27. Nouvelle famille (partie 1)

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Je me réveillai dans le grand lit d’Arcan, lorsque ses doigts me caressèrent. Il murmurait :

— On se réveille.

Me trouvant toujours dans le noir, je tâtai mon visage pour y trouver mon masque. Je le retirai délicatement, et plissai les yeux pour distinguer la silhouette de mon amant dans la pénombre. Il était douché et habillé.

— Il est quelle heure ?

— Il est dix heures.

— Tu te lèves tôt, râlai-je.

— Je déjeune chez mes parents tous les dimanches.

— Je peux venir avec toi ? Je n’ai pas envie de revoir ma mère. Elle ne va pas arrêter de faire des allusions à Geisha.

— C’est un peu prématuré de te présenter à mes parents.

— Vous n’êtes pas obligé de leur dire que nous avons une liaison.

— Et je dis que tu es qui ?

— Une collaboratrice. Et qu’on travaille sur un projet que nous n’avons pas eu le temps de terminer. — Il rit. — Sinon, je peux rester ici ?

— Oui, évidemment.

J’écartai les cuisses pour inviter les caresses à descendre plus bas. Il se pencha et déposa un baiser sur la capuche de mon clitoris.

— Oh ! Je dois être poisseuse.

Il passa lentement la pointe de la langue, me volant un frisson, imita un œnologue en pleine réflexion et répondit :

— Vingt-et-un ans d’âge, Française, châtain, yeux marrons. Dernière douche il y a quelques heures.

— T’arrives à savoir tout ça ?

— C’est le niveau de base de vulvologie.

J’éclatai de rire. Je l’avais encore tutoyé. Il sortit son téléphone puis appela tout en me regardant et en reprenant ses caresses. Ce fut étrange d’entendre un homme de quarante ans commencer ainsi :

— Allo Maman ? … J’étais sur le départ, mais j’ai une collaboratrice qui vient de passer à l’atelier… Non, je ne suis pas chez moi… Mais non, je ne vais pas annuler, je voulais juste savoir si elle pouvait venir. Ça me permettrait de rester plus longtemps avec vous et de continuer à l’accompagner sur son projet… T’es un ange, Maman, nous arrivons.

Gênée qu’il me présentât à ses parents, je lui confiai :

— Je disais ça en plaisantant, je ne voulais pas vous déranger.

— Tu ne déranges pas, et tu recommences à me vouvoyer.

— Je n’ai pas fait exprès de vous tutoyer.

— Ça ne me dérange pas. Au contraire, de me faire vouvoyer depuis une semaine par mon amante, ça me faisait bizarre.

— Mais c’est mieux que je vous vouvoie devant vos parents.

Il haussa les épaules.

— Allez debout, si tu ne veux pas avoir le ventre vide.

— Un café me suffira.

— Bien.

Il se leva du lit, abandonnant mon épiderme accroc à ses caresses. Je me levai, sans savoir où étaient mes lunettes, alors je quittai la chambre nue sur la pointe des pieds, et trouvai mon amant à la machine à café. Je l’étreignis, promenai ma bouche dans son cou.

— Tu comptes aller chez mes parents toute nue ?

— Non, mais vous me manquiez.

— Tes vêtements sont dans la salle d’eau.

— Oui, chef.

Je me retirai de sa chaleur pour rejoindre la salle d’eau. Je détachai les chaînes de mes cheveux, et laissai l’eau couler le temps de démaquiller mes lèvres. J’entrai ensuite pour frotter la peinture noire. Sitôt ma peau claire et mes taches de rousseur revenues, je bondis hors de la cabine. Mon jeans et mon t-shirt enfilé, je chaussai mes lunettes, coiffai rapidement mes cheveux avec mes doigts. Dans le miroir, je reconnaissais mon ancienne moi, pas celle que j’avais la sensation d’être en étant Muse. C’était curieux, comme sentiment. C’était comme fermer une parenthèse, finir un film ou clôturer un jeu. Retour à la réalité. Je rejoignis le salon où un bol de café allongé m’attendait. Arcan me confia :

— J’aime bien quand Muse laisse la place à Laëtitia.

