8. Las

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« L’atmosphère est oppressante depuis quelques temps.

-Oui, comme la veille d’une dévaluation monétaire. Mais je présume que ce n’est pas ça qui t’ennuie le plus, si, Trajan ?

-Pour ne rien te cacher, ça me rappelle le cas Germanicus. Et ni toi ni moi n’avons vraiment passé un bon moment alors. Mais à vrai dire, je commence surtout à sérieusement souffrir de l’inaction.

-C’est évident que pendant une période d’enquête interne, les opérations tournent immanquablement au ralenti. Je peux t’enseigner l’économie pour te distraire, proposa-t-il.

-Non merci, Vespasien. Je préfèrerais une occasion d’émousser ma lame.

-Si ça peut te rassurer, la recherche du dissident avance à grands pas : en deux semaines, huit des treize Confidens ont été innocentés.

-Tu as leurs noms ?

-Auguste n’a pas voulu me les communiquer. Mais sachant que Tibère m’avait mis dans la confidence dès le début, il m’a accordé de connaître le nombre.

-Cette confiance ne m’étonne pas, réagit-il en hochant la tête. Tu as toujours été d’une fiabilité inébranlable.

-Il le faut bien quand on manie de l’argent… surtout autant que moi », s’amusa-t-il.

Le trentenaire aux longs cheveux marines lança un regard aux vitraux qui éclairaient le long couloir. À cette heure du jour, les rayons du soleil couchant changeaient le bleu des vitres magiques en ocre. Bien que ce soit l’opposé de sa couleur favorite, Iulisha ne pouvait s’empêcher d’apprécier ces camaïeux rougeoyants. Une profonde impression de brasier en émanait, à la fois dangereuse et absolument captivante.

« Finalement… je crois que j’ai quelque chose pour toi, Trajan. »

***

« Alors c’est ici ?

-En effet. Ces idiots n’ont rien trouvé de plus solide que cet arbre géant pour établir leur base.

-En même temps, il est si large qu’on peut aisément en faire un bastion. Ce doit être un chernus titan, je ne vois pas d’autre espèce pouvant culminer aussi haut. Et vous disiez que c’était une secte druidique ?

-Des adorateurs d’idoles utilisant un lien avec la nature pour pratiquer la magie. Je compte sur ton arc, Theodora.

-Je ne vous décevrai pas, Trajan.

-Je l’espère. »

Les deux Confidens s’approchèrent du tronc de trente mètres de diamètre jusqu’à arriver à une porte d’acier. Le paladin leva les yeux vers le seul autre moyen d’accès : il s’agissait d’une ouverture à mi-hauteur du fort végétal, visiblement aménagée en terrasse d’observation. Mais étonnamment, aucune sentinelle n’était en poste.

« Je comprends pourquoi Vespasien avait laissé leur cas de côté, lâcha le maître-mage. Ce sont des amateurs. Et nous allons leur donner une leçon. »

D’un coup de pied renforcé par son mana, l’épéiste décrocha les battants de leurs gonds. Le bruit allait probablement réveiller ceux qui dormaient, ce qui compromettrait toute tentative d’infiltration discrète. Cependant, ce n’était pas exactement le moyen d’action qu’il comptait utiliser. Vu son humeur massacrante, la furtivité était devenue une option.

« Je ne vous attends pas ! lui lança sa jeune homologue en courant vers l’escalier en spirale de la tour.

-À ta guise. Je ne supporte pas les imbéciles passée une certaine heure, ce qui leur arrivera m’importe peu. »

Alors que l’archère gravissait les marches quatre à quatre, une demi-douzaine de fanatiques sectaires descendirent du dernier étage à l’aide de filins. Elle réussit à en abattre un au passage, mais les autres se posèrent autour de Trajan. Ce-dernier matérialisa sa claymore, puis leur fit signe d’approcher. Ils ne se firent pas prier pour se jeter comme un seul homme sur leur ennemi. Cela ne lui arracha même pas un sourire. Une fraction de seconde plus tard, la moitié des assaillants avaient été tranchés en deux tandis que les autres s’en sortaient plus ou moins grièvement blessée ; assez pour les handicaper, néanmoins trop peu pour les condamner.

