40. Gaming

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Vendredi matin, j’avais demandé à Geisha de me déposer chez moi. Je savais que ma mère serait au travail. J’avais zappé durant près d’une heure sur des vidéos pornographiques que je ne pouvais vraiment qualifier de lesbiennes. Elles étaient filmées pour des hommes hétérosexuels non pour des femmes homosexuelles. La seule chose que m’apprirent ces vidéos, fut la révélation de ce que j’étais en train de devenir. Si j’avais besoin d’inspiration pornographique, c’est que je n’étais plus un simple mannequin qui défilait sans sous-vêtement. J’étais en train de devenir comme ces filles. Si je voulais faire un raccourci, ma mère m’avait lancée dans le porno. Ce constat m’avait refroidie pour la journée, alors j’avais coiffé mon casque, et démarré mon jeu vidéo favori.

Le soir tomba rapidement, tandis que je restais immergée, dans une vue à la première personne, fusil à la main, parcourant l’univers jalonné de dangers. Plus le temps passait, plus j’avais d’amis connectés. C’était un plaisir d’entendre leur voix, et leurs commentaires. Un de mes partenaires les plus anciens me rejoignit dans la ville où l’on pouvait faire du commerce :

— T’as refait ton set d’armure ?

— Ouais, je voulais changer. Je joue depuis dix heures ce matin, je n’ai même pas mangé.

— Je croyais que t’avais trouvé un job.

— J’ai un job, mais c’est mon jour de repos.

— Cool. Tu m’aides à faire le bunker 502 ?

— Si tu veux. J’achète des munitions. Tu veux que je fasse quoi ?

— Hexo doit nous rejoindre. Moi, ça m’arrangerait que tu snipes et que tu gardes la sortie.

— Ça marche.

La main de ma mère se posa sur mon épaule et me fit sursauter en criant.

— Ça va ?

— Oui. Je ne vais pas avoir le temps de faire le bunker 502.

— Roxy ! Merde je viens d’arriver.

— Désolé mon pote. Vendredi prochain, je serai là.

Je me déconnectai et abaissai mon casque en levant les yeux vers ma mère. Elle sourit :

— De retour à la maison ?

— Juste un break nostalgique. Je suis venue chercher mes affaires.

J’éteignis mon ordinateur. Ma mère ne savait pas comment me parler et restait silencieuse. Elle me regarda débrancher et enrouler les câbles. Surprise par son inhabituel mutisme, je lui demandai :

— C’est bien ce que tu voulais ?

— Que tu prennes ta vie en main, que tu gagnes ta vie.

— T’as dit : soit tu me paies le loyer, soit tu te barres. Je me barre.

— Et tu loges où ?

— Chez une collègue.

— Tu travailles ?

Je plissai les yeux, animée de l’envie de la provoquer alors je répliquai :

— Ça te surprends ?

— Et on peut au moins savoir dans quelle branche ?

— Un où il n’y a pas besoin de permis de conduire.

— Mais encore ?

— Je tourne des films X, ça te va ?

Elle gloussa de rire.

— Bon, allez ! Sérieusement !

Je la regardai droit dans les yeux et lui dis :

— Et la moitié des scènes, c’est avec des filles. Je te vendrai le DVD, tu pourras te tripoter en me regardant.

Elle s’irrita :

— Laëtitia ! Tu m’énerves à ne rien comprendre !

— Non, mais peut-être que ça t’inspirera pour ton prochain spectacle.

— Tu ne vas pas me faire croire que tu fais du porno !

— Pourquoi ça te choque ? C’est toi qui m’a mise dedans !

— Je t’ai fait rencontrer Arcan, pas un…

— Et qui tu crois que sont les autres façonneurs aux soirées ? Y a un façonneur qui est réalisateur et qui m’a proposé de faire des films pour lui.

— Laëtitia, arrête de dire n’importe quoi ! Je te connais ! T’as disparu, tu me disais qu’Arcan t’avait virée parce que tu ne voulais pas lécher une autre poupée.

— Mais dans mon film, je ne lèche pas, je suce.

— Je croyais que la moitié des scènes étaient avec des filles.

— C’est elles qui me lèchent, nuance.

Elle resta interdite devant mon à-plomb. Malheureusement, elle me connaissait trop bien pour se laisser convaincre.

— Bon, plus sérieusement, tu bosses ?

— Je m’en vais. Ça ne te regarde pas.

— Je suis ta mère.

— J’ai vingt-et-un ans, t’es plus obligée de t’occuper de moi. Qui m’a dit ça ? Hmmm. Je crois que c’est une femme un peu bizarre qui fait du porno avec des filles qui n’ont pas la moitié de son âge. Je tiens à le souligner, car quand tu verras l’âge de mon partenaire, en regardant mon DVD, je voudrais que tu relativises.

Je soulevai la tour de mon ordinateur et quittai la chambre. J’avais failli lui dire que je couchais avec Arcan. Si je n’avais pas parlé de ma relation avec lui, c’était pour éviter qu’elle m’attaquât plus tard. Si jamais cette relation devait capoter, elle aurait su me le renvoyer dans les dents. Ma mère resta à la mezzanine, pianotant nerveusement sur la balustrade. Elle savait que je mentais et pourtant le doute la hantait. Elle me laissa faire mes allers-retours sans un mot, les dents serrées. Je fuyais son regard humide qu’elle dissimulait derrière son air de colère.

La petite Smart de Geisha recula devant la porte d’entrée, et je chargeai l’étroit coffre, sous le regard maternel, qui se transformait en désespoir. Elle se rendait compte qu’elle me perdait, j’espérais juste qu’elle s’en voulait à elle. Je me tournai vers elle pour la saluer une dernière fois et elle se mit à pleurer. Je la serrai dans mes bras. Elle sanglota :

— Je ne voulais pas… Je ne veux pas que tu partes en me détestant.

— Fallait pas m’envoyer là-bas.

— Je voulais juste que tu sois une poupée célèbre.

Je haussai les épaules en me reculant d’un demi-pas. Elle interrogea avec détresse :

— On se reverra bientôt ?

— Je n’en sais rien. Toi, tu me verras samedi.

Elle fronça les sourcils. Je réfléchis à mes mots.

— Arcan ne pouvait pas trouver plus jolie que moi.

Elle esquissa un sourire. Je m’assis en voiture et Geisha démarra avant que j’eusse le temps d’attacher ma ceinture. Lorsque nous sortîmes du lotissement, elle demanda :

— Ça va ?

— Je n’en sais rien. La relation avec ma mère est devenue très compliquée.

Je commençai à lui raconter. J’avais trop besoin de me confier.

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