59. Vendetta

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Les votes étaient décomptés.

— En troisième place. Prune et Mirabelle !

Ma mère monta sur scène avec ses poupées, et j’entendis sa voix pour la première fois de la soirée.

— Merci à toutes et à tous pour ce vote qui récompense des heures de répétitions, le travail de deux accessoiristes et une longue recherche esthétique. Je pense personnellement que l’érotisme ne se contente pas d’offrir une poupée en pâture à d’autres, qu’il exige une narration, une atmosphère et une forme de poésie, qu’elle soit douce ou crue.

Ils l’applaudirent, elle quitta l’estrade.

— En seconde place, Fable !

Madame Rose monta sur scène avec la poupée dont je ne connaissais que la taille.

— Merci à toutes et à tous ! Il y avait longtemps que je n’avais pas osé reprendre une poupée. J’ai toujours eu plus de faciliter à mettre en valeur les mannequins masculins. Vous récompensez peut-être un savoir-faire acquis au fil de brunches, en tout cas, vous comblez mon cœur. Une fois n’est pas coutume, je vais éviter de m’étendre en paroles, vous devez être impatient d’entendre votre numéro un.

Ils l’applaudirent. L’hôtesse laissa un suspens de trente seconde, le temps que Fable quittât le podium.

— Je vous prie de faire un tonnerre d’applaudissement pour la gagnante de soir qui aura beaucoup donné de sa personne : Muse !

Surprise de ne pas entendre le pseudonyme d’Anh, je me levai. Arcan me guida sur la scène. Geisha se plaça à côté de moi, son bras autour de mes hanches. Les applaudissements mirent un temps un peu long à s’atténuer. Arcan demanda :

— Geisha ? Comment s’annonce notre récolte ?

Il lui passa le micro.

— Nous avons atteint soixante-quinze centilitres. Je ferai une mise en bouteille pour les enchères.

Les gens applaudirent, comme si tout était réel. La voix d’Arcan sourit :

— Une chose est sûre, Muse vous remercie.

Un nouveau tonnerre d’applaudissement et de sifflets retentit. Arcan eut du mal à reprendre la parole.

— Je… Je voulais… Je voulais vous annoncer quelque chose. Je serai moins bref que d’ordinaire. Tout d’abord, je vous remercie chacun ici pour l’accueil chaleureux que vous nous avez fait dès le premier soir. Depuis les gloutonnettes fort souriantes et prévenantes, à vous, façonneurs, qui partagez cette étrange passion, en passant par vous, les gracieuses poupées, parfois simples mannequins parfois un peu actrices. Je ne l’ai jamais dit devant vous ici, mais je tiens à remercier Sculpturine, puisque c’est elle qui a déniché Muse, dans la petite annonce d’une jeune mannequin qui cherchait un petit job. Alors Sculpturine, maintenant que nous te volons tous les soirs les hourras de la première place, merci. — Les rires traversèrent la salle comme une vague. — Cette soirée était notre avant-dernière représentation. — Une déception s’éleva. — Le labeur qu’exige la confection de tels accessoires fatigue nos nerfs et épuise notre imaginaire. Cela aurait dû être notre dernière soirée, mais comme l’un de vous m’a un peu titillé, j’ai décidé d’en faire une dernière.

Arcan laissa les protestations s’élever. La main de Geisha accrochée à ma taille me caressait doucement.

— Je vous remercie pour votre soutien, vos votes, à tout à l’heure près du buffet.

La main d’Arcan me guida d’un effleurement sur la fesses et Geisha prit la laisse pour me conduire en dehors des ovations. L’hôtesse annonça l’ouverture des buffets. Nous n’eûmes pas le temps de nous éloigner des marches qu’Arcan articla :

— Bonsoir Sculpturine.

— Il semblerait que ma petite mise en garde n’ait pas été si bien transmise.

— Dans tous les cas, vous ne seriez pas arrivée première, répliqua Geisha.

— Vous deviez faire d’elle la reine des poupées, pas un morceau de viande qu’on accroche en pâture à des hyènes voraces.

— Vos deux piranhas ont eut l’air d’apprécier le morceau, répliqua Arcan.

