9. Épicées

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« Tiens, où vas-tu donc, Trajan ?

-En quoi est-ce tes affaires, Agrippine ?

-Eh bien, en ces temps troublés d’enquête interne en vue de coincer un traître…

-Tu me soupçonnes ouvertement, en clair, lâcha-t-il sèchement.

-Tout le monde soupçonne tout le monde de toute façon, répondit-elle en promenant son regard écarlate sur le harnois usé mais impénétrable qu’il portait.

-Tu t’y prends étonnamment mal pour obtenir la moindre information de moi.

-Oh, c’est juste un prétexte pour t’accompagner.

-Ta franchise tranche avec tes moyens d’action habituels.

-Tu as résisté à mes autres stratagèmes, je tente donc ma chance comme ça.

-Tu me fatigues, Agrippine. »

La jeune femme d’un an son aînée dissimula à moitié un rire, puis passa les portes du palais à côté de Trajan. Le paladin leva les yeux au ciel – ce qu’elle ne vit pas à cause du casque mais devina aisément – avant de prendre une rue au hasard. Il enchaîna les changements de directions sans raison apparente pendant quelques minutes, puis soupira :

« Tu n’as vraiment rien de mieux à faire ?

-Enfin, mon chou, tu ne crois quand même pas que je vais te lâcher aussi facilement, s’amusa la frivole jouvencelle. Pour une fois qu’on a une sortie en amoureux !

-Tu es la seule à éprouver le moindre sentiment et tu le sais.

-Allons, allons, ironisa-t-elle en lui faisant les yeux doux, aurais-tu un cœur de fer à force de porter ce harnois ?

-Oh, quand il s’agit de toi, il est d’obsidienne. Dur et froid. Mais je suppose que le tien est à l’image des riches tissus dont tu te vêts : esclave de la mode et acheté par n’importe quel bourgeois passant devant.

-Tu ne viendrais pas de me traiter de belle-de-nuit, tout de même ?

-Je présume que tu es assez perspicace pour le savoir, sinon tu ne serais jamais devenue numéro six.

-Voilà qui est fort bien dit, lança une voix malicieuse derrière les Confidens. J’espérais bien que vous ne cédiez pas aux avances de cette courtisane ; après tout, je me serais vraiment fâchée si vous m’aviez trompée avec la première venue.

-Vous pouvez toujours rêver pour prononcer sérieusement cette phrase, mademoiselle Lampone, répondit le chevalier sans se retourner.

-La première venue ?! s’offusqua Agrippine en fusillant sa cadette de son regard coquelicot. Apprenez, mademoiselle, que je suis la sixième Confidens, bien nommée la rusée !

-Je le sais, rassurez-vous, répondit Dovia en se plaçant à droite de Trajan. Et je sais aussi que mon cher et tendre amant vous a envoyé sur les roses plus d’une fois.

-Vous aussi, clarifia le paladin. Aucune de vous deux n’a eu de véritable succès dont elle puisse se vanter.

-Il n’empêche, vous m’avez déjà serrée contre votre poitrine durant de longue minutes, lui adressa la jeune noble aux prunelles vairons.

-Alors c’était effectivement un simulacre, soupira le maître épéiste.

-De quoi parle-t-elle ? l’interrogea vivement sa collègue en le toisant d’un regard jaloux.

-Lors de la crise des marchands, j’étais à la gestion de la foule, en première ligne. Elle m’a abordé et a commencé à discuter avec moi, puis a feint un malaise. Autant par galanterie que pour ne pas ternir notre image devant une foule entière, je l’ai portée jusqu’à sa demeure. Heureusement, elle n’était pas loin.

-Tu as fait ça ?

-Peut-être que si tu mesurais plus d’un mètre vingt, se moqua Dovia, il s’intéresserait à toi.

-Un mètre cinquante-six !

-Vous n’avez que cinq centimètres d’écart, pas de quoi se battre, souffla Trajan d’un ton trahissant sa fatigue quant à leur attitude puérile. Mais si vous voulez vous entretuer… »

Il s’arrêta soudainement dans sa phrase. Les deux jeunes femmes attendirent la suite dans un agréable silence, puis il murmura :

« Mais oui, ça crevait les yeux…

-Qu’est-ce-qui crevait les yeux ?

-Rien, Agrippine. Quelque chose qui n’a rien à voir. Mais comme je disais, si vous voulez régler cette question de rivalité amoureuse, allez donc dans l’arène.

-Hors de question, s’opposa Dovia. Je ne tiens pas à salir ma robe. À moins qu’il y ait un baiser à la clef ?

-Il serait peut-être temps que vous rentriez chez vous pour vous reposer, j’ai l’impression qu’une fièvre vous fait délirer, réagit le maître-mage.

-Je suis d’accord, approuva la jouvencelle aux longs cheveux rose pâle. Et puis un tel duel ne serait pas juste. Il n’y aurait strictement aucun défi.

-Sur ce point, je ne contredirai pas, acquiesça Trajan en souriant pour la première fois de la journée. Mais quoi qu’il en soit, si ça ne vous plaît pas, trouvez un autre moyen… et laissez-moi en paix ! »

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