15 - N'oublie pas ton devoir

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     Toujours débrayé après sa course poursuite, le renard blond marche dans la rue en profitant de la fraîcheur du vent, lui permettant de souffler un peu. Il fait tourner en boucle dans son esprit les minutes de torture qu’il a subit il y a déjà plusieurs heures de cela.

Tu finiras par m’appartenir !

     Il frappe du poing contre le mur d'une maison avant de secouer rapidement la main, grimaçant de douleur.

« Bordel, ça fait un mal de chien !

— Fermez-la, y en a qui essayent de dormir ! »

     Une réponse qui le frappe telle une balle de fusil, lui qui est persuadé d'être seul, se retrouve soudain très mal à l'aise de se donner ainsi en spectacle. Il se mord un peu la lèvre avant de continuer, intérieurement cette fois-ci.

Ça fait bien longtemps que je n’avais pas connu pareil échec… Peut-être lorsque j'étais adolescent ?

     Les pas de Nobanion l'emmènent vers son lieu de repos. Cependant sur le chemin, il croise une ombre, une silhouette qu'il reconnaît grâce à sa posture spécifique et aux tonfas armant ses avant-bras. Cet individu sautille sur place, prêt à en découdre.

« Woh woh woh Jasmine, du calme… » essaye de temporiser le jeune homme.

     Mais sans même attendre, la berseker réduit la distance pour donner un coup de son arme dans le ventre du renard. Ce dernier recule d’un pas pour se mettre hors de portée et cherche une ouverture dans sa garde pour contre-attaquer. Mais d’un mouvement habile, Jasmine fait tourner son tonfa pour que le corps de l'arme devienne le prolongement de son poing, et d’un simple geste de bras, comme pour chasser un insecte, elle vient frapper les côtes de son adversaire. Nobanion, qui a tout de même de bons réflexes, interpose son bras pour se protéger, mais cela ne suffit pas à arrêter la puissance de l’impact. Une douleur vive traverse le démon, ce qui le réveille totalement.

     Jasmine, ne laisse pas au renard le temps de respirer. Le premier coup porté, elle enchaîne rapidement en poussant sur son arme et sa force est tellement titanesque que le jeune homme sent ses pieds glisser sur le sol, avant d'être projeté quelques mètres plus loin, dans une impasse. Le sens de l'équilibre du fanfaron lui permet de ne pas s'écrouler au sol malgré la puissance du coup et il profite de la distance créée pour se mettre en garde.

     La femme s’approche lentement, chaque pas est mesuré avec soin. Puis un bruit de verre qui se casse vient briser le silence. L’homme renard, au courant des facultés de Jasmine, tourne sa tête instantanément, persuadé qu’un coup viendra de derrière lui. Mais Jasmine montre un génie guerrier bien plus élaboré, elle réduit à nouveau la distance en profitant de l’angle mort offert par sa feinte. Sa vitesse fait frissonner d'effroi le démon, mais n'étant pas en reste sur ce point là, il se prépare à la contrer de nouveau. Cependant un bruit de mastication sorti de l'ombre vient le déconcentrer et une douleur vive éclate sur sa cuisse. Un des tonfas de la berserker vient de s'écraser sur le muscle, à l'un des points les plus douloureux de la jambe. Le cri de douleur sort de la gorge du renard sans retenue, alors qu'une voix autoritaire qu'il peut reconnaître entre mille prend le dessus.

« Alors Noba, on prend plaisir à faire un petit tour chez les nobles ?

— Azan, je peux… »

     Mais l’homme n’a pas le temps de parler qu'un nouveau coup de tonfa vient cette fois le frapper au ventre. La respiration coupée, il n’arrive plus à parler et se plie en deux.

« À cause de toi, plusieurs de mes contacts se moquent de nous, tu t’en rends compte ? »

     Alors que Noba essaye de se défendre contre Jasmine, ce dernier s'apprête à rétorquer quelque chose mais une soudaine balayette sur la jambe d’appuis du renard le fait tomber en arrière, mouvement amplifié par un coup de tonfa au niveau du plexus solaire. L'impact propulse le dos de Noba contre le sol avec fracas, endommageant les pavés usés sous la puissance du choc. L’homme fanfaron crache un peu de sang et Jasmine se précipite vers lui pour se mettre à califourchon au niveau du ventre du renard, l'immobilisant au sol.

