14 - Le retour de flammes

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     Nobanion se met alors soudainement à crier :

« Tu tomberas pour moi ! Tu verras ! »

     La non-réponse de la prêtresse l’agace encore plus, et il perd le contrôle, son pouvoir se déchaîne et rapidement des femmes et quelques hommes s'agglutinent aux fenêtres et regarde l’homme renard, puis, telle une foule en délire, les personnes descendent en trombe et Noba se retrouve entouré par nombre de nobles. Le démon finit décontenancé, et il se met à fuir plus loin dans les jardins, poursuivis par une masse de prétendants qui se livrent une guerre féroce pour attraper leur cible les premiers. Aux vitres du château, certaines personnes se mettent à rire de voir une scène aussi burlesque, mais ceux-ci ne sont pas dirigés vers le pauvre homme poursuivi, mais plutôt vers la foule en liesse. En y regardant mieux, on pourrait presque faire un rapprochement entre cette situation et le départ de scène d'un ménestrel qui a su ravir son public et qui ne peut s'en détacher. Une chose est sûre, pour les personnes qui se délectent de ce moment, elles garderont précieusement ce souvenir d'une soirée mondaine pas comme les autres. Même la petite princesse rit de cette scène alors que son frère la regarde, lui, la boule au ventre.

« Toi aussi tu finiras par te faire poursuivre comme ça, grand frère?

— Sincèrement, je n'espère pas, je n’ai pas l’endurance de ce monsieur, et je finirai très certainement en parchemin… »

     La reine, ayant entendu leur conversation, se rapproche de ses deux enfants et pose ses longues mains gantées sur leur épaules respectives.

« Cela me rappelle un peu mes belles années de voir cela, quand votre père était encore un guerrier digne de ce nom et que beaucoup de femmes cherchaient à le séduire. En tant qu'héritier royal, il était le centre de l'attention de toute la noblesse, et il y avait ce genre de scène assez souvent, surtout quand il faisait le mur pour aller s'entraîner à la caserne avec le général.

— Papa a fait le mur ?

— Et pas qu’une fois, sinon comment votre mère issue du peuple a-t-elle réussi à le séduire ? »

     La reine sourit et fait un petit clin d'œil à sa progéniture, et ces derniers rigolent en imaginant leur paternel faire des bêtises comme eux. La nostalgie gagne la souveraine, qui ouvre la grande fenêtre et pose ses avant-bras sur l'encadrement, le regard perdu dans ses pensées. C'est lorsqu'elle remarque la prêtresse revenir du parc que son esprit redevient clair.

{ Il en a donc après elle, eh bien… Bonne chance. Les membres de son ordre sont connues pour ne jamais offrir leur corps, et encore moins leur cœur. Il va vous falloir des trésors d'ingéniosité pour obtenir ce joyaux des plus rares. }

     De son côté, Inari se dirige rapidement vers le château, remontant l'imposant escalier de marbre froid, ses gettas de bois claquant sur le sol. A peine a-t-elle passé les portes du balcon, qu'une jeune servante se jette sur elle, semblant très impatiente au vue de sa longue queue animale battant l'air derrière elle.

« Madame, vous allez bien ?

— Oui, même si j'aurais préféré ne pas être dérangée par… »

     La prêtresse s'interrompt dans sa phrase. L'entrain et la façon si naturelle de s'adresser à elle de l'enfant lui ont presque fait occulter le plus important.

« Un instant, mais je ne te connais pas, qui es-tu petite ? »

     Inari fixe la gamine en face d’elle, et prend quelques secondes pour détailler son apparence. Dans ce but, elle s'accroupit afin de se mettre à son niveau, et ses yeux sont immédiatement attirés par l'imposante paire d'oreilles de loup, d'une teinte de bleu tirant vers le lilas, le tout surmonté d'une pointe noire. La queue est bien sûr dans le même esprit, et sa forme ainsi que le bout charbonneux de cette dernière lui donne l'apparence d'un pinceau de calligraphie. Mais c'est la corpulence de la fille qui alerte la prêtresse: frêle, certains os un peu trop visibles et son visage creusé, le tout indiquant clairement le manque de nourriture et de soins que la servante avait enduré, et compromettant sa bonne croissance. Malgré tout cela, la gamine sourit sincèrement, preuve d'un grand optimisme et d'une joie de vivre qui rayonne autour d'elle.

