Chapitre 07 : Le bouleversement

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Gin s’entretenait en privé avec Junker et Quentin. Ceux-ci ne semblaient guère rassurés. L’homme leur avait déposé des boissons fraîches, mais aucun n’y avait encore touché. Ils se regardaient donc sans un mot. Finalement, le chef de Goei soupira en souriant.

-Eh bien, les gamins, que se passe-t-il ? Vous étiez plus bavards tout à l’heure. J’vous fais peur ?

- Euh… non, dit Quentin. Mais… peut-être n’a-t-on pas fait le bon choix, en fin de compte.

Gin abandonna son sourire et se pencha.

-Avec du recul, j’ai du mal à… à réaliser où nous sommes.

- Ce que mon ami essaye de dire, c’est que nous sommes impressionnés. Votre grandeur est…

- Je ne veux pas de vos flatteries faussées, le coupa l’homme. Plus sérieusement, pourquoi souhaitez-vous intégrer Goei ? Vous n’êtes que des gamins.

Junker et Quentin se regardèrent. Ils entreprirent de lui raconter leur histoire, tous ce qu’ils avaient vécus. Touché par ce récit, le visage dur de Gin s’adoucis. Junker lui conta toutes ses péripéties, ses rêves et ses espoirs, à présents jumelés à ceux de Quentin. Son visage passa par l’étonnement lorsque l’être robotique se métamorphosa en dragon devant lui, mais ne prononça aucun mot. Tout juste hocha-t-il la tête.

-Et voilà, vous savez tous, monsieur Gin, dit Quentin. Si nous voulons intégrer Goei et Kuran, c’est pour réaliser nos vœux et… éventuellement réparer la queue de mon ami.

Junker lui montra son gouvernail abîmé.

-Je vois…

La bête de métal reprit sa forme humanoïde. Gin s’enfonça dans son fauteuil.

-Vous avez conscience des risques qu’impliquent une telle décision ? Je n’y vois pas d’inconvénient, mais enrôler des gamins… encore que, je dis ça, mais vous m’avez l’air assez adulte. Surtout toi, l’alien.

Junker ne rétorqua pas, se contentant de se rassoir. L'homme eut un nouveau sourire.

-Je vais y réfléchir. Mais sachez que si je vous prend, vous ne ferez pas vraiment parti de Goei.

- On s’en doute, dit Quentin. Il est toujours plus sûr de tester avant d’acheter.

Son ami le regarda de biais, peu emballé par l’image donnée. Gin leur assura que bien entendu, l’identité de Junker resterait cachée et leur possible intégration ne remonterait au cœur de l’organisation que lorsqu’il l’aura décidé. L’être de métal esquissa bien malgré lui un petit sourire. Ce Gin, malgré ses allures d’hommes d’affaire peu scrupuleux et sévère, semblait être bienveillant et agréable. Il était même assez sympathique. Lui qui pensait que les mafieux étaient tous des brutes sans honneur et sans une once de gentillesse, il s’était bien trompé. Mais il préférait garder cette réflexion pour lui pour ne pas froisser son hôte. Gin leur posa ensuite quelques questions sur d’éventuels éléments qu’il souhaitait approfondir concernant leur passé. Il semblait s’intéresser tout particulièrement à Quentin, chose que Junker n’appréciait guère. Néanmoins, il ne laissa rien paraitre.

-Et toi, garçon robot ? D’où tu viens ?

- Je… je n’en ai aucune idée. Peut-être suis-je né sur Terre ? En tout cas, j’y ai grandi. Ici même, dans ces quartiers.

- Eh bien… Grandir seul n’est pas facile, et je te comprends. Moi-même… j’ai eu une histoire assez compliqué. Mais toi… malgré tout ce que tu as vécu, tu garde la tête froide. Et à ce que je vois, tu tiens à ton ami.

- Oh… oui, c’est vrai…

Gin s’appuya sur l’accoudoir et posa sa tête sur sa main, les regardant avec un petit sourire attendri.

-Quoi qu’il en soit, je vais y réfléchir. Je viendrai personnellement vous voir dans quelques jours pour vous donner ma réponse. Vous avez une adresse ?

- Oui ! S’exclama aussitôt Quentin.

Jin lui donna une feuille et un stylo pour qu’il puisse écrire. Suite à cela, ils se levèrent. Junker se drapa dans sa cape et remonta les bandeaux sur son visage.

-Merci, dit-il. Pour nous avoir écouté.

- C’est tout naturel. Vous savez, Goei n’est pas une simple organisation de livraison et d’escorte. C’est avant tout un refuge pour ceux qui en ont besoin.

Junker et Quentin le remercièrent encore et s’en allèrent. Gin se rassit, songeur. Sa femme entra.

-Alors ? Demanda Marida. T’en penses quoi de ces jeunes ?

- Eh bien… ils sont tenaces et savent ce qu’ils veulent. Le p’tit black a eu quelques hésitations, mais son ami… Non, ils sont pas comme tout le monde, ces deux-là.

- Le robot ?

- Oui. Ils sont spéciaux, j’en suis sûr.

