Les déménageurs

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 Aujourd’hui, c’est la fin. La fin de mon monde. De mon univers tel que je le connais depuis toujours. Nous sommes le 28 juin 3981 et c’est ma dernière journée sur Terre. Demain matin je m’envole pour une autre planète.

 Terranovia est l’une des deux planètes habitables de l’Alpha du Centaure. Presqu’aussi grande que la Terre, elle est idéalement située par rapport à Alpha Centaure A, son soleil. Les conditions ont donc été parfaites pour pouvoir la coloniser.

 Un an de voyage. Un an. 12 mois pour arriver jusqu’à Terranovia, ma nouvelle Terre, comme son nom l’indique. Je trouve ça tellement long ! Nous allons être enfermés dans un vaisseau pendant 365 jours. Tout en espérant que tout se passe bien. J’en ai des frissons dans le dos. Et si le vaisseau se perdait ? Et s’il y a une émeute dans le vaisseau ? Et si on se fait attaquer par des pirates de l’espace ? Et si,

Non, ça suffit Tary, tout va bien se passer. Il faut que tu arrêtes de penser négativement.

 —  Ça va ? me demande David qui décidément doit vraiment savoir lire dans mes pensées.

 — Oui, ça va, ne t’inquiètes pas. Mon imagination me joue des tours. Mais ça va aller.

 — Tu verras, tout se passera bien. Et puis, ça vous fera du bien à toi et aux enfants de changer d’air.

 — Oui, tu as sûrement raison. 

 Je range la brochure de l’agence immobilière interplanétaire dans mon sac puis vérifie que tous mes cartons sont bien emballés et, surtout, que je n’ai rien oublié.

 David est très attentionné. Il prend son rôle de grand frère très au sérieux depuis que je suis née. Il est venu de Terranovia dès qu’il a su pour l’accident. Un an après, il était là avec moi. Même si j’étais gênée qu’il ait mis sa carrière entre parenthèse pour venir, j’étais bien contente de le voir. Je croulais sous les dettes depuis la mort de mon mari et ne savais pas quoi faire. Il m’a persuadée avec les enfants de venir vivre sur Terranovia. Après la vente de la maison, j’ai pu rembourser mes dettes, payer le déménagement extra-planétaire et les billets pour le vaisseau. Il ne me reste plus rien, à part l’espoir d’une nouvelle vie.

 — Le camion va bientôt arriver. Les enfants ont-ils fini d’emballer leurs affaires ? me dit soudain David.

 — Je vais voir. 

 Je les appelle et leur demande si les cartons sont finis, tout en montant les escaliers qui mènent à leurs chambres. Évangeline me crie depuis la chambre de sa sœur que les siennes le sont, qu’il n’y a plus qu’à les descendre et qu’elle aide Amaya à finir ses cartons.

 — Très bien, lui dis-je, je vous rappelle que l’on ne peut prendre que trois cartons chacun.

 — Mais, tu nous avais dit quatre, non ?! me dit Tony en sortant soudainement de sa chambre.

 — Oui, David n’a pas d’affaire à prendre et comme il vient avec nous, il peut aussi avoir une place pour trois cartons dans le camion. Donc, il vous les laisse, il faut juste noter son nom dessus plutôt que les vôtres. Mais, je vous ai déjà donné les feuilles d’identifications. Donc, il vous suffit juste de les coller sur les cartons. As-tu fini ?

 — Oui, j’étais justement en train de coller les feuilles.

 — Maman, combien de valise on peut prendre pour le voyage dans le vaisseau ? me demande Amaya.

 — Dis donc, petite chipie, je viens d’entendre ta sœur te le dire. Donc, tu le sais très bien qu’on peut en prendre deux chacun. Tu veux me montrer ce que tu as pris ?

 — Oui. 