« Je m'appelle Jibril, je suis votre suivante madame.

— M… Ma suivante ? Pourquoi on m’en attribuerait une ?

— J’ai entendu dire que Madame ne range rien et que c'est souvent le bazar dans votre chambre, et aussi parce que vous vous enfermez beaucoup sans parler à personne.

— C’est… »

     Un blanc étrange s’installe entre elles, puis, dans un soupire désespéré, elle se résout à accepter l'aide de Jibril.

« Dans ce cas, tu as intérêt à bien te nourrir, et pour cela tu ferais mieux de profiter du buffet de la salle de bal.

— Oui Madame ! »

     Sans même se retourner, elle file comme un éclair bleu en direction du buffet, en esquivant facilement les nobles sur sa route. Inari la regarde s'éloigner en tombant dans ses propres réflexions. Elle analyse ce qui se trouve autour d’elle: derrière elle, il y a le retour de flammes de ce mauvais dragueur qu'elle entend hurler, un peu plus loin dans la salle, le bal où elle est juste exposée comme un trophée continue de battre son plein, et enfin, il y a toujours l'option de la fuite pour s'enfuir rapidement du dîner mondain.

     Mais lorsque cette dernière pensée s'immisce en elle, un étrange frisson la parcourt tandis que le souvenir du petit prince m'enveloppe complètement, de l'odeur des onguents et du sang séché à l'atmosphère lourde, en passant par la détresse de ce pauvre garçon victime des jeux de pouvoirs. Elle ne peut pas lui tourner le dos, sa détermination à le sauver prenant le pas sur le reste, il a besoin de son aide, il attend depuis si longtemps qu'on le libère. Elle ne peut pas se dérober, surtout pas face à un mal si grand. Autant les nobles plus que bien portants, qui la dérangent pour un ongle tapé contre une armoire ou des champignons sur leurs parties du corps sensibles car ils s’amusent beaucoup trop avec des concubines, elle peut bien les laisser pourrir dans leur coin, mais ce garçon a réellement besoin de son aide.

     Pour la première fois, Inari semble tendre vers la sagesse, et non l'impulsivité et le chaos dont elle fait si souvent preuve. Sortie de ses réflexions, elle entend quelqu’un haleter non loin d’elle, et en jetant un coup d'œil discret, elle voit le renard en sueur, ses cheveux ébouriffés et ses vêtements débrayés. Un sourire et un petit rire s'échappent de la prêtresse qui montre enfin un brin de sincérité.

{ Tu as mérité ton retour de flammes, tu ne me charmeras pas avec de la magie petit renard… Même si j’avoue qu’il est assez mignon quand il semble si vulnérable... }

     C’est avec une démarche voluptueuse et féline que la prêtresse s'éloigne pour rejoindre sa nouvelle servante. Il lui faut déterminer jusqu'à quel point Jibril peut être digne de confiance, aussi ses pas l'entraînent à l'intérieur de la salle de réception. À peine est-elle entrée qu'elle se fait aborder par plusieurs maisons influentes du royaume. Les discussions ennuyeuses commencent et Inari se demande comment les personnes autour d'elle la distinguent alors qu'ils n'arrivaient pas à la voir jusqu'à présent, étant persuadée d'être encore sous l’effet de son sort de Lumière. Mais ce qu’elle n’a pas remarqué, c’est qu'à cause de la vision du renard, et peut-être de sa magie, son illusion a légèrement changée. De ce fait, la presque invisible prêtresse est devenue un joyau étincelant. Amine, remarquant cela, se rapproche du groupe entourant la pauvre femme et, dans un élan chevaleresque, vole à son secours en lui offrant une porte de sortie.

« Dame WhiteWing, m'accorderiez-vous cette danse ?

— Avec plaisir, mon prince. »

     Elle s’incline un peu avant de prendre la main que le prince tend dans sa direction dans une légère révérence. Les yeux d’Inari lui montre sa gratitude d’avoir été sortie de ce traquenard, mais elle est maintenant exposée et elle sait totalement que c’est jouer le jeu de la royauté. Gardant la main du prince dans la sienne, elle se retrouve au milieu de la piste de danse, et le jeune homme commence à guider ses pas en rythme avec la musique. Les chorégraphies de valse des nobles sont plutôt simples, et la prêtresse n’a aucun mal à suivre. Amine semble s'amuser à la faire tourner, afin que la robe de sa cavalière s'envole avec grâce dans sa course, et la mette le plus en valeur possible. La fausse humaine, semble avoir une moue un peu résignée et ne remarque pas que le prince rougit un peu en dansant avec elle.

