51. Interlude médical

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Je ne savais plus à combien de tube de sang la laborantine était… Cinq ? Ma vision s’était un peu troublée et j’avais éloigné mes pensées de la sensation de pincements dans le bras. J’enviais presque Geisha qui se trouvait au travail.

— J’ai fini. Vous allez bien Madame ?

Madame… Quelle horreur à mon âge d’entendre ça. Je me levai, des fourmillements dans les oreilles et opinai poliment du menton.

— Oui, merci.

D’un pas sûr, je franchis la porte. Arcan me vit sortir :

— Tu es pale.

— Ils m’ont pris dix mille tubes de sang.

— On peut s’arrêter à la boulangerie.

— Je veux bien.

Sur un sourire entendu, il m’ouvrit la porte du laboratoire, puis me donna la main jusqu’à la voiture, comme un couple. Nous montâmes dans la Lotus, alors je laissai mes cheveux s’enfoncer dans l’appuie-tête. Avant de démarrer, il m’observa :

— Ça va aller ?

— Oui. Je l’ai déjà fait. Un peu de sucre et ça repart.

— Il reste une question don nous n’avons pas parlé.

— Laquelle ? soupirai-je.

— Préservatif ou pas ?

— Ben… Maintenant… Je pense que si les analyses mauvaises, c’est trop tard pour nous deux. Geisha a pris rendez-vous cette semaine pour faire une analyse avant le travail.

— C’est bien. Mais je ne pensais pas aux IST. Je pensais à la contraception.

— Ben… Ce qui m’embête avec le préservatif, c’est que ça fait des déchets. Et le problème de la pilule, c’est encore pire, ça pollue les rivières, ça modifie les poissons, on le retrouve dans l’eau potable. Je suis méga-contre.

Il démarra le moteur.

— Nous voilà face à une impasse.

Il n’ajouta rien. La voiture descendit brutalement la bordurette pour s’engager sur la route. Je balayai l’écran de mon téléphone à la recherche de méthodes alternatives de contraception. Je ne m’imaginais pas porter un stérilet à mon âge, les spermicides avaient une efficacité variable et beaucoup d’autres solutions utilisaient des hormones. La contraception la plus saine était de ne pas coucher avec Arcan durant certaines périodes, se contenter de jeux. Et ça, une partie de moi ne pouvait s’y résoudre. Je voulais qu’il demeurât une part d’incertitude dans notre relation, quelque chose d’instinctif et animal. Le stérilet s’imposant de lui-même, je pris donc rendez-vous sur DoctoLib avec la gynécologue que m’a mère m’avait fait rencontrer six ans auparavant. Le rendez-vous était dans quatre-mois. Je soupirai :

— Putain !

— Ça va ?

— Oui, oui.

— Cette boulangerie ?

— D’accord.

Il gara sa voiture puis me demanda :

— Je te prends quoi ?

Je trouvai l’attention galante. Je souris et lui dis :

— Quelques bonbons avec du sucre qui pique et… et un pain au chocolat.

Il caressa ma cuisse, un peu comme pour rassurer un enfant malade, puis il descendit. Je validai mon rendez-vous, et je décidai que d’ici là, ce serait spermicide sous forme d’ovules à glisser au plus profond, et croisement de doigts.

Lorsqu’il ressortit de la boulangerie, je tournai la tête vers lui et j’aperçus seulement alors un homme robuste visiblement éméché qui urinait sur la roue arrière. Son gros nez et ses joues boursouflées laissaient supposer que l’ivresse était son état normal. Arcan, un sac dans une main, le porte-monnaie dans l’autre, n’eut pas le temps de dire un mot qu’il le héla :

— Ça te pose un problème ?!

— J’ai un problème avec le manque de respect. Mais vu votre état, vous devez avoir une excuse médicale.

— Quoi mon état ?! Tu trouves que j’ai une sale gueule.

Eugène sourit calmement.

— Vous avez raison. À ce stade, on ne peut pas parler de visage.

La bite toujours hors du pantalon, l’homme envoyant un grand coup de poing circulaire. Arcan l’esquiva sans un effort et l’homme tituba, emporté par son propre élan. Arcan se tourna vers la portière, échangea un regard amusé avec moi avant d’être hélé une seconde fois.

— Viens te battre ! Moi les riches, je les encule ! Et ta poule aussi je l’encule !

Le sourire de mon amant s’effaça et il se tourna vers l’inconnu, et lui ordonna sèchement :

— Dégage.

L’ivrogne eut un mouvement de recul de frayeur, puis il avança en écartant les bras d’un air menaçant :

— Tu vas faire quoi ?!

Soudainement, Arcan le frappa à la gorge avec son porte-monnaie. L’homme recula en s’attrapant la gorge, la bouche béante à la recherche d’air, un filet de bave balançant dans le vide depuis sa lèvre retroussée.