— Ça ne fait pas trop débraillée pour rencontrer vos parents ?

— Ce n’est pas une rencontre officielle, et ils sont loin d’être à cheval sur l’étiquette.

Je m’assis et avant de boire ma première gorgée, je lui demandai :

— Comment je dois vous appeler devant eux ?

Il esquissa un sourire amusé.

— Eugène.

Je pouffai de rire.

— Non, mais sérieusement ?

— Je suis sérieux.

— Non, mais c’est un prénom d’arrière-grand-père, ça !

Il décroisa les mains pour me dire d’en faire ce que je voulais. J’éclatai de rire malgré-moi, incapable de me contenir. Je cachai ma bouche avec le poing, essuyai les larmes au coin de mes yeux.

Lorsque je fus calmée, nous prîmes la route. Cela faisait bizarre d’être amoureuse d’un homme de deux fois mon âge, encore plus de rencontrer ses parents deux semaines après l’avoir rencontré. De plus, peut-être considérait-il notre relation extraprofessionnelle dépourvue de sentiments. Moi, je ne pouvais pas démêler cette attirance animale qu’il exerçait sur mes émotions. Le paysage verdoyant ne pouvait me distraire de mes pensées. J’étais bien dans cette voiture. La place passager était déjà devenue mienne et nulle autre fille n’avait le droit d’y poser ses fesses.

Ses parents habitaient à plus d’une heure de voiture, perdus dans un hameau. Nous avions emmené ses carnets de croquis sombres et un bouquet de fleurs pour m’excuser de m’incruster. Lorsque mes baskets trouvèrent le macadam, dans ce décor qui m’était inconnu, je ne me sentis plus à ma place. Un voisin salua mon amant :

— Salut Eugène !

— Bonjour Monsieur Lagasse.

De mon côté, une dame faisait signe à son mari de venir. Ça ne devait pas être tous les jours que mon façonneur ramenait une femme dans le quartier. Il poussa un portillon, un gros bouvier-bernois se dressa sur ses pattes arrière pour retomber lourdement. Eugène lui présenta la paume de main :

— Eh ! Ne va pas te faire une crise cardiaque, mon vieux.

Le chien aboya une fois dans ma direction et Eugène lui répondit aussi sec :

— Ce n’est pas tes oignons.

Un petit homme aux cheveux blancs avança dans notre direction, des grosses lunettes sur les yeux, les veines rosissant ses pommettes.

—Te voilà, mon grand !

Il l’embrassa.

— Bonjour Papa. Je te présente Laëtitia. Laëtitia, voici Albert.

Le septuagénaire me serra la main.

— J’espère que vous avez prévu le maillot de bains, j’ai rempli la piscine le week-end dernier.

— Non, je n’avais pas prévu ça au programme.

— Si vous voulez en profiter, sachez-le, vous pourrez vous baigner, avec ou sans sous-vêtements. Venez, on va faire le tour !

Je murmurai à Arcan :

— Je vois de qui vous tenez.

— Mes parents ont grandi dans les années soixante-dix, ils sont assez libres sur ce genre de sujet. C’est un défi à relever.

Nous suivîmes son père dans le jardin, il désigna les palissades :

— Vous voyez, personne ne pourra vous voir.

— C’est gentil, mais nous allons surtout travailler, dis-je.

— Un dimanche aussi ensoleillé ?

Nous montâmes sur la vieille terrasse de schistes où sa mère dressait la table, vêtue de vêtements amples et ivoire. C’était une femme forte aux très long cheveux blancs attachés en queue de cheval. Elle s’exclama :

— Ah ! Mon bébé !

Je me retiens de pouffer de rire. Elle l’embrassa, puis me fit la bise en ayant remarqué mon hilarité.

