Chapitre 17 : Essouflement - Acte III
Piratages
Paris
Mardi 2 octobre 1990 fin d’après-midi
« Oui ?
— Je vous attends en bas. »
Krazult soupira. Encore le même cirque.
Il repéra sans peine l'individu moustachu qui lui fit un discret signe de tête et partit vers le nord. Il le suivit à distance, à quelques dizaines de mètres. Quand l’homme rentra dans un café, il pressa le pas et franchit la porte juste à temps pour le voir disparaître dans un escalier. Le sous-sol abritait une immense salle, probablement une ancienne cave. Des alcôves voûtées s’alignaient de chaque côté, équipées de tables et de chaises. Son interlocuteur était déjà assis. Il le rejoignit.
Comme la dernière fois, son commanditaire sortit un appareil et le passa le long de son corps pour vérifier l’absence de micros. Satisfait il rangea son matériel :
« Je suppose qu’ici, il est impossible de nous écouter de l’extérieur ?
— Exact.
— Vous lisez trop de romans d’espionnage.
— On n’est jamais trop prudent. »
Ils entrèrent dans le vif du sujet. Le jeune étudiant devait reconnaître que son interlocuteur avait eu raison : il s’était pris de passion pour sa mission.
Ils passèrent en revue les cinq cibles. Pour deux d’entre elles, il avait réussi à avoir un contrat à temps partiel comme agent de nettoyage. Cela lui avait permis de repérer les lieux et d’installer son matériel. Dans le premier cas, il avait inséré une petite carte électronique dans le clavier d’une dizaine d’ordinateurs. Il avait ainsi récupéré les identifiants et mots de passe du poste de travail et de ses applications. Muni de ces accès, il y avait alors implanté un programme de sa composition.
« Parfait, lui indiqua son commanditaire, lorsqu’il eut compris à quoi servaient ces machines et ce que Krazult avait fait. Mais nous devons pouvoir déclencher les actions à distance.
— Pas facile. Ils sont connectés à un serveur, mais je n’ai pas trouvé comment y accéder de l’extérieur.
— Ce n’est pas la peine. Voilà comment on va procéder. »
Il fut enthousiaste :
« Génial ! Il faudra me donner les messages et les opérations qu’ils devront déclencher.
— Je vous fournirais tout ça. »
Pour la seconde cible, Krazult avait eu accès au bureau du président. Pendant longtemps, il n’avait rien pu faire, car il n’était jamais seul. Avec les absences d’été, il avait enfin pu saisir une occasion. Il avait piraté l’ordinateur de l’assistante, doté d’une application permettant d’échanger des messages électroniques : Lotus Notes. Le programme qu’il y avait installé enregistrait en arrière-plan une copie des documents de textes et des courriers, puis les lui envoyait directement, sans passer par la messagerie. Ne laissant aucune trace.
La troisième cible présentait une faille organisationnelle. Dont son interlocuteur avait très vite compris l’intérêt : « Parfait. Pour le moment vous ne faites rien. »
Pour l’avant-dernière, Krazult s’était attaqué à la connexion minitel. Il avait découvert qu’une combinaison de touches donnait accès à une page cachée permettant d’atteindre un profil administrateur :
« On pourrait vider des dizaines de comptes en une soirée. Des centaines en une journée. Il faudrait juste avoir les numéros des comptes », exulta l’étudiant.
Curieusement, son commanditaire exigea beaucoup plus de détails que pour les autres cas. Il voulut savoir quelle était la page concernée et comment il avait fait. Là aussi, il lui ordonna de ne rien faire pour le moment.
Quant à la dernière cible, Krazult n’avait rien pu faire. Impossible d’entrer dans les locaux.
L’homme lui tendit une enveloppe : « Un petit bonus. Vingt mille francs. »
Il releva la main au moment où Krazult allait la saisir : « Et pas de salle de jeux ! Sinon je vous renvoie à vos tortionnaires ! »
L’informaticien pâlit : « Ne vous inquiétez pas... cela m’a servi de leçon. »
***
Le lendemain, Marc fit un crochet par le bureau du directeur informatique qui leva les yeux surpris :
« Jacques, que pensez-vous de la sécurité autour de notre service minitel ? »
Zeppé hésita brièvement : « Il faut une carte bancaire, et le mot de passe est sécurisé. »
Sous ses yeux ébahis, Ancel écrivit une combinaison de touches et une référence sur son bloc-notes : « Il semble qu’on puisse accéder à cette page et s’octroyer un profil administrateur. »
A table
36 Quai des Orfèvres
Mardi 2 octobre 1990, peu avant minuit
« Et qu’est-ce que j’y gagne ? Je veux des garanties ! »
Ils y étaient ! Nathalie Perclay se retint de ne pas jubiler. Le suspect n’allait pas tarder à tout déballer, après plus de dix heures d’interrogatoires, où ils s’étaient relayés, elle et le commandant Roch.
« Aucun procureur ne te donnera de garanties. Mais si tu nous aides et si tu montres du remords pour le gamin, il n’y aura pas grand monde pour regretter que tu aies tabassé son vieux. »
Les épaules du détenu s’affaissèrent.