Arcan ouvrit la portière et s’assit en soupirant :

— La jalousie fait des ravages, chez certains.

Il posa le sachet sur mes genoux. Dehors, l’homme s’appuyait contre le mur en retrouvant son souffle. A la vitrine, deux clients qui n’avaient pas osé sortir nous regardaient avec un air ahuri. Arcan démarra à toute vitesse, trahissant le stress que son stoïcisme laissait supposer. Je gobai un bonbon et il demanda :

— Ça va ?

— Cha va.

— Il est bon ?

— Oui. Vous pouvez vous arrêter à la pharmacie.

— Pas la même que la dernière fois, je suppose.

Je haussai les épaules.

— Je m’en fous.

Je posai la main sur sa nuque tendue et caressai délicatement l’arrière de son crâne. À son visage, je vis qu’il se détendait. Je me sentais protégée et à la fois puissante. C’était comme si j’avais apprivoisé un fauve, m’assurant être en sécurité et d’être une des rares personnes capables de l’apaiser. C’était une sensation grisante, presque excitante.

Il s’arrêta à la pharmacie. En reconnaissant la devanture, je ne savais plus si j’avais envie de revoir les deux pimbêches. Percevant mon hésitation, Arcan me proposa :

— Tu veux que j’y aille à ta place ?

— Non.

Je poussai la portière et traversai le parking jusqu’à la boutique. L’une des deux vendeuses était là. J’attendis que la grand-mère devant moi terminât, puis m’avançai. Son regard passa furtivement de la voiture qui attendait de l’autre côté de la vitrine à mon visage, puis son sourire m’indiqua qu’elle m’avait reconnue.

— Qui puis-je faire pour vous Mademoiselle ?

— Je voudrais des spermicides en ovules.

Elle disparut furtivement en arrière-boutique puis posa une boite blanche devant moi.

— À prendre en complément d’une autre contraception.

— Evidemment, mentis-je.

— Y a des risques d’allergie, donc bien lire la notice. À mettre cinq minutes avant le rapport.

— Ça dure combien de temps ?

— Ceux-là sont donnés pour quatre heures, mais, ce n’est pas efficace à cent pour cent. Et s’il y a un second rapport qui intervient avant le délai, faut en remettre un.

Je saisis l’occasion pour me vanter en demandant :

— Ah… Et il y en a combien par boîte ?

— Dix.

Je montai les yeux pour singer la réflexion à voix haute.

— Trois par soir, ça fait… Mettez-moi trois boîtes. Je reviendrai la semaine prochaine.

Elle eut un sourire goguenard et je dis :

— OK. Je reviendrai dans deux ou trois semaines.

Elle partit chercher deux autres boîtes. J’entendis des murmures, et lorsqu’elle revint, plutôt que de traiter Arcan de vieillard, elle tourna sa remarque poliment :

— Mon homme ne tiendrait pas ce rythme.

— Faut en prendre un second. Le mien a tellement d’énergie que je suis obligée de le partager avec ma petite copine. — La surprise sincère éclaira son visage. — Combien je vous dois ?

Elle se ressaisit.

— Trente euros. Parce que vous avez aussi une petite copine ?

Je posai ma carte sur le lecteur et fouillai mon téléphone. J’affichai une photo de Geisha et moi.

— Mon amoureuse. — Je montrai du pouce la voiture. — Mon amoureux. Mais c’est cool, ils s’entendent bien. Et à trois, y a plein de trucs sympas.

— Je veux bien le croire.

Je ramassai les boîtes.

— Bonne journée

Je m’éloignai et avant que les portes vitrées fussent fermées, elle s’exclama :

— La chaudasse !

Je m’assis en voiture, la bonne humeur en banane sur mon menton.

— Ça s’est mieux passé ?

— Comme un sage me l’a dit. La jalousie, faut prendre ça comme un compliment.

— Un vieux sage ?

— Un sage, sage. Un sage middle age.

— En tout cas, le sucre t’a fait du bien.

Je l’embrassai sur la bouche. Il démarra le moteur et prit la direction de l’atelier.

Il m’abandonna au pied du camion pour la seconde moitié de l’après-midi. Travailler avec Annette n’avait rien de pénible. Être loin d’Arcan permettait de mettre mes hormones de côte et rester concentrée. Et elle transpirait une passion créative identique à celle de son frère. Elle me raconta que quand ils étaient petits, Carnaval était leur jour béni de l’année et ils passaient plus d’un mois à concevoir leur déguisement pour aller l’un avec l’autre. La couture, le maquillage, la mécanique, la magie, toutes ces disciplines, ils les avaient apprises dans un but précis. Leurs compétences venaient de cette passion. Oui, elle m’avait bien parlé de magie, car nombreux effets spéciaux reposaient sur des illusions simples.

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