 Elle me prend la main et me tire jusque dans sa chambre en courant. Amaya est une petite fille pleine d’énergie. Du haut de ses 8 ans, je la trouve très courageuse. Elle a beaucoup grandi depuis la mort de son père. Elle fait tout ce qu’elle peut pour me donner le sourire et elle y arrive tous les jours. Faut dire qu’elle fait le pitre tout le temps, un vrai petit clown.

 En arrivant dans sa chambre, je vois Évangeline essayer de faire les cartons désespérément. Effectivement, les doudous dépassent de tous les cartons.

 —  Amaya ! Il y a trop de choses. Tu dois en retirer, lui dit-elle exaspérée.

 — Non, je ne veux pas !

 — Regarde, tu ne joues plus avec ça. Tu peux le donner à une de tes amies.

 — Non, je m’en sers encore un peu. De temps en temps.

 — Tu ne peux pas tout prendre !

 — Si ! Maman, dis-lui qu’elle a tort, s’il te plaît, me dit-elle en commençant à sangloter.

 — J’ai encore de la place dans l’un de mes cartons. On peut voir si on arrive à y mettre le surplus.

 — Oui ! Merci maman.

 — Alors, va chercher le carton. C’est celui qui n’est pas fermé. 

 Amaya court et manque de tomber dans le tournant des escaliers tellement elle est contente. Elle attrape le dernier carton, fait un sourire à son oncle et se remet à courir dans le sens inverse.

 — Ce n’est pas juste, elle devrait se séparer de quelques-uns de ses jouets.

 — Elle est petite, Évangeline. C’est difficile pour elle. Et puis, j’avais de la place.

 — C’est difficile pour nous aussi, tu sais. Nous, on a dû faire un tri et ne pas tout prendre. Même si ça nous a brisé le cœur. 

 Évangeline, part dans sa chambre, les yeux pleins de larme en claquant la porte.

 Les larmes aux yeux, moi aussi, je voulais la suivre pour lui parler, mais Amaya est arrivé.

 — Qu’est-ce qui se passe maman ?

 — Rien, une petite dispute. J’irai la voir après. Bon, alors, comment allons-nous ranger tout ça ? 

 Après un bon quart d’heure à ranger les affaires correctement en essayant de faire le plus de place possible, nous avons réussi à tout prendre. Amaya a un énorme sourire sur ses lèvres, les yeux pétillants de bonheur elle me remercie et me fait un gros câlin.

 —  Je t’aime, me dit-elle

 — Moi aussi mon cœur. Va chercher ton frère et demande-lui de descendre les cartons. Ensuite, je veux que tu prépares les valises, d’accord ?

 — Oui, j’y vais tout de suite. 

 Comme à son habitude, Amaya court pour faire ce que je lui demandé, malgré le fait que son frère se trouve dans la chambre d’à côté.

 Je prends mon carton qui, décidément, n’est toujours pas plein, et me dirige juste en face vers la chambre d’Évangeline.

 — Toc toc, je peux entrer ? lui demandais-je en ouvrant la porte. Je suis désolée pour tout à l’heure. Je sais bien que c’est dur pour toi aussi. As-tu des choses que tu voulais prendre mais que tu n’as pas pu mettre dans tes cartons ?

 — Oui, mais ce n’est pas grave, me dit-elle couchée dans son lit sans me regarder.

 — Tu es sûre ? J’ai pourtant cru comprendre que ça te brisait le cœur, non ? En plus, il y a encore de la place dans le carton, si tu veux.

 — Ah bon ? Mais, et toi ? Tu n’avais que trois cartons au lieu de quatre comme nous. Tu n’as pas dû prendre grand-chose. Utilise la place pour toi plutôt. 

 — Non, c’est bon pour moi. Tout ce que je voulais emballer l’est déjà. Tu peux utiliser le reste de la place. Et puis, je ne peux pas mettre dans un carton ce que j’ai de plus précieux à mes yeux.

 — D’accord, dit-elle en regardant la place restante dans le carton, il y a assez de place pour ce que je voulais !

