Journée ensoleillée

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Il y a des fois, où l'on se demande comment c'est possible. Comment la vie peut être aussi injuste. Des fois où l'on préfèrerait tout simplement ne plus être là pour s'en rendre compte. Alors non, la vie n'est pas une utopie parfaite, mais elle vaut tout de même la peine d'être vécue.

C'est ce qu'on dit souvent.

Mais parfois, elle se transforme en une pure tragédie. Plus rien ne peut alors entraver le fléau destructeur, cette roue du destin qui brise les vies, s'acharne inlassablement, et entraîne les âmes dans un précipice sans fin. Et à ce moment-là, on se demande si la vie vaut vraiment la peine de se battre jusqu'au bout.

Et le désespoir finit par avoir raison de nous.

~ ~ ~

  • Lucien, fit une voix.

Le jeune homme se retourna. Il posa ses yeux couleur topaze sur la personne qui l'appelait. La porte de sa chambre s'était ouverte sur la bouille frustrée de sa petite sœur de huit ans à peine, ne laissant entrevoir que ses grands yeux verts et ses longs cheveux châtains qui cachaient en partie son visage. Il soupira et fit basculer tout son poids contre le dossier de son fauteuil de bureau.

  • Viens jouer avec moi ! Tu avais dit que tu viendrais ! Bougonna la petite fille.
  • Pas maintenant, Karlene, je travaille. Mais j'ai presque terminé, je viendrai après, ça te va ?

Elle sembla réfléchir un instant aux termes du contrat, et hocha vigoureusement la tête avant de repartir en silence, un léger sourire aux lèvres. Il resta là quelques secondes, les iris fixant tout et rien à la fois, avant de secouer la tête. Il s'étira avant de se replonger dans l'exercice de mathématiques qui l'occupait depuis plusieurs heures déjà. Il ne lui restait qu'une dernière question. Il reprit son critérium et commença à griffonner sur une feuille de brouillon de son écriture anguleuse et tassée. Les minutes qui suivirent, la petite chambre du lycéen resta silencieuse, seuls y résonnaient les coups de crayon et les bruits de feuilles froisées ou remises en place. Plus d'une heure après, il comprit enfin la méthode de résolution et il put cette fois terminer le travail qui lui avait été demandé de faire une semaine auparavant par son professeur. Ce-dernier croyait beaucoup en son potentiel et lui donnait de temps à autres des devoirs supplémentaires pour qu'il puisse s'entraîner et obtenir les meilleurs résultats possibles à l'examen de fin d'année, puis également lors de ses études supérieures. Car Lucien était un élève de terminale qui appréciait beaucoup travailler. L'année s'avérait plus difficile qu'il ne l'avait pensée au premier abord, mais il n'abandonnait jamais, quitte à passer des après-midis entiers, enfermé dans sa chambre, penché au-dessus de son bureau, corrigeant sa dissertation de philosophie entre deux exercices de mathématiques ou deux chapitres à réviser pour un devoir qui arrivait.

Il regarda la montre à son poignet et vit qu'elle affichait dix-sept heures. Il referma son livre, classa son travail dans son trieur, et rangea le tout dans son étagère impécablement nettoyée. Il se leva pour la première fois depuis de longues heures et sentit des fourmillements remonter le long de ses jambes. Il jeta un œil par la fenêtre, et se détourna en voyant que le temps maussade qui y régnait plusieurs heures auparavant n'en avait toujours pas été délogé. Il fut surpris pas un boulet de canon humain en ouvrant sa porte, et dû attraper en catastrophe dans ses bras Karlene qui l'attendait encore pour jouer. Il la posa gentillement au sol en souriant et se laissa mener par la cadette vers la salle où s'empilaient les cartons de jeux de société et les pochettes de jeux vidéos. La fillette attrapa une boîte vieillie par les années et la plaça sur la table en bois avant de commencer à distribuer maladroitement les cartes à jouer.