« Essayons au moins de s’amuser avec ce menu fretin, à défaut de mieux, soupira le paladin.

-Qui traites-tu de menu fretin ?

-Vous tous, répondit-il d’un ton monotone, à commencer par toi. »

La dernière chose que vit l’insolent qui avait parlé fut un trait de lumière lui transperçant le front. Il bascula en arrière, mais avant qu’il ne touche le sol, son bourreau pulvérisa un jet d’eau sous haute pression sur un de ses comparses. Les deux malheureux heurtèrent le bois en même temps, mais l’un s’effondra sur le sol pendant que l’autre était violemment plaqué contre un mur. Le flux liquide recouvrit rapidement la tête de sa cible, ne tardant pas à la noyer surplace. Un souffle de givre immortalisa l’expression et la posture du cadavre, après quoi le tueur professionnel fit disparaître son épée d’un claquement de doigt.

« Bien, fit-il remarquer en se retournant, nous voilà donc au dernier. Allez, je te promets de n’utiliser ni mon arme, ni ma magie.

-Menteur !

-Une promesse est une promesse. Viens danser. »

À la fois par esprit de vengeance et parce qu’il était malgré tout rassuré par le serment du Confidens, le survivant sauta sur lui, lame vers le bas.

« Je ne sais pas si tu es au courant, mais tu as une bien joli dague. »

Le maître-mage immobilisa son agresseur tout en s’emparant de son coutelas, avant de le placer contre sa gorge.

« Vous aviez dit ne pas utiliser…

-Ça ne m’appartient pas, aux dernières nouvelles, répliqua simplement son adversaire. Ce n’est pas mon arme, c’est la tienne. »

D’un geste sec, Trajan sectionna la carotide du païen, puis le regarda s’effondrer pathétiquement à ses pieds. Il se débarrassa négligemment du poignard ensanglanté, fit craquer ses cervicales et leva la tête pour crier :

« Theodora, tu t’en sors ? Nous n’avons pas toute la nuit. »

Pour toute réponse, une vingtaine de corps s’écrasèrent autour de lui. La plupart étaient perforés de flèches aux points vitaux, mais certains portaient les stigmates d’une utilisation peu contrôlée de la magie.

« Il en reste, j’en suis sûre, lança-t-elle en dévalant l’escalier.

-C’est évident, répondit-il de sa voix profonde. Un repaire de cette taille accueille au moins trente personnes, si ce n’est quarante. Hors nous ne sommes qu’à vingt-six… non, vingt-sept en recomptant.

-Je retourne là-haut ?

-Non. Assez perdu de temps avec eux. Ils ne m’ont pas apporté la distraction que j’étais venu chercher.

-Alors quoi ?

-Sortons.

-Aussi simplement que ça ?! »

Il ne répondit pas, ce qui obligea la jeune femme à le suivre. Une fois à quelques pas du bastion, il en scella les issues par des murs translucides mais indestructibles. Puis, le plus calmement du monde, visa la base du tronc avec un sort de feu.

« Un vieil arbre vénérable, ça brûle très bien. »

Les flammes gagnèrent rapidement l’autre côté du chernus titan, puis commencèrent à grimper. Une épaisse fumée noire s’engouffra à l’intérieur tandis que le brasier se propageait le long de l’écorce. Theodora regarda, comme hypnotisée, le travail destructeur de la fournaise. Des cris retentirent, d’abord de surprise, puis d’angoisse, et enfin de terreur.

« Une enceinte magique empêchera l’ignition du reste de la forêt. Mais pour frapper les adorateurs de la nature, rien de mieux qu’un incendie. Il en découle toujours un auditoire captif, si tu me passes l’expression.

-Incroyable… souffla-t-elle du bout des lèvres. Moi qui vous prenais pour un moralisateur raisonnable et plein de bon sentiment dans le style d’Hadrien, je m’étais largement fourvoyée.

-Quand on me cherche, on me trouve », conclut-il sobrement.

Il se détourna de la sinistre lumière, très vite imité par son acolyte à la belle chevelure pourpre. Et tandis qu’ils s’éloignaient, une dissonante mélodie de hurlements s’éleva des branches en pleine combustion.

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