— Quel que soit l’âge que vous lui donnez, il a d’abord été mon bébé.

— Je ne juge pas Madame. C’est juste que pour moi c’est juste Eugène, c’est mon patron.

— T’as une employée, Eugène ?

— C’est juste de l’intérim pour essayer de suivre. Je ne vais pas me lancer dans le sujet de l’embauche.

— C’est quand même signe que ça marche bien pour toi, lâcha son père. Asseyez-vous Mademoiselle. Qu’est-ce que vous prendrez en apéritif ?

— Je ne sais pas si…

— Ici, c’est obligatoire ! Le dimanche, il faut boire !

— Quelque chose de léger, alors.

— Une bière ?

— Non, euh…

— Un pommeau ?

— Oui, ça c’est bien.

Je m’installai avec la vue sur la piscine posée sur la pelouse en contre-bas de la terrasse. Le fond du jardin étant consacré uniquement à du potager et à des arbres fruitiers. Une cabane en bois toute neuve reposait au fond, ouverte, et les outils n’avaient pas encore été rangés.

Sa mère mit les fleurs dans un vase, apporta des olives marinées, son père servit deux whiskys et un Ricard bien tassé. Puis lorsqu’ils furent tous installés, nous trinquâmes. Le père demanda :

— Alors, depuis combien de temps travaillez-vous pour Eugène ?

— Deux semaines, répondis-je.

— Pourquoi tu nous en as pas parlé ? demanda sa mère.

— Je n’ai pas eu l’occasion dans la conversation, répondit Arcan sans ciller.

— J’ai fait un premier contrat de quatre jours. On a présenté le résultat samedi et Eugène m’a repris cette semaine.

— Et sur quels projets travaillez-vous ?

— Un peu de tout, répondit Arcan. Et à l’occasion, elle sert de mannequin, c’est très pratique.

La mère intervint :

— Et dîtes-moi, vous faites combien d’heures ?

— C’est sept heures par jour, répondis-je.

— Et vous n’avez jamais vu un homme qui viendrait régulièrement à l’atelier ?

— Non.

— Maman ! râla Arcan.

— Quoi ? J’essaie de savoir.

— Savoir quoi ? demandai-je.

— S’il a un homme dans sa vie.

Je pinçai les lèvres pour ne pas rire. Son père justifia son raisonnement.

— Douze ans d’armée et il devient couturier.

— Je pense que le sujet ennuie Mademoiselle Laëtitia, indiqua Arcan.

— Ou plutôt toi, se moqua sa mère.

— Surtout devant mon employée. Comment vont tes légumes ? demanda Arcan.

Son père lui sourit simplement.

Le repas traîna en longueur, comme tout déjeuner dominical qui se respectait. J’avais enquillé deux verres de vin, et malgré la pergola, la chaleur me tapait sur le casque. J’avais très envie de piquer une tête dans la piscine, je n’avais plus de pudeur, pas après les deux soirées, mais j’avais peur de mettre mal à l’aise Eugène qui s’était éloigné dans le potager pour discuter avec son père. Sa mère m’observa en train de les guetter et me dit :

— Vous l’admirez ?

— De ?

— Eugène.

— Il a beaucoup de talent. Je devrais me mettre au travail, mais le vin me tape sur la tête. Il fait vraiment chaud.

— Si vous voulez vous rafraîchir, vous pouvez vous baigner.

— Votre mari m’y a déjà invitée, mais je n’ai pas de maillot. Chez moi, ça ne me dérangerait pas, mais…

— Dans l’eau, on ne vous remarquera pas. Je peux vous passer une serviette. Si vous vous mettez à votre aise, je me sentirais autorisée à faire de même. Et je verrai si Eugène vous regarde ou pas. Nous saurons définitivement de quel bord il est.

Me rappelant qu’il s’agit d’un défi à relever, j’acceptai :

— D’accord.

— Venez.

