"Le sort fait les parents, les choix fait les amis"

8 minutes de lecture

"Le sort fait les parents, les choix fait les amis"

Abbé Jacques Delille

 Elles se rendirent d'abord à la banque, où Mathilde, accompagnée d'Odessa, procéda au retrait sous les traits d'Isobel. L'objectif était de s'assurer que la supercherie fonctionnait.

 Pendant ce temps, la vraie duchesse attendait dans la voiture le retour de ses complices. Elle observait les passants d'un œil inquiet et ses doigts tapaient la mesure sur le volant. Plus le temps passait et plus son esprit fabriquait de scénarios catastrophes. Le soulagement la frappa lorsqu'elles ressortirent, toutes souriantes, un sac noir pleins de billets à la main.

 À peine furent-elles attachées qu'elle démarra en trombe pour s'engager dans la circulation, en direction de l'aéroport. Odessa compta la somme nécessaire à l'achat de leurs billets, avec un petit extra en cas de besoin. Elle glissa le reste dans les poches intérieures du manteau de fourrure de sa voisine. Isobel lui sourit et lui indiqua d'un signe de tête la boîte à gant devant elle.

 « Regarde dedans, tu trouveras une enveloppe dans le fond.»

 La jeune femme obtempéra. Elle la décacheta et en sortir une carte en plastique.

 « Qu'est-ce que c'est ?

 — Une carte de crédit qui donne sur un de mes comptes off-shore. J'en ai trois en tout, dispersées dans plusieurs endroits de la ville pour le cas où je ne pourrais plus avoir accès à mes comptes. Ou bien, lorsque j'ai besoin de payer sans que cela ne laisse de trace. C'est mes roues de secours, pour les cas d'urgence. Personne ne connaît leurs existences, pas même Ferdinand. Ils sont alimentés par un virement mensuel pour des associations ou sociétés qui n'existent pas.

 — C'est ...

 — Oui je sais, parfaitement illégale. Mais ma nouvelle position m'a appris qu'il ne fallait jamais être trop prudent et je me félicite d'avoir pensé à ça...

 — Tu peux, ça à beau être illégal, c'est un plan de génie ! Et tu vas aussi m'avouer que tu as des faux passeports planqués dans ton coffre ?

 — Bien sûr que non ! C'est trop risqué, ils sont ailleurs et puis... »

 Elle se tue immédiatement en voyant son amie sur le point d'éclater de rire, Isobel releva un sourcil, surprise.

 « Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

 — Rien ! Je t'adore, toi et ta paranoïa !

 — C'est cela ! Moque toi de moi, je ne dirais rien ... N'empêche que comme ça vous pourrez subvenir à vos besoins sans problème !

 — Et c'est quoi le code ?

 — Ta date de naissance...»

 Elle se racla la gorge pour s'éclaircir la voix, déjà mal à l'aise de la confession qu'elle allait faire.

 «En réalité, cette carte t'as toujours été destinée. Au cas où ...»

 Odessa regarda sa meilleure amie les yeux brillant d'émotion. Elle lui avait ouvert un compte secret dans le cas où elle aurait besoin d'aide. Pour le cas où elle décédait avant elle. C'était son héritage en quelque sorte.

 L'importance du geste et sa signification lui coupa le souffle et la rendit muette. Que dire devant tant de générosité, tant de gentillesse, tant d'amour. Odessa n'avait plus de famille depuis bien longtemps et même si elle avait toujours considéré Isobel comme une sœur, il y avait une différence entre le dire et agir en conséquent.

 La main de son amie sur son genou et le doux sourire qu'elle lui offrit la conforta encore dans son lien de fraternité avec elle. Et les paroles qu'elle prononça ensuite lui assurèrent qu'elle la connaissait par cœur et quand bien même aucun mots n'avaient été échangés, elles s'étaient comprises.

 « C'est ma façon de prendre soin de toi, tu vois ... de... de t'intégrer dans mon monde. Parce que tu sais, j'ai beau avoir deux sœurs, c'est toi que je considère le plus comme ma famille.

