise que l’hôtesse annonça la première place :

— Veuillez applaudir Prune et Mirabelle !

Arcan grinça d’amertume quand les applaudissements se calmèrent :

— Elles sont encore moins habillées que la semaine dernière. Faut offrir du cul au petit peuple pour qu’il vous élise, pas de la poésie.

Mon façonneur resta immobile tandis que ma mère remerciait ce vote qu’elle disait inattendu. Puis les gens se levèrent pour gagner les buffets. Arcan ne bougea pas d’un millimètre, me laissant sentir les gens qui passaient de part et d’autres de nous. Ma mère finit par arriver à ma hauteur. Elle lâcha avec satisfaction :

— Je l’avais dit que la nouveauté décôtait vite.

— L’important est le message, répliqua Arcan.

— Le message que j’ai retenu, c’est que certaines poupées sont plus libérées qu’elles ne le prétendent.

— Elle ne fait que m’obéir, me défendit Arcan.

— Hmmm. J’ai cru comprendre qu’il y avait eu négociations.

— C’est cela.

— Quoi qu’il en soit, l’issue de ce petit spectacle saphique n’avait rien de feint.

— Si c’était le cas, il était très bien joué, dit Arcan.

Elle répondit par un marmonnement sarcastique et s’éloigna. J’étais confuse, mal à l’aise qu’elle m’ait vue. Ces soirées seraient tellement plus agréables sans sa présence. Arcan tira ma laisse un peu sèchement, et je le suivis vers les buffets. Arcan me choisit quelques pains briochés tartinés de foie gras. Il me dit :

— Si on n’en mange pas à toutes les soirées, ça ne peut pas faire de mal.

— Amère défaite ? devina la voix de l’Impératrice.

— Qu’est-ce que vous fait dire ça ? répliqua mon façonneur.

— Il faudra vous habituer à ce que des poupées comme Tsarine vous coupent l’herbe sous le pied, ce sont ces filles qui ont le physique pour elles.

— La tailles des roberts, ça compte, c’est noté, répliqua Arcan. C’est pour ça que vous ne participez pas ?

— Ne pas participer, ça évite aussi la déception de la défaite.

— J’imagine que vous pouvez vous le permettre.

— En effet.

— Ne le prenez pas mal. Je viens ici comme artiste, pas dans l’unique but de gagner. Je ne me sens pas lésé par rapport à Sculpturine. Elle a travaillé sa mise en scène, elle mérite d’être récompensée. J’aurais compris que Muse soit derrière Solennelle. Pas derrière une bimbo… certes bien maquillée, mais…

— C’est l’artiste qui parle, pas l’homme. Je suis contente que vous parliez de Solennelle, je l’aurais mise en première place si votre petite danse ne m’avait pas émue. Son façonneur a compris que l’élégance tient dans l’allure de la poupée et non dans l’exhibition de ses mamelons. Pas un sein, juste une robe sur mesure échancrée devant le bassin pour érotiser. Il vient rarement ici, mais ses robes sont splendides. On en viendrait à vouloir les porter soi-même.

— Oui. La rareté… Puis-je vous demander un conseil ?

— Je ne voudrais pas influencer votre art.

— Non, pas dans ce domaine. Dois-je renouveler le costume de la poupée à chaque soirée ou rester sur cette ligne ?

— Arcan. Il y a une chose dont vous ne devez pas douter, c’est que Muse est une réussite totale. Dès votre arrivée ici, vous avez attiré tous les regards, donc gardez l’essence de votre personnalité.

— Oui, mais il y a l’effet nouveauté. Aujourd’hui, nous faisons déjà partie des murs. Peut-être que si je trouve un costume différent pour chaque soirée…

— Les gens ici ne jugent pas le costume, ils jugent le potentiel érotique, ils jugent ce qui les inspire. Les soupirs de Muse tenant la tête de la jolie poupée asiatique entre ses cuisses, ça c’était inspirant. Vous auriez dû avoir la seconde place, j’en conviens. C’est à vous de trouver comment rester fidèle à votre art tout en renouvelant la manière dont vous allez accrocher votre public.

— Le manteau en début de partie a empêché les gens de la voir.

— Je ne pense pas que le manteau ait eu un effet négatif. Les gens au contraire ont imaginé quelque chose de nouveau de dissimulé, ils ont fantasmé sur son corps. Moi-même, j’ai eu une pointe de déception en découvrant le même corps que la dernière fois. Mais en même temps, je ne voudrais pas que vous trahissiez le personnage… je veux dire les personnages que vous avez construit. Pour moi, Muse, c’est ce visage, ces lèvres noires ; cette coiffure faite des chaînes et de fils. Si vous veniez à modifier ça, vous pourriez tout aussi bien changer le nom de votre poupée.

— Vous abondez dans mes pensées.

— Détachez-vous de ce concept de perte et de gain. Soit vous vous noyez dans le cercle vicieux de la pornographie à thème comme Sculpturine, soit vous devenez votre propre succès. — Elle s’approcha pour poursuivre à voix basse. — Et si c’est le cas, on vous paiera pour que vous veniez.

Le message était clair. Elle-même ne faisait pas participer ses poupées et était aussi connue que ma mère. Elle caressa mon menton comme à son habitude et fredonna :

— C’était un orgasme poétique et sincère. J’ai beaucoup aimé te voir jouir. Bonne soirée, Arcan.

Elle s’éloigna, me laissant froide de malaise. Comme s’ils avaient attendu qu’elles disparaissent, les autres façonneurs s’agglutinèrent pour faire des photographies. Je me dis que si les gens venaient vers nous pour prendre des photos, c’était que notre succès était sur la bonne voie. La plupart demandait même à Arcan d’être présent, son personnage allant de pair avec le mien. Je sentis la déception se dissiper dans la voix de mon amant. Les mots de l’Impératrice s’imprégnaient en lui comme en moi, et les commentaires nous donnaient petit à petit l’espoir de gagner une prochaine fois.

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