« Vous êtes magnifique dans cette tenue vous savez ? »

{ Hein ? }

     Surprise par cette soudaine déclaration, Inari répond directement, et le prince ouvre grand les yeux. Il entend sa réponse, mais le plus perturbant est que ses lèvres n'ont pas bougé. La musique commence à se calmer et après quelques applaudissements, la prêtresse s'incline devant le prince afin de prendre congé, avant de se diriger vers Jibril, lui permettant ainsi d'esquiver les nombreuses, trop nombreuses questions qui tournent dans la tête royale qui la regarde s'éloigner.

     Sa nouvelle servante a suivi l'ordre de sa maîtresse littéralement à la lettre. La louve bleue goûte et boit tout ce qu’il y a de disponible sur la table du buffet, sous le regard médusé des autres servants qui tentent de l'arrêter.

« Mais ch'è ma maîchresse qui m'a dit de mancher !

— Ce n’est pas une raison, personne ne veut de toi à cause de ce genre de chose ! Arrête toi avant qu’elle arrive ! »

     Rétorque une servante qui s'occupe d'alimenter le banquet avec les mets préparés en cuisine.

« Trop tard elle arrive ! »

     Panique un autre serviteur tandis qu’Inari arrive proche du buffet. Elle regarde la frêle louve et lui caresse la tête entre les deux oreilles, et rapidement, comme un chat que l'on câline, elle laisse échapper quelques ronronnements audibles. Le personnel est choqué de la façon dont se comporte la prêtresse, elle ne réprimande pas l’enfant, au contraire, elle la réconforte et l’encourage alors qu’elle n’est même pas humaine ! Mais sous le regard toujours aussi incrédule de la troupe de servants, l’enfant pousse un verre de vin à moitié plein, qui chute et se renverse sur la robe d’Inari. Quand Jibril voit une tache sur la robe blanche de la prêtresse et le verre tombé au sol à ses pieds, elle se met directement à genoux et tape sa tête sur le carrelage.

« Je suis vraiment désolée Madame, ne me fouettez pas s’il vous plait, je… je remplacerai la robe, je... je la laverai, je vous en supplie ne… ne me faites pas de mal ! »

     La scène attire l'attention d'un grand nombre de nobles, et des messes basses parcourent rapidement les rangs. Inari se met à genoux, salissant encore plus la robe sur le sol taché de traces de pas, pour se mettre au niveau de l’enfant.

« Relève toi jeune fille. Je ne te punirai point, les accidents arrivent à tous le monde, ce qui est important, c’est d’apprendre de ses échecs pour ne plus refaire les mêmes. Tu n’es pas la première et ne sera pas la dernière à renverser quelque chose sur une robe ou un costume. Apprend et continue à avancer. »

     L'incrédulité se met à parcourir l'assemblée, alors que la prêtresse aide l’enfant à se relever, et c’est alors que des applaudissements résonnent. Le roi, avec un sourire qui pour une fois semble sincère, prend la parole.

« Nous ne pouvions pas attendre mieux de notre prêtresse, sa gentillesse n’a d'égal que sa bonté. Elle tend même la main à une enfant pour éviter qu’elle ne souffre. Merci à vous, prêtresse, pour cette leçon d'humilité. »

     Mais en entendant ces mots, Inari comprit. Elle vient d'être utilisée pour asseoir un peu plus l’image du roi, cette image qu’il avait tant de mal à se refaire. Elle entrevoit enfin les plans du monarque et dans l’esprit de la prêtresse, il devient plus dangereux que ce qu'elle pouvait imaginer jusqu'alors. Elle se relève et, accompagnée de sa nouvelle servante, elle quitte le bal. Inari jette un dernier coup d'œil au roi, avant que la porte ne se referme sur elle.

{ L’habit ne fait pas le moine, il en a plus dans la cervelle que ses muscles laissent présager… }

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