Octobre

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Nous nous savons poursuivis par l'ost du Roi de France Charles VI mené par le Connétable Charle D'Albret. Affamés, fatigués, je peux entendre les craintes des archers Gallois qui composent en grande partie l'armée Britannique. Cette guerre n'a rien d'inédit, une nouvelle dispute pour un trône usurpé par les uns, légitime par les autres. Au nom de qui ? De quoi ? Une guerre d'un siècle pour qu'une poignée de « Grands » en profite et laisse les autres mourir de faim dans des cabanes tenant à peine debout. La loi du plus fort, encore et toujours. J'y vois là plutôt de l'injustice seulement je ne suis pas ici pour m'en émouvoir. Nous avons fait halte une bonne fois pour toute dans une de ces plaines si caractéristiques de la région. Le temps est lourd, le ciel chargée d'une pluie qui sera notre alliée dans les heures à venir. Nous la maudissons avant de la bénir de ses effets le moment venu. Les Britanniques dont je suis le sillage ont décidé de faire face à la menace qui nous tance depuis Harfleur. L'idée est de gagner du temps ou un bref répit le temps de regagner Calais à au moins une journée de marche forcée de là où nous nous trouvons. Les chances sont maigres et je dois reconnaître la pugnacité de mes compagnons d'armes, tout du moins celle de leur généraux. Je n'ai pas revu l'inconnue qui m'a soigné dans le convoi.


Au coin du feu je laisse traîner une oreille sur ce qu'il se dit dans les rangs. Mon ouïe est bien plus développée que celle des Humains. Occupé à prendre soin de mon équipement payé sur mes deniers personnels, je ne me mêle pas à eux, cela ne m'empêche pas d'être attentif aux on-dits que les langues déliées par un vin âcre laissent échapper. Personne ne veut approcher de trop près le « Démon » que je suis, grand bien leur en fasse je ne suis pas de bonne compagnie mais je ne loupe pas une miette de ce qui se raconte avec parfois quelques regards intrigués, parfois incrédules selon les énormités entendues. L'un de ces archers a appris des éclaireurs l'arrivée sous peu de l'armée française avec en son sein, la fine fleur de la chevalerie du royaume. Pas moins de dix huit mille hommes et nous sommes à peine six mille ici et clairement diminués, le rapport de force n'est pas du tout en notre faveur. Un demi-sourire satisfait étire mes lippes alors que mon attention est faussement tournée vers la lame de ma dague que j'aiguise contre une pierre humide. La perspective d'un engagement qui semble perdu d'avance me réjouit quand elle effraie mes compagnons d'armes aux mines déconfites. C'est certainement suicidaire mais c'est l'essence même de ma quête personnelle en dehors de ce qui m'amène sous ces latitudes.


Apprendre la présence parmi l'ost du roi de France du fils cadet du Duc De Bourgogne vient à élargir un peu plus le rictus qui habite mes lèvres et dévoile des dents un peu trop pointues pour être humaines. Ces nobles Bourguignons sont issus d'une grande lignée de Neuri, évidemment personne ne le sait ici hormis ma personne. Une grande lignée qui se permet de prendre bien des libertés avec nos lois ineffables. Un en particulier s'est illustré dans le domaine et ne semble pas craindre le châtiment qui plane au dessus de sa tête : Philippe de Nevers, un jeune louveteau et comte de son état. Ma proie. Je le traque depuis des semaines, si ce n'est des mois en espérant le rencontrer sur le champ de bataille pour que sa mort ne soit qu'une vulgaire conséquence de ce conflit inepte. Le Prince ne s'est jamais montré alors pour se faire j'imaginais déjà déserter avant l'embarquement à Calais pour rejoindre les pays Bourguignons. Le louveteau me facilite la tâche. Tout du moins, en quelque sort. La bataille à venir reste le seul obstacle entre lui et moi sans compter les milliers de chevaux caparaçonnés de l'ost Français. Ai-je un plan ? Pas le moindre du monde. Je compte sur mon instinct et la propension de ces nobliaux à afficher leurs armes tels des paons et leurs belles plumes pour le trouver, et le tuer. Ni plus, ni moins.


Nous somme le 25 octobre en l'an de grâce 1415 dans une plaine d'Artois au pied du village d'Azincourt.
Il s'est mis à pleuvoir dans la nuit. Une pluie drue qui n'a pas cesser de tomber tantôt en averse, tantôt en bruine fine passant à travers les laines grossières de nos vêtements. Nous sommes trempés jusqu'aux os ce qui n'entame en rien notre impatience. La mienne surtout. En haut de la butte qui domine la plaine sur laquelle nous avons établi le campement, nous pouvons déjà voir des centaines de bannières se dresser vers le ciel. Une forêt d'oriflamme et de blasons tous rassemblés derrière les trois lys d'or du Roi Charles VI. Les éclaireurs n'ont pas eu tord, les Français étaient nombreux, trop...Parfait !
La nuit a été mise à profit pour dresser des pieux là où les archers se placeront. L'habileté des Gallois et de leurs « longbow » n'est plus à faire, ces gredins ont tout intérêt à se montrer aussi efficaces que nous l’espérons. Auquel cas, nous sommes perdus.
Je suis quant à moi, affecté avec mon bataillon au flanc droit sous les ordres du Duc d'York. A gauche, un même escadron mené par le sire de Camoys. Le reste des Archers Gallois est dispersé dans les bois environnants à la fois pour nous protéger de l'encerclement mais aussi se charger des flancs Français en cas d'enfoncement de nos lignes. J'ai l'habitude de ce genre de moment, ce silence pesant qui tombe sur un champ de bataille totalement détrempé. Nous sommes en octobre, les terres viennent d'être labourées gorgées d'eau jusqu'à la lie. Nos bottes restent collées sur le sol lourd qui accueillera alors un combat inévitable. Avant de partir rejoindre mon rang, j'ai recroisé l'inconnue tenant une bassine d'eau chaude à la main. Je la suis du regard et le sien se vissa sur le sol, petite souris timide qui fuit le chaos qui gronde. Depuis ce jour elle hante mes pensées. Les cors sonnent l'assaut, j'abaisse la visière de mon haume. Que la déesse veille sur moi.

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