70. Papa

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Je retrouvai la chambre de Léa, hantée par mes sentiments pour Arcan. J’étais à la fois ivre d’espoir que Geisha eût raison, et effrayée à l’idée qu’elle se trompât. Revenir en rampant, et découvrir dans quelques mois qu’il nous manipulait réellement me terrorisait. Et d’un autre côté, mon seul désir était de balayer la soirée d’un revers de main, de faire comme si elle n’avait jamais existé et reprendre notre communauté à trois là où elle avait commencé.

Adossée à ma droite dans le lit, Léa pianotait sur son téléphone, me laissant plongée dans mon dilemme, quand mon oncle frappa à la porte. Il s’assit à côté de moi, les mains jointes et dit à voix basse :

— Merci de n’avoir rien dit à Valérie.

Sortant de mes pensées, mon cerveau pédalant dans la semoule en réalisant que Geisha avait eu raison, je dis :

— Je ne savais pas si elle savait.

— Quand je pense à tout le foin que ta mère a fait pour ne pas que tu le saches, et que c’est elle qui te l’a dit.

— Attends, balbutia Léa. Attends ! T’es en train de me dire que ce qu’Anh a dit, cc n’était pas un truc bidon pour cacher ta rupture avec Jason Statham ?

— T’es sortie avec Jason Statham ? s’étonna mon oncle.

— Oh ! Ne détourne pas le sujet ! Papa !

Mon oncle se tut. Léa sourit :

— J’ai une sœur ? T’es ma sœur ?

Je lui souris et elle se jeta dans mes bras. Mon cerveau faisait des boucles dans mon crâne, incapable de savoir comment prendre la nouvelle. J’aimais beaucoup mon oncle, c’était plutôt une bonne nouvelle. Mais mon réseau neuronal semblait saturé, comme la rocade un vendredi soir. Léa ajouta :

— Je le savais ! Je le savais ! Quand je pense que tu nous as dit tout l’inverse quand on t’avait demandé !

Mon oncle opina d’un air contrit.

— Erreur de jeunesse… enfin erreur. Je suis très fier de ma nièce, et puis j’ai tout fait pour qu’on se voie souvent. Vous vous êtes tellement bien entendues, que j’en ai profité plus que ne me l’avait laissé espérer Agathe. Pas trop déçue ?

J’éclatai en sanglots et me jetai dans ses bras. Ses bras se refermèrent, mais j’étais incapable de contrôler mes émotions. Geisha, Arcan, lui. Tout le monde se bousculait. Un véritable dimanche de chassé-croisé de sentiments. Il patienta quelques minutes, me lâcha avant et les yeux humides, soupira :

— Je suis désolé. C’était le pacte avec ta mère. Je ne pouvais rien te dire.

— Je comprends.

— J’aurais préféré de le dire dès que tu aurais été en âge de comprendre. Agathe voulait un enfant, comme sa sœur. Elle a toujours été…

— Jalouse ?

Je ne savais pas si c’était le mot auquel il avait pensé, mais il accepta le mien d’un hochement de tête. Ma mère avait le don pour briser ce qu’elle construisait, et ma vie en faisait partie. Cela me donnait seulement envie de me réfugier dans les bras de Geisha et d’Arcan. Mon oncle soupira :

— Il ne me reste qu’à tout raconter à Valérie.

J’avais beau vouloir bannir les mensonges et la manipulation de ma vie, j’eus tellement peur pour leur couple que je m’entendis dire :

— Si tu veux, on ne lui dit rien.

Il m’embrassa sur la joue.

— Ça me pèse depuis trop longtemps, ma chérie.

Il se leva et sortit. C’était étrange de l’entendre m’affubler d’un sobriquet aussi affectif. J’essuyai mes yeux et il sortit de la chambre. Léa me regarda. Je pinçai les lèvres et elle comprit :

— Anh l’a mitonné ?

— Ça a marché.

— Allez viens ma sœur !

Léa m’ouvrit les bras et je me jetai contre elle. Nous nous laissâmes tomber. Elle passa sa main dans mes cheveux et questionna :

— Et Anh ?

— T’avais raison.

— Comme d’habitude, non ?

— Oui.

— Et Eugène ?

— Je me laisse la nuit pour y réfléchir.

— Quoi ?! hurla la voix de ma tante depuis le rez-de-chaussée.

Nous tendîmes toutes les deux l’oreille, mais plus rien ne nous parvint, ni bruit de vaisselle cassée, ni pleurs, ni murmures. Je m’inquiétai :

— Ils ont fait hara-kiri ?

— T’es conne, rit Léa. Ils ne s’engueulent jamais, ils s’expliquent toujours. Ça va durer toute la nuit, et ils vont finir par déboucher une bouteille de grand cru, la siffler à deux et s’endormir sur le canapé.

— Tu les connais mieux.

— J’ai grandi avec. Dommage que tu n’aies pas été là plus souvent.

— Je viendrais plus souvent. Et puis, au final, ça ne change pas grand-chose.