 — Parfait !

 — Le camion est là, me crie David d’en bas

 — Vite, dépêche-toi de tout emballer et de descendre le carton ! 

 Je laisse Évangeline pour aller aider Tony à tout descendre. Les employés de l’agence ne sont pas très patients. On nous a bien prévenu qu’ils resteront un maximum de 15 min par habitations. Chaque minute supplémentaire est payante. L’équipe de Cédric est là aussi, entrain de filmer David qui place les cartons, en faisant bien attention de caler le mieux possible le carton des fragiles pour éviter qu’il ne bouge durant le voyage.

 — C’était le dernier carton ? me demande-t-il

 — Non, il en reste un. Évangeline, as-tu fini ?

 — Presque.

 — Il reste trois minutes, nous informe l’employé en démarrant le camion.

 — Dépêche-toi ! 

 Tony se met à courir dans les escaliers. Je l’entends demander s’il reste une petite place. David et moi nous regardons, inquiets. Tony dit à Évangeline de descendre le carton et le scotch puis nous l’entendons aller dans sa chambre. Nous sommes dans le camion, le carton déjà placé, dans l’attente de le fermer.

 — Il reste une minute, dit l’employé en regardant par son rétroviseur.

 — Oui, oui, c’est bon.

 — Tony ?

 — Oui, voilà. 

 Tony saute les dernières marches et court jusqu’à nous. Il met vite son objet et David ferme correctement le tout pendant que je m’en vais vers l’avant du véhicule pour signer le formulaire. Dès que l’employé voit son collègue rentrer du côté passager, il me tend le formulaire électronique sur son téléphone, je le signe puis l’envoi à temps. Nous regardons le camion s’en aller au loin, en se serrant les uns aux autres. C’est tout une vie qui s’en va.

 — Qu’avez-vous mis de si important que ça dans le carton ? demandais-je, par curiosité

 — Moi, j’ai mis le gros cadre qu’on a fait avec Linda et Éloïse. Tu te rappelles ? Celui où on a mis nos traces de mains en relief dessus quand on était petite. Je l’ai retrouvé en faisant mes valises, mais il ne rentrait pas dedans. Je pensais pouvoir en mettre dans les cartons d’Amaya, mais c’était peine perdue. C’est pour ça que j’étais triste quand tu lui as dit qu’elle pouvait en utiliser un cinquième. Mais je ne voulais pas te le dire. Je ne voulais pas t’inquiéter et encore moins te décevoir.

 — Ok, et toi Tony ?

 — C’était l’avion en bois que j’ai sculpté à l’école. Je croyais l’avoir perdu, mais je l’ai retrouvé en dessous du lit juste avant qu’Amaya vienne me chercher pour descendre les cartons.

 — Ok, on va se faire une promesse tous les quatre. À partir de maintenant, on doit tout se dire. C’est important pour moi que vous me parliez de vos sentiments. Maintenant, allez faire vos valises. Nous partons à la gare dans 2 heures environ. 

 Les enfants montent dans leur chambre.

 David me regarde. Je le regarde. Puis, nous nous mettons à rire. Un cadre et une sculpture en bois. Tout ça pour ça ! C’est impressionnant comme une chose qui peut nous paraître anodine est si important aux yeux d’un enfant !

 Cédric n’en n’ayant perdu aucune miette, me demande devant la caméra comment je me sens. Un mélange de stress, de tristesse et de joie. C’est tout se que j’ai pu dire. Le Dr Johanson se montre compréhensif. Je l’entends commencer à expliquer les émotions qui peuvent nous traverser lors de ce genre de gros changement de vie. Mais je n’y prête pas vraiment attention. Je me retourne et regarde ma maison. Mon chez moi depuis tout se temps va bientôt devenir le Chez moi de quelqu’un d’autre. Et moi, pour l’instant, je n’aurai plus de chez moi à moi.

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