La laisse me tira. Nous nous éloignâmes et Geisha rit :

— Comment vous l’avez cassée !

— Le spectacle de la semaine prochaine devrait lui donner satisfaction.

— C’est vrai.

— Muse, tu as faim ?

J’opinai, l’estomac creux et la gorge sèche.

Le buffet fut l’occasion pour Arcan de se laisser bercer par les compliments et pou Geisha de reste collée à moi, à mes petits soins. Quelques photos, quelques étreintes de filles comme Ipkiss et quelques échanges entre poupées et Geisha, qui transformait l’atmosphère de luxure en ambiance de soirée quelconque.

Nous nous éclipsâmes à l’annonce des jeux de poupée. Dans le camion, Geisha n’arrêtait pas de s’épater de l’ambiance que nous avions créée. Je sentais dans ses mots et l’appel de ses caresses que le feu provoqué par mon spectacle statique n’était pas éteint.

La nuit chaude ne calmait pas son ardeur, elle poussa la porte de hall avec empressement. Sitôt que nous fûmes dans l’ascenseur, elle ouvrit mon manteau et le sien. Son corps nu épousa le mien et elle m’embrassa langoureusement.

— Ça va être à toi de jouer, mon cœur.

Je cherchai Arcan de la main et son bras m’amena à lui. Il m’embrassa à son tour, et l’ascenseur s’ouvrit. Nous sortîmes et ils d’immobilisèrent tous les deux. Geisha murmura :

— Oh putain !

— Quoi ? m’inquiétai-je.

Je relevai ma cagoule. Tandis qu’Arcan s’avançait, Geisha cherchait la boite de mes lunettes dans le sac. Une fois que je les eu chaussées, je découvris leur inquiétude. La porte de l’appartement avait été fracturée. Nous rejoignîmes Arcan qui venait de découvrir le panneau coulissant de son salon d’exposition sur lequel il était peint en jaune : « Avertissement. » Il l’ouvrit et découvrit alors les mannequins lacérés, les costumes déchirés et tagués. Il avança, resta atterré cinq longues secondes, car aucun costume n’avait été épargné. Soudain, il envoya un coup de poing violent sur le visage d’un des mannequins qui tomba. Il hurla :

— La pute ! Putain de sa mère la sale pute !

La vulgarité n’avait jamais fait partie du personnage que Geisha et moi connaissions, pas plus qu’un déferlement d’autant de rage. Nous restions figées, limite effrayées, conscientes de l’instigatrice du saccage. Arcan me regarda, puis se calma brutalement. Je n’osais pas bouger pour autant et je m’excusai :

— Désolée.

La colère fit vibrer sa voix.

— D’être la fille d’une harpie ? Ne dis pas n’importe quoi.

— Il a raison, ce n’est ta faute, me dit Geisha.

J’avais envie de lui faire un câlin, de le rassurer, et en même temps il m’effrayait. Ses yeux passaient d’un costume à l’autre et sa respiration soulevait son torse avec amplitude. Il pinça l’arrête de son nez et nous ordonna :

— Allez vous doucher.

Geisha me prit par la main et m’entraîna vers la salle de bains. Je murmurai quand nous fûmes enfermées.

— Je ne sais pas quoi faire.

— Elle l’a poignardé l’a où ça fait mal.

Geisha s’assit sur la chaise commença à enlever son costume. Je posai mon manteau, abasourdie par la méchanceté de sa vengeance.

— Je ne comprends pas. Si elle voulait vraiment faire un avertissement, pourquoi elle a détruit tous les costumes.

— C’est que la prochaine fois, elle fera pire.

— C’est quoi pire ?

— Mettre le feu à l’appartement, peut-être.

— Arrête ! C’est ma mère, pas une pyromane.

— Tu la connais mieux, y a que toi qui peut deviner.

Elle se glissa dans la douche, je pris sa place pour me déchausser, en essayant de deviner le chemin de pensée de ma mère. Elle avait forcément recruté des malfaiteurs puisqu’elle se trouvait à la soirée. Sans doute avaient-ils eu la main trop lourde. J’entrai dans la cabine.