Tandis que Quentin rentrait par la grande avenue, Junker, lui, passait par les toits. Il surveillait son ami d’un œil attentif tout en poursuivant sa route. Mais lorsqu’il arriva au niveau de la fenêtre d’appartement, une odeur inconnue occupait le lieu. Aussitôt, Junker compris qu’on était probablement venu les déloger tous les deux. Car de ce que l’inconnu disait, il comprenait que Quentin n’avait pu payer son loyer a temps. L’homme semblait patibulaire et peu sympathique, probablement agacé par les impayés du jeune adolescent et du trou qu’il avait probablement creusé. Junker fronça les sourcils. Quentin approchait de la porte de l’immeuble. L’être de métal bondit alors.

-Quentin !

Il se réceptionna dans son dos.

-Quoi ?

- Ton propriétaire t’attends là-haut. Il n’a pas l’air content.

- Eh merde…

Il s’assit sur le palier.

-J’ai pas pu le payer le mois dernier, et là… j’ai tout juste assez. A tous les coups, il va tous me prendre.

- De toute façon, nous n’avons plus rien à faire ici.

Le jeune homme redressa la tête, surpris. Junker lui expliqua que puisqu’ils allaient probablement rejoindre Goei, ils n’avaient plus de raison de rester.

-Comment… comment tu fais pour te détacher ainsi des choses ?

- Avec le temps, on apprend à laisser le passé derrière soi. J’ai déménagé un certain nombre de fois, tu sais.

Junker vint s’asseoir à ses côtés et passa un bras autour de son cou. Quentin tourna la tête, surpris.

-Pour nous, c’est une nouvelle vie qui commence. Depuis que je te connais, j’en ai appris bien plus sur l’Homme que depuis ma naissance. Il ne faut pas rester dans le passé. C’est derrière nous, et on ne peut rien y changer. Le seul truc qui compte vraiment, c’est quoi ? L’instant présent, parce que ça tu le choisi.

Le jeune homme le regarda. Même avec son visage caché, son ami était absolument magnifique. Cela faisait ressortir ses yeux bleus scintillants. Les arrêtes de ses cornes venaient lui faire un regard agressif, mais Quentin n’y voyait pas la moindre trace de méchanceté. Il avait envie de lui retirer ses bandes, de tendre le cou et de sentir leurs lèvres se toucher, mais il s’en sentait incapable.

-Un problème ? Demanda Junker en voyant son air rêveur.

- Oh, euh… oui, tu as raison… On va où du coup ?

- Avec le froid, impossible de gagner les souterrains. Tu serai gelé en moins de deux. Ne bouges pas, je vais chercher quelques affaires dans mon… mon chez-moi.

Sur ce, Junker fila. Quentin tendit le bras, probablement dans une tentative désespérée de le retenir. Il poussa un soupir. Alors, derrière lui, la porte s’ouvrit.

-Excusez-moi, dit-il en se levant.

Il se tourna. Au même moment, un revolver fut coincé sous sa mâchoire.

-M… Monsieur Adam.

- Maintenant tu vas payer ton loyer, gamin.

Pendant ce temps, Junker parcourait les souterrains sous sa forme dragon. Il trottinait le nez au vent, à l’affut du moindre bruit. Il arriva au niveau de son abris et se redressa. Il vint prendre le nécessaire et fila sans un regard en arrière. Il s’arrêta alors.

-Quentin !

Celui-ci était en train de mettre tous ses biens de valeur dans la valise, en plus du peu d’argent qu’il possédait. Monsieur Adam le menaçait de son arme.

-Tu m’as l’air bien calme pour un gamin au bord de la mort.

- Oh, vous savez… je ne pense pas mourir aujourd’hui. Pourquoi me tueriez-vous ?

- Des yeux de cette couleur, ça doit valoir une fortune au marché. Dans toute histoire, les yeux rouges sont ceux qui hypnotisent les gens, qui les asservissent. C’est un symbole de puissance. Tu as fini ?

- Oui.

- Bien.

Il le fit se déplacer et ils inversèrent leurs positions. Quentin se retrouva près de la porte et monsieur Adam au niveau de la table avec la mallette. Sans le quitter de son arme, l’homme attrapa l’une des maigres liasses de billet. Il la porta a son nez, comme s’il voulait la sentir.

-Le fric, il n’y a que ça pour vivre. Tu ne crois pas ?

- Facile a dire quand on dépouille ses locataires.

- Ne commence pas à être insolent morveux. Maintenant, tes pupilles sont à moi.

Il braqua son arme sur le jeune homme, prêt à tirer. Soudain, un rugissement se fit entendre. Quentin tourna la tête. Junker se tenait sur le pas de la porte sous forme quadrupède, le fessier levé et l’avant-bras abaissé.

-Quoi ?!

Monsieur Adam pointa son arme sur la créature qui bondit et le plaqua au sol. Malgré sa taille, la bête de métal parvenait à retenir l’homme ventripotent qui se débattait en hurlant. Alors, son museau se changea en tête un instant.

-Quentin ! Fuis, je le retiens !

Le jeune homme hésita une seconde avant de prendre avec lui la seule chose chère à son cœur. Puis il quitta l’appartement en vitesse. Junker gronda et bondit en arrière puis sauta par le trou, déchirant la voile d’un coup de griffe. Monsieur Adam se redressa en vitesse.

-Fait chier ! Ses pupilles m’ont filées sous le nez !

Il tourna la tête. La valisette était encore là. Il eut un petit sourire satisfait.

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