« Un nouveau noble, qui en plus se paye le luxe de jouer au tombeur de ses dames… »

     Un nouveau coup résonne dans la ruelle, cette fois-ci, Jasmine a visé l'épaule du dragueur, et un nouveau cri de souffrance s'échappe de ses lèvres.

« Je dois faire quoi pour que tu te tiennes à carreau ? Tu as oublié ton devoir ? Tu as oublié le but de notre organisation ? Tu as oublié que nous devons être irréprochables pour s'intégrer ici ? »

     Jasmine décide de donner un coup au visage, directement sur la joue du beau gosse, entaillant méchamment sa lèvre inférieure, propulsant une gerbe de sang sur le sol jusqu'aux pieds d'Azan.

« Jasmine, évite le visage, il n'a déjà que ça pour lui le pauvre…

— Oui, Boss.

— Où en étais-je ? Ha oui. Même nos hommes demandent à aller jouer avec des femmes alors que nous avions réussi à les tenir jusqu'à présent. Comment tu vas faire maintenant, on ne peut pas remonter le temps… »

     Azan regarde Jasmine et acquiesce, alors elle se relève, libérant Noba de son entrave. Ce dernier commence à sourire en se disant que le plus dur était passé. Quelle grave erreur. Une douleur fulgurante traverse soudainement tout son corps, le pliant en deux au sol tant l'impact avec les bijoux de famille a été violent. Jasmine vient de donner un coup de pied dans les testicules de l’homme déjà au sol et Azan s’empresse de commenter.

« Si tu continues à n’en faire qu'à ta tête, de façon publique et surtout, devant des gens de la haute, je n'aurais aucune pitié envers toi. J’attends beaucoup de toi, et c'est pour cela que tu n'auras qu'un avertissement aujourd'hui, et ce sera le seul, la prochaine fois que tu fais passer ta queue avant ta mission, je t'émascule… »

     Le Boss claque des doigts et Jasmine ramasse ses armes, avant d'ouvrir un de ces portails dont elle a le secret. Le deuxième bruit de verre brisé retentit dans la ruelle après leur départ, tandis que le pauvre renard serre les crocs, les larmes aux yeux.

C’est moi qui t’arracherai les couilles si tu te mets entre elle et moi …. Haaaa putain, ça fait maaaaaal !!!

     Si quelqu'un était capable d’entendre le cri désespéré de ses pensées, il y aurait de fortes chances qu’il en devienne étourdis. Nobanion reste alors sur le sol sale de cette impasse du district, à se rouler et à tenter de faire passer la douleur, tandis qu'en lui monte la colère d'avoir encore été humilié. Soudain des flammes naissent sous ses doigts pour rugir et éclairer les murs voisins de cette aura flamboyante, aussi ardente que le tourbillon de sentiments qui s'empare de lui.

· · • • • ✤ • • • · ·

     Un cri désespéré, c’est aussi ce qui sort presque de la bouche bâillonnée d'un pauvre homme-bête recouvert d'écailles, attaché sur une croix de velours surplombant une scène illuminée de mille feux. La plupart de ces plaques couvrant sa peau sont abîmées voire détruites, parfois enduites du liquide épais et rouge s'infiltrant entre elles. La couleur et l'agencement de cette peau reptilienne, ainsi que la mâchoire caractéristique de l'homme indique clairement son appartenance à un clan d'homme-alligator. Il veut crier, même au travers de ses yeux la souffrance qu’il endure transparaît, mais un morceau de métal muselle sa bouche, l’autorisant simplement à baver. Plusieurs personnes semblent se délecter du spectacle de l'humiliation et de la torture du pauvre homme, pour assouvir leur plaisir sadique. Un show rare, que seul un établissement du district est assez fou pour proposer: le Théâtre de l'Art.

