Chapitre 16 : feu de tout bois - Acte II

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L’enfant
CHU de Lille
Lundi 12 mars 1990

Roch se gara sur le parking visiteur. À l’accueil, ils demandèrent le docteur avec qui ils avaient rendez-vous.

Il arriva rapidement, leur tendant une main chaleureuse.

« Suivez-moi. Thomas est prévenu de votre venue.

— Comment va-t-il ? interrogea Perclay.

— Il a retrouvé de la mobilité, mais il restera en fauteuil roulant toute sa vie. Il pourra utiliser des béquilles… c’est tout. »

Le regard de l’inspectrice se voilà. Sa vie sentimentale était un désert, après une rupture douloureuse quelques années plus tôt. Et son horloge biologique tournait rapidement.

Le commandant ayant perçu son trouble, embraya : « Et le moral ? »

Le docteur haussa légèrement les épaules : « Il a conscience de ce que va être sa vie. Mais ce n’est pas cela qui le ronge.

— Sa mère… murmura Perclay. »

Le médecin hocha la tête et mit les mains dans les poches de sa blouse : « Il culpabilise. Il voit un psy… mais il se livre peu. »

Ils s’arrêtèrent devant une porte. Le docteur frappa doucement.

« Thomas ? Ce sont les policiers. »

L’enfant ne tourna pas la tête. Roch et Perclay prirent une chaise. Le médecin préféra rester debout, un peu en retrait.

Le commandant essaya, sans succès, à capter le regard du garçon.

« Bonjour Thomas. Sais-tu pourquoi nous sommes là ?

— Pour mon père. »

Aucun tremblement dans la voix. Aucune émotion… Il eut une fulgurance : rechercher les assassins de son père le plaçait dans le camp des méchants. Il devait crever l’abcès :

« Écoute, tu es assez grand, je ne vais pas tourner autour du pot. Ce qu’a fait ton père est horrible. Et on ne va pas pleurer sa mort. Mais ceux qui ont fait cela ont aussi agressé des policiers. Notre travail, c’est de comprendre ce qui s’est passé. Et pourquoi. »

Aucune réaction. Il jeta un coup d’œil à son adjointe. Elle s’avança légèrement, plus douce, plus proche.

« Thomas… Je suis vraiment désolé pour ta maman. »

Sa voix tremblota malgré elle.

« On voudrait juste savoir ce qui s’est passé avant. Lorsque ton père s’est fait agresser. Tu étais là, n’est-ce pas ? »

L’enfant tourna la tête et la dévisagea sans rien dire, le regard dur comme de l’acier. Le silence s’éternisa. Roch commençait à penser qu’ils perdaient leur temps :

« Ils auraient dû le tuer. », la voix était rauque, pleine de haine.

Perclay tendit la main, frôlant celle du garçon, sans le forcer.

« Raconte-nous, murmura-t-elle. »

Le garçon inspira longuement. Puis se lança :

« Ils étaient trois, avec des cagoules. Ils l’ont frappé... à coup de pied, de poing... avec un truc en fer aussi. Ils lui ont dit que s’il s’en prenait encore à nous, ils reviendraient. »

Roch échangea un regard bref avec son adjointe. Il hocha imperceptiblement la tête : continue.

« Et ensuite ? »

Thomas baissa les yeux, sa voix se fit presque inaudible.

« Il a arrêté. Pendant un moment. Puis il a recommencé. Et… »

Un sanglot déchirant traversa la chambre, Perclay, bouleversée, le serra dans ses bras, et instinctivement le dorlota. Ils restèrent longtemps ainsi, sans un mot.

Au moment où ils prenaient congé, l’enfant lâcha, sans les regarder :

« Maman… Ils lui avaient donné de l’argent. Mais elle n’a pas osé partir. Mon père l’a trouvé. Sa voix se brisa à nouveau : c’est ce jour-là qu’il a recommencé à la frapper. »

Les investisseurs
Automobile Club, Paris
Samedi 14 avril 1990

Ils étaient tous autour de la table. Un an…Douze mois qu’il avait été admis comme membre de l’Automobile Club. Une année qu’il avait passé à se créer des contacts, à se faire accepter, aidé par André et son carnet d’adresses. Ce dîner en était l’aboutissement.

Ses convives étaient des investisseurs potentiels dans le montage concocté par Malta. Huit d’entre eux étaient des adhérents de longue date. Ce n’était pas le cas des deux autres.

Le premier, Tipant, avait à son actif une belle réussite dans les affaires. Il s’était spécialisé dans la reprise d’entreprises en difficulté, souvent pour un franc symbolique. Pour les redresser et les revendre avec de confortables plus-values. Perçu comme un activiste plutôt qu'un industriel, il ne faisait pas partie du gotha installé. Tout comme moi, pensa Marc.

Le second, Jean Siem, était un conseiller très en vue d’une grande banque d’affaires. Il avait été la cheville ouvrière des discussions menant à ce dîner.

Il scruta les autres convives : en face de lui, un capitaine d’industrie d’un groupe familial qui avait repris les rênes de l’entreprise, alors en difficultés, et l’avait redressé. Depuis peu, il se lançait dans des participations financières. À sa gauche, conversant avec un PDG dans l'automobile, un magnat de l’armement. Lui aussi était en cours de diversification. Ces deux-là, ainsi que Tipant, avaient été clefs dans les négociations. Eux allaient investir une partie de leur propre fortune. Les autres étaient des dirigeants, énarques ou polytechniciens, de groupes importants qui ne leur appartenaient pas. Concurrence oblige, le tour de table n’incluait aucun responsable de la grande distribution ni aucun banquier.

