Jour 4
Hier je me mirais dans la grande glace de la boutique où j'essayais un blouson en velours matelassé que je savais déjà vouloir acheter. Il m'allait bien, ce point était acquis.
Il se déclinait en deux couleurs : kaki mordoré et bordeaux framboisé. J'avais décidé de les qualifier ainsi, les étiquettes étant nettement moins imaginatives que moi.
Bref, je passais l'un, puis l'autre, entrais et ressortais de la cabine pour me voir dans le grand miroir, tournais sur moi-même, le fermais, l'ouvrais, remontais le col ... La futilité de ma vie est abyssale parfois.
Une cliente me regardait pour tuer le temps, elle attendait ce que je supposais être sa fille qui régulièrement, dans un grand et théâtral froissement de rideau, se présentait devant elle avec un nouveau jean. " Il te fait de belles fesses" disait invariablement la cliente, ce qui n'était manifestement pas la réponse attendue car la jeune fille, sans même permettre à son regard de s'habituer à son reflet dans le miroir, s'enfermait de nouveau dans la cabine d'essayage.
Ces petites saynètes me distrayaient de mes propres hésitations et me perturbaient quelque peu. Kaki mordoré ? Bordeaux framboisé ?
Quand tout à coup, la cliente me dit : moi, je prendrais le bordeaux.
On était devenu elle et moi copines de cabine d'essayage sans que je m'en rende compte.
Je lui ai souri en la regardant sans trop savoir quoi lui répondre, trop heureuse qu'elle ne fasse aucune allusion à mes fesses.
Quand re- tout à coup, ma grand-mère, ancienne couturière pour dames s'il vous plait, du haut du nuage où elle doit me regarder de temps à autres, quand elle n'a rien de mieux à faire, m'a soufflée : elle est attifée comme l'as de pique celle-ci.
Et c'était juste ! D'autant que ma grand-mère n'était ni méprisante ni méchante. Elle avait simplement le regard professionnel et le sens de la formule.
Donc, vous ne serez pas étonnés de me croiser désormais avec un superbe petit blouson en velours sublimement kaki mordoré.

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