— A quelle heure ma mère est arrivée là-bas ?

— Elle y était déjà. Elle a dû recruter des petites mains.

— Peut-être qu’ils ont fait du zèle.

Geisha posa sa main sur mon épaule et me regarda avec un air désolé. Elle ne croyait pas à la gentillesse de ma mère. Elle n’en avait jamais vu la couleur. Lorsque nous terminâmes de nous essuyer, Geisha commença à se rhabiller. Je demandai :

— Tu ne restes pas ? Demain, on va…

— Je ne sais pas s’il en a encore envie. Dans tous les cas, faut que je mette des habits propres.

— Reste avec moi, s’il te plaît. On ne va pas le laisser tout seul.

Geisha céda en gardant les bras en bas.

— Il veut bien, au moins ?

Je gardai la serviette autour de la poitrine et regagnai le salon. Arcan avait enlevé son chapeau avec sa cagoule et était assis sur le sol de la pièce principale. Il regardait l’ensemble de son salon d’exposition. Je m’accroupis et hasardai une main sur son épaule. Il soupira simplement.

— Est-ce que je peux faire quelque chose ?

— Je pense que personne, même toi, ne puisse raisonner une carne comme ta mère.

— Je sais. Je pensais à quelque chose de plus simple. Vous voulez que je fasse couler un bain ?

— Je ne sais pas qui est ton géniteur, mais t’as pris beaucoup plus de lui que de ta cinglée de mère. Non-merci, Laëtitia. C’est gentil.

— Est-ce que nous allons toujours chez vos parents avec Geisha ?

— Le cas contraire, ma mère serait déçue. Et ça nous fera du bien.

— Geisha peut rester dormir ici ?

— C’est ton tiers, non ?

— Faudra juste passez chez elle pour qu’on puisse se faire belle.

— C’est noté. Allez vous coucher, je fais une toilette et je vous rejoins.

Je me relevai et rejoignis Geisha qui attendait dans la salle d’eau. Je suspendis ma serviette et la pris par la main. J’actionnai le passage secret au bout du couloir, et nous grimpâmes les marches en fer forgé.

Le lit une fois descendu, Geisha garda sa culotte et son t-shirt puis se glissa dans les draps. Moi je m’assis, et j’attendis. J’ignorais tout de l’avenir avec ma mère. Jusqu’ici, je pouvais croire qu’une fois l’été passé, nous pourrions tirer un trait sur nos différents, qu’elle finirait par accepter ma relation avec Arcan. Désormais, comment pouvais-je même exprimer l’idée de lui parler ?

Arcan nous rejoignit, la peau propre, habillé juste d’un boxer. Il nous demanda :

— Vous ne dormez pas ?

— Je vous attendais. Asseyez-vous là.

Il s’assit sur le bord du lit. Je passai dans son dos et enfonçai mes pouces dans ses épaules. Il laissa sa tête tomber et ne dit plus rien. Geisha demanda :

— Vous allez déposer plainte ?

— Non. Maman a un alibi et ça attirerait l’œil sur les soirées poupées.

— Qu’est-ce que vous allez faire ?

— Rien. Les choses vont se faire d’elles-mêmes.

— Il faut au moins le dire au Grand Glouton.

— Nous n’aurons pas besoin. L’Impératrice vient lundi, elle verra le salon, elle posera la question, nous lui répondrons et comme elle est proche du Grand Glouton, il l’apprendra. La question est : si Maman se fait exclure des soirées, de quelle ampleur sera sa colère ?

Tous deux attendaient que je répondisse. Si de perdre la première place de temps en temps la poussait à l’effraction, à la menace et au chantage, je n’osais pas imaginer ce qu’elle était prête à faire si elle était virée de ces soirées qu’elle vivait avec passion depuis des années.

— Mon amour ? demanda Arcan.

— Je n’en sais rien.

Il se tourna, posa sa bouche sur la mienne.

— Ne t’en fais pas. Tu n’y peux rien.

Il souleva les draps, m’invita à me coucher près de Geisha, puis éteignit les lumières avant de nous rejoindre.

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