« Qui est le commanditaire ? »
Le voyou secoua la tête : « J’en sais rien. Ils passent toujours par La Cicatrice. »
Roch, derrière la vitre sans tain, leva le poing en signe de victoire. La cicatrice, sévissait du côté de Belleville : c’était un second couteau offrant ses services à d’autres caïds.
Perclay, imperturbable, reformula pour être certaine : « Après l’assassinat de Bardon, c’est La Cicatrice qu’Et Poena a chargé de passer tous ces passages à tabac dans la région ? »
La petite frappe lui adressa un rictus méprisant : « Les passages à tabac ont commencé AVANT que Bardon soit zigouillé. »
Ministère de l’Économie et des Finances
Vendredi 5 octobre 1990
Agacé, Bogane relut en diagonale la note de la Banque de France.
« La Nab respecte les ratios prudentiels de liquidités. Le Cooke, lui, est excellent. »
Il sauta quelques lignes :
« Les prêts de la Nab aux sociétés du groupe CFIA restent en dessous des 10 % de son bilan. Ce qui est un niveau acceptable, même si les encours sont élevés. »
Il passa au paragraphe ou cette saleté de gouverneur ouvrait le parapluie :
« Deux éléments viennent majorer l’évaluation du risque pris par la banque. Le premier concerne ses filiales britanniques et allemandes : leur principal actionnaire, la Nab, appartient à la Zurich Trust Bank, mais c'est CFIA Bank qui semble les diriger comme s'il en avait le contrôle. Le second porte sur la menace pour la Nab d’une cessation de paiement du groupe CFIA. »
Le ministre arriva à la conclusion. C’était surtout cette dernière qui le hérissait :
« Une faillite du conglomérat CFIA mettrait la Nab en péril. Bien que la supervision du groupe ne rentre pas dans nos attributions, nous estimons être de notre devoir de vous remonter ce point d’attention. Nous restons à l’écoute de vos instructions. »
« Vos instructions ! L’archétype du fonctionnaire qui veut se couvrir ! », bougonna Bogane. En son for intérieur, il devait reconnaître que Bicker avait raison d’agir ainsi. Pas question pour autant de rester avec cette grenade dans la main. D’autant plus qu’elle était peut-être déjà dégoupillée.
Il appela sa secrétaire et lui dicta sa réponse, pour recommander au gouverneur de suivre la situation avec attention, et « d’utiliser ses pouvoirs d’investigations pour évaluer les risques pris par la banque ».
A l’Hotel… Madison, Paris Saint Germain des Près
Lundi 8 octobre 1990
Sophie se releva du lit pour se faire une beauté. Toujours allongé, Marc admira les courbes de sa maîtresse : qu’elle était belle ! La culpabilité le reprendrait en rentrant chez lui, mais pour l’heure, il n’en avait cure. Avec l’arrestation de Tassini, leur dernière rencontre remontait au printemps.
La jeune femme, nue, ressortit de la salle de bain et vint s’asseoir près de lui. Elle le caressa langoureusement.
« Tu m’as manqué.
— Toi aussi. »
Il l’enlaça et… ils retombèrent sur le lit. Lorsqu’ils se relevèrent, l’après-midi touchait à sa fin.
« Il faut qu’on parle affaires... Nous n’allons pas pouvoir lancer la promotion : Le mat et le Belge sont trop dangereux. »
Quelques mois plus tôt, Antonin avait proposé à Ancel une nouvelle opération. Là aussi avec quelques pressions et des pots-de-vin. Il grimaça :
« Dommage. J’avais bien besoin de ces quelques millions de plus-values, il secoua la tête pour revenir à sa préoccupation immédiate, on se revoit quand ?
— Antonin m’a demandé de me faire discrète. Je n’aurais même pas dû venir ici.
— Dis-moi au moins comment te joindre. »
La jeune femme lui sourit et l’embrassa : « C’est moi qui te contacterais. »
Surveillance
Paris et Marseille
Mardi 9 octobre 1990 après-midi
« Elle a rencontré le copain de Tassini, celui dans le show-biz, au champ de courses. Elle est passée à la banque et elle a eu un échange rapide avec le spécialiste des faux papiers.
— Pour se dire quoi ?
— La vedette : des mondanités. La banque : tout ce que je peux dire c’est qu’elle a discuté avec un conseiller financier. A priori, elle n’a rien signé, ni donné, ni reçu de documents.
— Elle devait se renseigner sur leurs avoirs. Le rocker ?
— Pas pu suivre l’entretien.
— Bon. On s’en occupera le moment venu. Rien d’autre ?
— Non… À part le fait qu’elle s’est envoyée en l’air toute l’après-midi.
— Comment cela ?
— Avec un mec, dans sa chambre.
— Et qui te dit que ce n’était pas un contact ! »
L’homme à Paris marqua un temps d’arrêt avant de répondre dans le combiné :
« On a écouté à sa porte. Les gémissements étaient clairs : ils baisaient. »
— Le type, c’est qui ?
— On ne l’a vu que de dos quand il est sorti de la chambre. Et notre gars resté dans le hall a vu trois mecs descendre de l’ascenseur. Il ne pouvait pas tous les suivre.
— Imbéciles ! La prochaine fois, identifiez-moi ce type ! »
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