La mère d’Arcan me conduisit à une chambre et me donna une serviette. Elle me laissa en toute intimité. Les photos aux murs me laissèrent deviner qu’il s’agissait d’Arcan enfant avec sa petite sœur. J’étais contente d’en apprendre un peu plus sur lui. Je me dénudai et m’enroulai dans la serviette pour gagner la terrasse. Je gagnai la piscine, passant devant Eugène et son père qui étaient revenus à table. Ils firent semblant de discuter, j’ôtai la serviette dos à eux et enjambai le rebord. L’eau me parut glacée.

— Je me joins à vous !

Je me tournai et vis le regard dépité d’Arcan lorsque sa mère dévoila son corps robuste et marqué par le temps. Elle se glissa dans l’eau, me mettant dans la situation inconfortable, mais moins intimidante que d’imaginer son mari se joindre à nous. Elle le remarqua sans doute car elle demanda :

— Je ne vous mets pas mal à l’aise ?

— Du moment qu’on reste entre femmes.

— Eugène est trop pudique pour ça ! Et Albert va lui tenir compagnie, n’est-ce pas ?

— Oui, mon cœur, répondit le vieil homme depuis la table.

Sa mère fit deux brasses et s’accouda à côté de moi, de manière à pouvoir faire la discussion tout en gardant un œil sur les deux hommes.

— Il vous a regardée, mais c’était neutre. Et là, il ne regarde plus vers nous.

— Il est peut-être gay.

— Peut-être. Mais je ne sais pas pourquoi il ne veut pas le dire.

— Il a peur de votre réaction.

— Non. Il sait que nous nous en fichons. Mais il est aussi pudique sur sa vie qu’au sujet de son corps. Pourtant, vous le verriez en maillot, c’est un bel homme.

— J’imagine.

— Il ne nous a jamais présenté de femme. Jamais !

— Il était dans l’armée ?

— Oui. Ce qu’il y a fait, c’est pareil. On ne sait pas si c’est top secret ou s’il ne veut pas en parler. Vous, il vous parle ?

— Que de travail. Et un peu de cuisine. Il cuisine à l’atelier, et il cuisine très bien.

— Ça, j’ai des enfants qui savent cuisiner et qui aiment les bonnes choses ! Pourtant, petit, Eugène était très difficile ! Mais parlons plutôt de vous, Laëtitia. Vous faites quoi dans la vie ?

— Chercheuse d’emploi.

— Dans la couture ?

— Pas spécialement. Mais mon agence d’intérim m’a proposé ce travail, et ça se passe plutôt bien.

— C’est plus facile pour un couturier quand il a un mannequin. Vous devez être sportive.

— Je fais de la corde à sauter. Je ne suis pas une surdouée, mais j’adore ça.

— Vraiment ? Vous nous ferez une démonstration ? Il doit bien y avoir dans un vieux placard la corde d’Annette.

— Si vous voulez. C’est la sœur d’Eugène ?

— Oui. Ils ont trois ans de différence, mais ils sont très proches. Annette est partie travailler à l’étranger, avant la Covid, et ils ont gardé un lien presque quotidien ensemble. Alors qu’Eugène, avant l’armée, avait un meilleur ami, et il n’a pas gardé contact. Moi en tant que mère, ça me fait plaisir de les voir si proches, même si du coup, ça a soulevé de nombreuses questions. Une fois, quand Eugène avait six ans…

La femme se mit à raconter la vie d’Arcan. J’en oubliais la nudité le temps de plonger dans un passé de petit garçon timide et discret, loin de l’homme dur qu’il était devenu à l’issu de l’armée. C’était un petit garçon renfermé sur lui-même, passionné par la création de costumes, accroc aux jeux vidéo et aux héros auxquels il s’identifiait. Dans l’histoire, il y avait comme un canyon béant que seul Arcan pouvait raconter : ce qui l’avait transformé en cet homme à la fois dur et séduisant.

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