Il s'installa face à son adversaire, cartes en main, et laissa l'honneur de commencer à la plus jeune. Elle attrapa son jeu et revêtit un petit sourire machiavélique. Il sourit et haussa les sourcils, amusé par l'expression sur le visage de sa sœur. Elle jeta sa première carte, et Lucien, tout chanceux qu'il était, la prit dans son jeu, puis jeta à son tour une carte qu'il avait en double. Karlene fut la première à poser, mais il lui restait tout de même cinq cartes en main. Deux tours plus tard, Lucien piocha, et se rendit compte qu'en plus de pouvoir poser, il n'avait plus de cartes en main et remportait la manche en un seul tour. Ce fut à son tour de sourire d'un air suffisant à sa cadette qui coupa avec cet air grognon qui faisait céder ses parents à la plupart de ses demandes. Ils firent ainsi deux autres manches, gagnant chacun leur tour. Il entreprit de distribuer les cartes, cependant sa mère l'appela. Il se leva, promettant au passage à la fillette qui boudait à présent de revenir dès qu'il aurait terminé la tâche qui lui incombait, et sortit rejoindre sa génitrice au rez-de-chaussée.

  • Lucien, merci, tu peux m'aider s'il-te-plaît ?
  • Pas de problème.

Il attrapa le bout de la nappe à l'opposé de sa mère et l'aida à la plier parfaitement, puis fit de même avec quelques housses de couette. Il aimait sa mère, et il était prêt à tout faire pour l'aider. Il lui promit de revenir pour préparer le dîner, et retourna auprès de celle qui l'attendait à l'étage. La fillette avait distribuer les cartes sur la table et s'ennuyait ferme, les yeux dans le vide, la jambe droite se balançant sous sa chaise. Lucien toqua doucement à la porte pour ne pas la surprendre. Elle leva les yeux et le regarda un instant, semblant ne pas comprendre ce qu'il faisait là ni qui il était. Puis, sortant de ses pensées, elle lui sourit et désigna le siège en face d'elle. Il s'y installa de nouveau, et ils continuèrent leur partie pendant près d'une heure. À dix-neuf heures, Lucien remercia Karlene pour la partie et entreprit de ranger le jeu dans sa boîte.

  • Laisse, je vais faire, fit-elle, vas aider maman, toi.

Il acquiesça et posa les cartes à proximités des petites mains de sa cadette. Il laissa la porte ouverte en sortant, et croisa la benjamine de sa famille qui descendait elle aussi pour aider. Tatianna était encore au collège, mais elle faisait déjà pratiquement sa taille, caractéristique qu'elle tenait de leur père. Elle avait attaché ses cheveux bruns qui lui tombaient habituellement en cascade jusqu'au bas du dos. Elle souriait, apparemment en pleine reflexion, et Lucien ne l'interrompit pas dans son flux de pensées. Ils prirent l'escalier en silence, chacun révassant de son côté. Lorsqu'il arrivèrent dans la cuisine équipée de tous les ustensiles et machines dont ils pourraient avoir besoin, Lucien s'approcha de sa mère pour s'enquérir du repas à préparer, tandis que Tatianna mettait la table.

Ensemble, ils préparèrent une rapide quiche lorraine, dont toute la famille se délecta moins d'une demi-heure plus tard, attablée dans la salle à manger. Chaque soir, c'était un rituel que chacun s'appliquait à suivre, le seul moment où ils se retrouvaient véritablement tous ensemble, à l'exception parfois d'une soirée cinéma. Ils en profitaient pour discuter de tout et de rien, devant un bon petit plat, concocté par Lucien et leur mère. Chacun y allait de ses histoires, autant adultes qu'enfants. Natalie, leur mère, parlait souvent de son travail et de ses collègues avec son mari, qui faisait de même avec enthousiasme. Karlene, intarissable puit de parole, racontait tout ce qui lui passait par la tête, de ses journées d'écoles à ses idées les plus rocambolesques et farfelues. Lucien, quant à lui, préférait écouter, et découvrir chaque fois les membres de sa famille sous un jour nouveau.

Rien n'aurait pu séparer cette famille des plus unies.

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