Lynn Kanzaki

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Quelques gouttes d’eau croupie tombaient sur la tête de Stroker alors qu’il essayait, pour la quatrième fois de suite, de faire une pompe avec Dysill sur le dos.

- Allez, du nerf ! Même moi, je peux le faire !

Le jeune garçon poussait de tout son saoul mais se rendit vite à l’évidence : il était grand, mais vraiment pas très fort. Il tomba encore une fois sur le sol rocheux de l’ancien puits et Dysill se leva de son dos.

- Ce n’est pas encore ça, hein. Bon, il vaut mieux s’arrêter là.

- S’arrêter ? Mais t’as pas dit que c’était important ?

- C’est plus compliqué que ça. Le Souffle, c’est un truc vraiment fort. Alors si ton corps tient pas le coup, ça va être difficile pour toi de le « tenir en laisse ».

- Alors pourquoi on s’arrête ?

- Parce que si tu me portes pas maintenant, tu me porteras pas quand on mourra de soif. Il vaut mieux qu’on se concentre sur l’apprentissage pur et dur.

- Alors on a fait tout ce cirque pour rien ?

- C’est pas ma faute si t’as arrêté les tractions, Stroker, dit Dysill.

- Alors qu’est-ce que je dois faire ? Je t’écoute.

- Kyundo nous a dit que sans volonté ni persévérance, on ne pouvait pas avoir le Souffle. Comme pour la solidité du corps, la solidité de l’esprit est indispensable pour maintenir le Souffle en captivité.

- Et tu crois que j’ai ce qu’il faut ?

Dysill repensa au combat qui l’opposait à Bronson dans le bassin d’eau.

- Je crois, oui.

- Et ensuite ?

- Ensuite, il te faut d’une manière ou d’une autre, savoir qui tu es, même si c’est quelque chose d’assez vague. Une « ouverture », Kyundo a dit que c’était quelque chose qui élargissait ta vision du monde.

- Ah oui, effectivement, c’est pas très concret, comme truc.

- Non… Il y a pas de voie royale.

- Et c’est ça notre plan d’évasion ? Que réfléchisse à comment être plus « ouvert d’esprit » ?

- T’en as un autre ?

- Ouais. Essayer d’escalader ces parois, comme on l’a toujours fait.

Gulliver entama l’ascension du puits. Ce n’était pas chose aisée : il n’y avait que peu de prises et celles-ci glissaient à cause de la matière visqueuse qui en coulait.

- Pas évident, hein ? lança Lynn, qui le voyait essayer de s’extirper de son piège.

Il prit alors plusieurs petites pierres dans sa main et les jeta sur Stroker qui finit par glisser et tomber. Il se rattrapa sur les deux pieds mais eut une belle frayeur.

- Rien de cassé ? demanda Dysill.

- Non…Non, t’inquiète pas.

Lynn s’assit au bord du puits, balança les jambes de haut en bas et se délecta d’une poignée de cacahuètes.

- Dites-moi, les gars. Puisqu’on a le temps d’en discuter, est-ce que vous avez déjà tué quelqu’un ? dit-il en continuant de grignoter.

Dysill comme Gulliver n’avaient pas la moindre intention de dialoguer avec lui.

- Je vois pas pourquoi je vous demande ça. A vos têtes, je la connais, la réponse.

Je vais vous raconter une histoire. C’est un gamin déshérité et chassé de chez lui qui finit par s’en sortir dans la rue. Il gravit les échelons mais laisse tomber la méthode conventionnelle, pas de racket, pas de problèmes, mais il endette, il endette beaucoup. Et puis, en quoi, dix ans ? En dix ans tout le quartier sud se retrouve sous sa botte.

Malgré ça, le gamin, il est pas heureux. Alors il fait ce que font tous les gens malheureux : il cherche la vérité.

Le problème, c’est que la vérité, ça coûte cher. Très cher. Et c’est quand on la connaît qu’on se rend compte qu’elle n’apporte pas de bonheur, seulement de la solitude.

Alors, le gamin cherche d’autres moyens d’être heureux. Il goûte à tous les plaisirs, à toutes les passions. Et un jour, pour apaiser la douleur qui l’a toujours envahi, il décide de se venger de ceux qui l’ont déçu, il veut les punir.

Il retourne de là d’où il vient, il retrouve son père et sa mère et il les pousse des remparts.

Mais croyez-le ou non, ça ne lui fait pas plaisir. Il pensait qu’il se sentirait mieux, après cette histoire, mais il ne réussit toujours pas à être heureux.

Alors il se met à tuer ses rivaux, à le faire de plus en plus salement. Mais vous n’imaginez même pas la déception qu’il ressent à chaque fois. Tuer, ça n’apporte rien, ça ne fait même pas mieux dormir la nuit.

Et puis, un jour, il découvre ce trou, duquel vous essayez de vous échapper. Un puits d’une profondeur de quinze mètres à parois lisses. Quand il y jette un homme pour la première fois, il voit ce que le temps peut faire. Il voit les douleurs, les pleurs, les peurs et les supplications que provoquent l’extrême solitude, le manque de nourriture et de lumière.

Il comprend que c’est ce qui le rend vraiment heureux.

Parce que vous voyez, les gars, quand vous êtes au fond de ce truc, vous vivez la même chose que moi tous les jours. Et quand moi, à mon tour, je vous regarde, je ne me sens plus seul.

Il jeta quelques cacahuètes à Dysill et Gulliver et se releva.

- Tenez, c’est tout ce que vous aurez d’ici un moment. Rassurez-vous, de l’eau, vous en aurez tous les jours. Je ne voudrais surtout pas que vous nous quittiez trop vite.

C’est alors qu’il partit, sans que les deux jeunes gens ne puissent dire quoi que ce soit. Leurs entrailles avaient été retournées.

- C’est… C’est un énorme malade, dit Gulliver. J’ai jamais vu un type aussi obsédé.

Dysill fronça les sourcils, comme si elle en voulait à Gulliver pour ce qu’il venait de dire. Une curieuse expression qui inquiéta Gulliver.

- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, Dysill ? A quoi tu penses ?

- Il est fou, ouais. Mais si tu veux le Souffle, il faudra que tu plonges aussi loin que lui.

- Quoi ? T’es folle ?

- Je te parle pas de jeter des gens dans des puits. Mais t’as dit qu’il était obsédé. Quelque part, il faut que tu trouves ton obsession.

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