Le dessert terminé, la table desservie, ils passèrent au digestif. Marc, désormais habitué au protocole, observa les conversations qui se tarissaient. Au moment opportun, Siem prit la parole et les remercia de leur présence.

« Messieurs, permettez-moi de rappeler les principes clefs de notre accord.

Tout d’abord, Marc recherche des associés pour financer la croissance de son groupe.

Pour autant, il souhaite en garder le contrôle. Ses apports personnels restant limités, une augmentation classique de capital est donc exclue.

Et enfin, vous, les investisseurs, ne souhaitez pas réaliser de simples placements sans contrôle de ce qui en est fait. »

Quelques hochements de tête, quelques murmures d'approbation circulèrent autour de la table.

« Après plusieurs rounds de négociations, nous avons convenu du montage suivant. La CPI, Compagnie des Partenaires Investisseurs, est créée. Vos mises se feront sous forme d’augmentation de capital de cette société. Soit cent cinquante millions, résultat des prises de participation des acteurs autour de cette table.

— Pas que, fit observer un des convives, il y a aussi Paris Placement qui n’est pas présente ce soir. »

Siem acquiesça :

« Exact, pour vingt-deux millions. Des fonds luxembourgeois qui ont monté cette structure à Paris spécialement pour notre opération. »

Marc resta de marbre. Derrière Paris Placement, se dissimulait un montage pyramidal et circulaire orchestré par Jacques. Un empilement de sociétés-écrans, éparpillées entre le Luxembourg, Monaco et la Suisse.

Le principe était ingénieux : il avait injecté huit millions de sa caisse noire dans une première strate de sociétés. Chacune s’était ensuite un peu endettée, augmentant d’autant les fonds disponibles. L’ensemble de ces capitaux avaient été placés dans une seconde strate d’entreprises. Qui à leur tour, empruntaient avant d’investir leurs fonds dans un troisième niveau de firmes qui s’endettaient également. Au final, pour huit millions engagés au départ, seize millions étaient disponibles.

Cela c’était pour le principe pyramidal. Malta avait combiné cela avec une boucle : les seize millions avaient servi à augmenter le capital de la première strate. Et la pyramide d’endettement / ré investissement avait recommencé. À l’issue de cette deuxième rotation, ils en étaient ainsi à trente millions.

La dernière étape avait consisté à d’une part injecter ces trente millions dans la première strate, d’autre part à réduire de huit millions le capital de ces entreprises pour récupérer la mise initiale. Résultat des courses, Marc disposait de vingt-deux millions sans mettre un seul franc de sa poche.

Siem continuait ses explications :

« La CPI sera contrôlée par ses actionnaires. C’est-à-dire vous, ainsi que Paris Placement. Marc n’aura qu’un siège consultatif. Vous aurez donc la maîtrise des décisions d’investissement. »

Marc saisit l’occasion pour intervenir : « C’est ce que vous vouliez. Pouvoir choisir les activités où engager vos fonds. »

Le banquier d’affaires reprit :

« L’objectif principal de la CPI est d’investir dans le groupe CFIA. Lorsqu’elle participera au capital d’une de ses sociétés, elle le fera sans droits de vote. »

Tipant renchérit :

« C’est ce que tu voulais Marc : garder le contrôle. »

Marc esquissa un sourire :

« Moyennant la garantie que Jean nous a concoctée. »

Siem hocha la tête : « En contrepartie, il est convenu que la CPI puisse exiger, à tout moment le rachat de ses participations à leur prix d’acquisition. Si ce rachat n’intervient pas sous trois mois, les actions détenues par la CPI se verront attribuer des droits de vote. »

Marc appuya l’explication :

« En cas de désaccord avec ma stratégie, cela vous permettra soit de récupérer votre mise, soit de devenir partie prenante dans les décisions.

— Dernier point, conclut Siem, Marc aura la faculté de racheter tout ou partie des participations détenues par la CPI. La valorisation tiendra compte des bénéfices et du chiffre d’affaires de ces participations. Avec comme minimum le prix payé au départ par la CPI. »

Marc ne put s’empêcher d’en rajouter : « Vous avez un placement rentable, dont le capital est garanti. »

Un petit rire étouffé secoua l’un des convives. Le capitaine d’industrie, tirant sur son cigare, lança :

« Garanti… sauf si ton groupe fait faillite. Dans ce cas, ces garanties ne vaudront rien. »

Quelques murmures fusèrent de-ci delà, et certains convives marquèrent leur assentiment. Marc frémit : avaient-ils changé d’avis ?

Le capitaine d’industrie, reprit, rassurant :

« Mais nous sommes ici parce que nous croyons dans tes projets. Et nous avons sollicité Jean pour veiller au grain, en tant que président de la CPI. »

La discussion glissa alors vers le choix des premiers investissements. À la fin de la soirée, il était décidé que les 150 millions seraient placés de la manière suivante : 100 dans CFIA Bank, 20 dans CFIA Information, 20 dans CFIA Grande Distribution et 10 dans la holding de tête. Ils n’avaient pas été intéressés par l’agriculture.

Malta avait déjà organisé la suite des opérations. CFIA Bank allait injecter ses cent millions dans la Nab. Dans le cadre de l’augmentation de capital du début d’année qui restait en grande partie à libérer.

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