 — Merci, Isobel. »

 Un bruit de mouchage se fit entendre dans le fond de la voiture. Les deux amies regardèrent à l'arrière pour voir Mathilde les yeux brillants d'émotion, un mouchoir sur le nez, en train de souffler dedans de manière fort peu discrète.

 « Vous avez réussi à me faire chialer, P*****. C'est trop touchant ! »

 Ces quelques mots déclenchèrent l'hilarité de toutes les passagères, mettant ainsi fin à cette séquence émotion.

*******

 Au bout d'une quinzaine de minutes de trajet, Isobel se gara sur le parking d'un grand centre commercial, situé à mi-chemin de l'aéroport.

 « Attendez-moi là, j'en ai pour un instant.»

 Tandis qu'elle se dépêchait de sortir de la voiture pour se diriger vers l'entrée de l'immense bâtiment, Mathilde et Odessa se lancèrent des regards d'incompréhensions surprises par le comportement inattendu d'Isobel. Elles échangèrent quelques mots afin de deviner quelle mouche l'avait ainsi piquée pour agir de la sorte.

 Pendant ce temps-là, la duchesse se dirigeait, d'un pas pressé, vers un coin de la galerie marchande, où se trouvaient plusieurs casiers publics. Elle chercha le numéro 312 et composa le code du cadena qui le scellait. Ouvrant la porte métalique, elle attrapa le sac à main presque neuf, qui se trouvait à l'intérieur et le passa en bandoulière. Elle laissa à l'intérieur le sac de voyage qui contenait de la nourriture impérissable et quelques vêtements de rechange.

 Après avoir refermer la porte, elle brouilla le code et retourna sur le parking rejoindre ses acolytes impatientes.

 Une fois sa ceinture de sécurité bouclée, elle démarra et continua sa route sans avoir fourni la moindre explication. Odessa, à bout de patience, décida d'avoir les réponses qu'elles attendaient. Elle se saisit du nouveau sac à main et le posa sur ses genoux pour l'inspecter sous toutes ses coutures.

 « Cool ton nouveau sac à main. Si t'étais motivée pour une séance shopping express fallait prévenir, on t'aurait accompagné. »

Isobel rit face aux reproches d'Odessa.

 « Tu crois vraiment qu'en cinq minutes j'ai eu le temps d'aller dans un magasin, choisir un sac, payer et revenir ici ?

 — On ne sait jamais ...

 — Allons, tu sais très bien que j'ai en horreur le magasinage.

 — Donc ? Tu nous expliques d'où il sort ?

 — D'un casier.

 — Le genre qu'on loue à la journée, ou pour plus longtemps ?

 — Exactement ! »

 La lumière se fit enfin dans l'esprit de la belle rousse qui commença à sautiller sur son siège d'excitation.

 « C'est une autre de tes identités secrètes !?

 — Tout à fait. »

 Une soudaine œuphorie pulsa dans ses veines et elle s'empressa d'en inspecter le contenu. Elle y trouva un téléphone portable, une trousse de toilette avec des échantillons de shampoing et de gel douche, du maquillage, un miroir de poche, des serviettes hygiéniques, une brosse à dent et du dentifrice. Le sac contenait aussi une trousse à pharmacie avec le minimum vital et un nécessaire à couture.

 Odessa sourit en le sortant. Elle reconnaissait bien là l'âme de couturière de sa meilleure amie. Le remettant dedans, elle continua son inspection. Il y avait aussi un porte-feuille avec passeport, permis de conduire et cartes de crédits au nom de "Charlotte Laroche".

 « Charlotte Laroche ! Vraiment !?

 — Et bien quoi, c'est un nom comme un autre.

 — Cela n'a absolument pas de rapport avec le nom de l'héroïne de la série que tu adores ?

 — Et bien ... Je m'en suis peut-être un peu inspiré. Et je n'ai peut-être pas choisi cette identité par hasard. Après tout l'autre personnage principal s'appelle Adam et appartient à une sorte de mafia ... Comme leur histoire se finit bien, tu vois ?

