L'Héritage des Manques : Quand l'Échec Maternel Devient Notre Clic

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Bordel, ça me revient à l'esprit comme un putain de réflexe pavlovien. L'éducation. Ou plutôt, l'absence d'éducation au succès. Ma mère. Elle n'en avait jamais rien à foutre de ma réussite. Jamais. J'étais juste un éternel comparse dans le grand théâtre de la vie des autres. "Regarde un tel, lui, il y arrive." Toujours la même rengaine. Et quand je me plantais, quand je me prenais un mur, et que je lançais, avec cette naïveté d'enfant qui cherche la réassurance : "Mais les autres aussi, ils ont eu du mal !", la réponse cinglait comme une gifle : "Tu n'es pas les autres." Toujours cette exception à la règle, cette non-appartenance. Sauf quand il s'agissait de l'échec, là, j'étais pile poil dans la norme, voire pire.

À part pour mon brevet des collèges – putain, un simple brevet, la base de la base –, ma mère ne m'a jamais félicité. Tous mes autres diplômes, le lycée, les études supérieures, tout ce putain de labeur, ça se résumait à un "Ouais, ben... c'est bien." Pas un "bravo", pas un sourire, pas une once de fierté. Un vide abyssal. Je ne pourrais jamais oublier la démotivation qu'elle m'a mis pour le bac, mon grand frère l'ayant raté avant moi. Et la prédiction, lancée comme une malédiction : "De toute façon, tu vas le rater ton bac, comme ton frère." Elle avait la foi en l'échec, elle. Si elle avait pu écrire un livre, ça aurait été celui de Dominique Farrugia, La stratégie de l'échec, mais en version anti-coaching, en totale contradiction avec toutes les conneries d'éducation positive qu'on nous balance aujourd'hui. Elle, c'était la reine de la démotivation active.

Et puis, il y a le jour où j'ai annoncé que j'allais être papa pour la première fois. Putain, on avait tout préparé avec mon ex. Un pot de fleur en forme de chausson, la première photo de l'échographie dans une petite enveloppe, une annonce mignonne, pleine d'espoir. Et là, mon grand frère, ce connard, prend ma mère à partie. Elle revient vers moi, le regard heureux, comme jamais, détachée de tout le sens du moment qu'on lui avait offert, et lâche, comme une information importante que la mienne : "Ton frère va être papa." Elle insistait, oubliant qu'on lui avait fait l'annonce juste avant. Mais merde ! Il n'allait pas être papa à ma place ! Il allait l'être aussi ! Et moi dans tout ça ? J'étais devenu quoi ? Le fantôme de la fête ? Une putain de doublure ? Ce jour-là, j'ai compris. J'ai compris que j'étais la plupart du temps transparent pour elle.

Ceci explique ma vision du monde aujourd'hui, et surtout, mon intérêt désinvolte des relations. C'est comme si j'étais programmé pour ne pas me soucier de la validation, pour ne pas m'investir trop profondément, parce que j'ai appris que, de toute façon, ma contribution sera minimisée, mon succès ignoré, et ma présence parfois même niée.

Imagine une relation aujourd'hui. C'est comme un projet personnel qu'on lance sur les réseaux sociaux. On y met cette photo "parfaite" de soi, on y ajoute des hashtags de bonheur, des citations inspirantes sur l'amour. Un curriculum vitae pour attiré les gens. On attend les "likes", les commentaires, les partages. Mais au fond, est-ce qu'on construit vraiment ? Ou est-ce qu'on cherche juste à prouver qu'on est capable de lancer un projet qui plaît aux autres, même si on ne croit pas vraiment en sa pérennité ?

Mon éducation, c'est ce qui m'a appris que même quand ton projet est bon, quand tu t'y investis, la reconnaissance ne viendra pas de là où tu l'attends. Ou pire, elle viendra pour quelqu'un d'autre, ou sous une forme tellement diluée qu'elle en devient insignifiante. Alors, tu développes un certain désinvestissement. Pourquoi se donner à fond dans une relation si, au fond, tu sais que ton "projet de couple" ne sera jamais pleinement reconnu, jamais célébré pour ce qu'il est, mais toujours comparé, jugé, et potentiellement dénigré ?

C'est là que l'intérêt désinvolte s'installe. Tu ne te bats plus pour une validation que tu sais ne jamais venir, ou que tu as appris à ne pas attendre. Tu entres dans les relations avec une garde baissée, une sorte de fatalisme. Tu ne te projettes pas vraiment, parce que tu sais que, même si tu deviens le "père" de la relation, il y aura toujours un "frère" invisible qui recevra la reconnaissance pour ta propre putain de victoire. C'est cette blessure, ce sentiment de ne jamais être "le premier", d'être toujours effacé ou comparé, qui te pousse à ne plus chercher la profondeur, l'engagement. À quoi bon ?

Ma mère, avec ses comparaisons incessantes et son refus de la félicitation, a créé en moi une sorte de résilience froideface au jugement extérieur. Quand on te dit toute ton enfance que tu n'es pas les autres, que tu ne seras jamais assez bien, ou que tu vas échouer comme ton frère, tu finis par développer une carapace. Une indifférence feinte, ou réelle, envers l'opinion des autres.

Aujourd'hui, c'est une bénédiction, ou une malédiction, quand tu navigues dans le merdier des réseaux sociaux. Les "intervenants extérieurs" qui critiquent en PV, qui te disent "ce type n'est pas fait pour toi" ? Je les lis, et c'est comme si un vieux disque rayé se mettait en marche dans ma tête : "Tu n'es pas les autres." Et soudain, leur jugement perd de sa force. Mon éducation m'a appris à ne pas attendre de "likes" de la part de ma mère, alors pourquoi en attendrais-je de la part d'inconnus ou de pseudo-amis sur Instagram ?

Le problème, c'est que cette indifférence, cette désinvolture, se répercute sur tout. Sur les relations. Tu ne te soucies plus vraiment de l'avis de ton entourage, des "likes" sur la photo de couple, des "quel beau couple" hypocrites. Tu sais que ces compliments sont creux, comme les "c'est bien" de ma mère. Alors, tu arrêtes de jouer le jeu. Tu arrêtes de "scénariser" ta relation pour les autres. Mais en contrepartie, tu peux aussi avoir du mal à te connecter profondément, à t'engager vraiment, parce que tu as appris que l'engagement ne paie pas toujours, que l'effort n'est pas toujours reconnu. Alors dans une relation, lorsque j'entends que la personne me rapporte que les "autres" disent ceci ou cela sur notre relation, excusez moi, mais j'arrête. Ils ne vivent pas à ma place.

Et c''est un paradoxe. Ce qui m'a rendu insensible aux critiques extérieures m'a aussi rendu un peu insensible à l'investissement émotionnel pur et dur. C'est comme si, ayant été privé de validation, je ne sais plus comment en donner, ni comment en recevoir authentiquement. C'est un désintérêt qui te protège, mais qui t'isole aussi. La gueule de bois est là, lourde, non pas à cause du whisky, mais parce que tu réalises que l'absence de reconnaissance de tes propres parents a semé les graines d'une indifférence qui te rend capable de te foutre du qu'en-dira-t-on, mais te prive peut-être aussi de la joie simple d'une relation authentique, vécue sans la pression des "likes" et des validations de façade. Ce sont ces types de situations qui te font avoir de sales habitudes.

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