Tempête levante (pt.2)
Lucien attendit des heures durant, seul dans ce salon trop grand pour un seul, sans pouvoir se résoudre à manger, ne sachant que faire. Il resta là, assis, les yeux fixant la l'écran de la télévision sans réellement la voir, ses pensées ankylosant complètement le reste de ses capacités physiques. Il réfléchissait sans fin, à toutes sortes de choses sans autre lien les unes avec les autres que le fait que sa famille en faisait partie. Il pensa à quel point ils lui manquaient quand ils s'absentaient, à quel point il avait peur ; à quel point il attendait ce moment où ses parents toqueraient et où le silence serait enfin rompu, où le stress qui l'enserrait relâcherait enfin sa prise. Il était incapable de bouger, ni même de parler ; il se résumait à un simple être de pensée à cet instant précis, profondemment plongé dans un monde auquel personne ne pourrait jamais plonger, son propre monde de probabilités, d'univers parallèles et de films, en permanence à l'arrière-plan de tout cet édifice que chacun pensait inébranlable.
Un son brisa le silence. Un sonnette, celle de la maison ; Lucien réussit enfin à sortir de sa paralysie. Ils étaient enfin rentrés ! Après toutes ces heures d'attente, il était temps. Ils savaient se faire attendre ! Le garçon se hâta vers la porte d'entrée, menaçant de tomber à tout moment tant il courait rapidement. Il dévérouilla la porte, et l'ouvrit, un immense sourire aux lèvres. Mais dehors, ceux qu'il attendait étaient absents. Seuls deux policiers en uniforme se tenaient sur le pas de la porte, l'air soucieux. Le sourire de Lucien s'évanouit instantanément. Où étaient-ils, ces policiers les avaient-ils ramenés à bon port ? Non, la femme l'aurait rappelé, pour sûr. Il ouvrit la bouche, mais trop de questions se bousculaient dans son esprit pour qu'il puisse en formuler une clairement.
- Bonsoir, jeune homme. Vous êtes bien Lucien Leblanc ?
Le sus-nommé mit un instant avant de comprendre la question et de hocher la tête en reconnaissant son nom.
- Pourriez me suivre au poste, s'il-vous-plaît ?
- Pourquoi ? Fut la seule réponse qui lui vint à l'esprit.
Le policier parut hésiter, gêné, comme s'il avait voulu répondre sans le pouvoir.
- Il faudrait que nous joignons quelqu'un de votre famille.
- Je les attends depuis des heures, je ne sais pas où ils sont.
Là encore, le policier soupira et regarda vers le haut en direction de son collègue, semblant chercher de l'aide dans ses yeux de marbre.
- Quelqu'un d'autre de votre famille, expliqua le second policier.
- Pourquoi, demanda-t-il encore, sentant sa colère monter cette fois-ci.
- Et bien, commença le plus petit des deux, c'est-à-dire que... des évènements imprévus se sont présentés et...
- Voulez-vous bien vous asseoir quelque part, s'il-vous-plaît, le coupa l'autre.
Lucien les fit entrer, et se rendit dans la salle à manger où il s'assit.
- Voulez-vous bien arrêter de tourner autour du pot ?
- Vos parents ont eu un accident de voiture.
Lucien resta pantois, son cerveau refusant obstinément de comprendre ce qu'on lui avait dit.
- Donc... il faut que je ramène mes sœurs pendant qu'ils font les papiers pour l'assurance ?
- Non, vos parents, comme vos sœurs, sont à l'hôpital en ce moment même.
Le lycéen réalisa enfin la mesure de ce qu'il s'était passé. Il resta sidéré, incapable d'exprimer quoi que ce soit par des mots pendant quelques instants, puis les questions sortirent d'elles-mêmes.
- Comment ça ? Ils vont bien ? Que s'est-il passé et...
- Une question à la fois, je vous pris. Veuillez nous suivre au commissariat, et nous vous dirons tout.
Lucien accepta avec réticence, mais suivit les deux agents, refermant la maison derrière lui. Il ne posa pas de questions pendant le trajet, laissant les policiers se concentrer sur la situation. Mais sa façade externe était aussi calme qu'étaient nombreuses les questions tourbillonnant dans sa boîte crânienne. Comment était-ce possible ? Était-ce grave ou superficiel ? Quand pourraient-ils enfin sortir ? Le trajet fut une véritable torture mentale pour le jeune homme qui ne cessait de ressasser les paroles des deux conducteurs en espérant y trouver les réponses à ses interrogations. Mais ces questions restaient désespéremment seules, sans la moindre réponse pour éclairer la noirceur qui s'emparait de lui peu à peu.
Il descendit du véhicule après ce qui lui sembla des heures, et suivit prestement les deux gardiens de la paix. Il s'assit confortablement dans une salle plutôt conviviale, et laissa les agents revenir à lui.
- Bien, nous te devons des explications, fit le plus svelte, tout d'abord, tes parents et tes sœurs ont été impliqués dans un accident de la route. Un témoin nous a appelé et a affirmé qu'une voiture avait doublé alors qu'ils arrivaient en face, en les entraînant dans le fossé. Ensuite... ta benjamine est en réanimation à l'hôpital le plus proche.
- Et mes parents ? Et Karlene ?
- Malheureusement, ils...
Il inspira profondemment en regardant Lucien avec ce qui lui sembla être de la pitié.
- Ils n'ont pas survécu au choc, et ta petite sœur non plus.
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