 — Un moyen de te porter chance ?

 — Exactement !

 — Et tu comptes finir dans le lit de cet "Adam" ?

 — Odessa ! Voyons ! Arrête de toujours vouloir me caser avec tout le monde. Et puis, je ne le connais même pas. Et aussi, c'est ... C'est le chef de la mafia ! Et pas n'importe laquelle ! La plus puissante et la plus importante de tout l'empire de Strania. Ce serait ... terriblement indécent et ... et de la pure folie ! Voilà ! De la folie !

 — Tu rougis ET tu bafouilles !

 — Evidemment, c'est ... Terriblement inconvenant comme conversation. Et je suis sûr que Mathilde n'est pas intéressée...

 — Au contraire ! Qui est cet Adam ? »

 De rouge, Isobel devint cramoisie. Qu'avait-elle donc fait pour mériter cela ? Elle aperçut enfin le panneau indiquant l'aéroport et l'échappatoire qu'il lui offrait.

 « Une autre fois ! Nous sommes arrivées. »

 Elle se gara sous les rires sarcastiques des deux autres. Et Odessa articula un « je t'expliquerais plus tard » muet à Mathilde dans le rétroviseur de la voiture avant de se tourner vers Isobel.

 « Je veux tous les détails à ton retour !

 — Mais enfin ! Puisque je te dis qu'il ne se passera rien ! »

 Ses protestations ne firent qu'attiser les rires de ses compagnes.

 « Bien ! C'est ici que nos chemins se séparent. »

 Elle tendit son téléphone à Mathilde de nouveau sérieuse devant la mine grave de la conductrice.

 « À partir de maintenant tu es moi et ce jusqu'à votre première escale. Prends mon téléphone, dans le cas où nos opposants décideraient de me traquer de cette manière-là. Laisses-le éteint, ainsi tu n'auras pas besoin de répondre à qui que ce soit. Et quand vous arriverez, jettes-le dans la première poubelle. »

 Elle était triste à cette idée. Le téléphone fonctionnait encore très bien. Et le jeter ainsi serait une faute grave d'un point de vue écologique. De plus, un pincement au cœur la fit culpabiliser. Des enfants avaient risqué leur vie, certains en étaient probablement mort, pour extraire les matériaux des composants du précieux appareil.

 « Non ! Ne le jette pas finalement. Fait une sauvegarde et restaure les données d'usines avant de l'offrir à une personne dans le besoin. »

 Mathilde prit le téléphone et hocha doucement la tête, perdue.

 « Mais, et toi ? Comment vas- tu faire pour prévenir ton secrétaire ? Ou tes gens ? Ou je ne sais qui ! D'ailleurs une duchesse prévient qui dans ce genre de situation ? »

 Sentant sa panique arriver, Isobel tenta de la rassurer.

 « Calme-toi Mathilde, tu n'es pas seule, d'accord. Odessa me connaît mieux que quiconque et je possède d'autres moyens pour contacter mes proches. Tu n'as besoin de t'inquiéter de rien. D'accord ?»

 Elle prit une profonde respiration et donna son accord. Isobel se tourna alors vers sa meilleure amie.

 « Tu sais quoi faire. La suite est entre tes mains.

 — Et toi ? Que comptes tu faire ?

 — Je vais garer la voiture devant une résidence et appeler un taxi pour me rendre à l'aérodrome de Jetsenvole. C'est là-bas que se trouve le jet privé. Pour le reste ... J'improviserais !

 — Promets-moi d'être prudente !!

 — Je le serais.

 — Promets-le !

 — Je te le promets !

 — Bien... Dans ce cas, c'est l'heure des adieux ? »

 Elles se prirent dans les bras, dans une longue étreinte avant de se séparer. Une fois les bagages récupérés, Isobel les salua de la main, fit marche arrière et les quitta dans un nuage de poussière.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Moonie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0