     Bar le jour, théâtre à accès très réduit certaines nuits, ce bâtiment mystérieux possédé par un certain Jhin Azeloft est presque une légende dans le district. Certains disent même qu'il n'est jamais deux fois au même endroit. Mais aux vues de son activité et de ses principaux clients, sa nature insaisissable est l'un des ses atouts majeurs, sans compter sa capacité à changer de structure. Et tout cela n'est dû qu'à une seule personne: une femme entièrement vêtue de noir, avec de longues cornes tournées vers le ciel. Les extrémités de sa peau et de ses cheveux d'ébène irradient d'une lumière bleue glaciale, rendant son apparence encore plus effroyable. Des runes semblent tracées à même sa peau, enfin, si l'on peut parler de peau dans son cas, car en y regardant de plus près, on peut rapidement s’apercevoir que la femme ne semble pas avoir de jambes et lévite simplement au dessus du sol telle un spectre. Et c’est sûrement ce qui définit le mieux cette dame, le fantôme que personne ne voudrait croiser, un spectre nommé Cauchemar.

     Le directeur du théâtre, Jihn, installé dans la salle parmi les invités, regarde l’attraction du jour d’un air détaché. Cet homme-alligator ressemble à une poupée de chiffons, à la merci de Madame Cauchemar, qui prend un malin plaisir à jouer avec lui, tout en demandant parfois l'avis de son audience. Son jeu favoris est de faire perdre toute leur humanité à ses victimes, et pour cela, elle ne manque pas d'imagination. De la torture au viol, en passant par les drogues et la violence mentale, il n'est également pas rare que toute la famille soit au spectacle du théâtre. Car quel moyen plus efficace de briser quelqu'un que de faire subir les pires sévices à son entourage proche. Mais ce n'est pas le cas de cet alligator célibataire endurci, et qui, bien que sur scène depuis bientôt deux heures, garde toujours l'esprit et tente de rester digne.

« Quelle pièce rare mes chers, en général nos invités ont déjà craqué depuis longtemps, il a une bonne volonté, mais on ne peut pas se permettre de garder cet animal… »

Déjà que le bal a mangé une grande partie de mon audience du soir… 

     Les yeux de Madame Cauchemar parcourent la pièce: en effet, ce soir il n’y a que des vieux nobles, enfin c’est comme cela qu’elle les appelle. Des réguliers qui ont comme plaisir de se délecter de voir ces sous-humains remis à leur place, chose qui est mal vue dans la société si la bête en question est un homme libre, mais ici, cela n'a aucune importance. Qu'il soit noble ou pauvre, esclave ou simple marchand, tant que l'homme-bête a un potentiel de divertissement pour ses clients, il sera mis en scène au théâtre par la sulfureuse Madame Cauchemar. Sa seule présence est la cause de la présence majoritaire d'individus masculin dans l'assistance, profitant à la fois du spectacle, et de la vue de la bourreau. Ses yeux glacials finissent par se poser sur Jhin, qui d'un mouvement de tête masquée, lui indique la marche à suivre: le spectacle a assez duré. Le théâtre commence de lui-même a changer sous la seule volonté de la maîtresse de cérémonie, donnant une scène onirique, alors que la spectre se laisse aller à ses pulsions destructrices et sadiques, faisant couler davantage de sang, jusqu'à ce que mort s’en suive pour l’homme animal, dont les derniers cris s'étouffent dans son bâillon. Une fois le show fini et les salutations de rigueur exprimées à ses spectateurs, elle demande à ses sbires de nettoyer correctement la scène. Une vampire assez exubérante, suivie d'un homme plutôt placide, commence à déplacer le cadavre.

« Tu crois que j'ai le droit d'y goûter ?

— Je ne te le conseille pas, il a été fortement drogué par Poison.

— Pfff, c'est vrai que ce vieux rat serait capable de mettre une toxine spécifiquement pour m'assassiner discrètement.

— Aha, ce serait fort possible oui. »

     Les six yeux de Madame Cauchemar se posent sur les deux lurons, qui accélèrent le rythme pour quitter la scène. Cette dernière glisse jusque dans les coulisses pour rejoindre ledit Poison, qui l'attendait en tremblant légèrement.

« Le rat.

— O-Oui maîtresse ?

— Où en est la capture de la proie de luxe ?

— O-On a découvert… Q-quelques une… de… de ses Ha… habitudes, maîtresse.

— Parfait, j'espère qu’elle sera aussi coriace que cet homme, j’ai vraiment hâte de briser tout ce qui lui fait croire qu’elle est digne d'être considérée comme humaine… »

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