— Moi, je ne m’en remets pas. Surtout qu’on avait posé la question, je ne me souviens plus, mais on avait tourné le truc pour pas qu’il se doute.

— On ne savait pas mentir, on était petites. Je suis contente que ce soit lui mon père. J’avais tellement fini par imaginer un tocard pris au hasard, un façonneur dans les toilettes de leur club. Ou un truc plus sordide, genre ma mère en train de récupérer le sperme dans la chatte d’une de ses poupées.

— Ah mais t’es dégueulasse !

— Je commence à bien la connaître, et pourtant j’ai grandi avec. Tu sais, elle aurait fait ça avec une paille, elle aurait aspiré…

— Mais arrête ! Je ne veux pas imaginer !

— Et elle aurait aspiré trop fort, ça lui serait ressorti par le nez !

— Mais tais-toi !

— Comme ça, je serais issue d’un super spermatozoïde qui serait passé par deux chattes, une bouche et un sinus.

Elle pouffa de rire :

— En fait tu n’es pas ma sœur, ce n’est pas possible !

— Qu’est-ce qui est le plus plausible. Que mon oncle se soit tapé ma mère, ou que je vive en trouple.

— La première, sans aucun doute. Surtout que ta mère était bonnasse.

— Et pétasse, tu peux l’ajouter.

— Non ça, elle l’est toujours. Même ma mère le dit. Agathe, c’est la pétasse de la famille !

— Cool ! Elle ne sera pas surprise.

— Elle avait l’air quand même, vu comment elle a crié.

— Est-ce que tu veux que je continue à l’appeler Tata ou bien Belle-Maman ?

— Et bien techniquement, c’est ta tante avant tout. Par contre mon père c’est ton père avant d’être ton oncle. Je sens que ça va être compliqué le prochain Noël avec Mamie.

— Surtout si je ramène Eugène et Anh.

— Ah ? Entends-je un espoir pour Eugène ?

Trahie par mon lapsus, je m’énervai aussi sec :

— J’ai dit que j’allais réfléchir.

— Mais j’entends comme une petite voix qui…

— Fais pas chier, Léa ! Je suis claquée ! On se couche !

— Mais il est vingt-heures trente !

— C’est pas toi qui t’es faite goder devant deux cent personnes avant que ta mère envoie ton cœur faire le Space Moutain des sentiments, même pas vingt-quatre heures avant que j’apprenne que mon oncle est mon père. Allez ! Paaf, tiens, t’es pas assez secouée ? On te rajoute le temple d’Indiana Jones !

— Tu t’es faite goder ? Par qui par Anh ?

Je lui tournai le dos.

— Par une vieille de quatre-vingt balais. Pour plus de renseignement, contactez mon agent.

— Non mais allez, je veux savoir !

— Mais non, c’était une mise en scène. Geisha et moi on s’est fait plaisir devant des gens sur un double-gode. Voilà, je te montrerai l’engin, promis. Allez bonne nuit.

Elle éclata de rire.

— Ce n’est clairement pas possible que tu sois ma sœur.

Je ne répondis pas et fermai les yeux. Léa se mit en pyjama, éteignit la lumière, se coucha à côté de moi, et inonda son visage de lumière bleue avec son portable. Elle finit par demander.

— Tu dors ?

— Très profondément.

— Non mais j’imagine trop Mamie quand elle va apprendre la nouvelle. Je l’imagine sourire tranquille et dire : « C’était pas évident ? Tenez, je me suis gardé un p’tit cigare. Je me suis jurée de le fumer si vous vous en rendiez compte avant que je clamse. Tenez mon gendre, on partage ? »

Je pouffai de rire :

— Tu l’imites de mieux en mieux.

Elle posa son téléphone et ajouta :

— Je ne vais pas en dormir de la nuit.

— On l’a toujours su, ça ne change rien.

— Tu sais enfin qui est ton père !

— Ouais, mais ça va plus rien changer à ma vie.

Il y avait de cela un mois, connaître le nom de mon père aurait été une explosion d’émotions. Mais en ce moment, ce n’était que le passé sournois de ma mère, et la seule chose qui m’obsédait était mon avenir. Mon cerveau était encore saturé d’Arcan, de sa voix, de ses regards, de son corps. Léa, ça l’obsédait :

— Combien de fois, ils ont trompé ma mère ?

— Une fois, sinon t’aurais un autre cousin ou une autre cousine.

— Ta mère n’est peut-être pas tombée enceinte tout de suite.

— Peut-être. C’est important ?

— Ben je pense à ma mère. Je te jure, je ne vais pas dormir de la nuit.

Je ne lui répondis pas. Je voulais trouver le sommeil, celui qui réparait, celui qui éclaircissait. C’était une telle tornade dans ma tête, que je sus qu’il fallait m’épuiser physiquement. J’envoyai un SMS à Geisha pour qu’elle m’apporte des affaires, et ma corde à sauter.

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