Chapitre 4: investigations

8 minutes de lecture

Alors que mes agents, réunis au grand complet, prenaient place autour de la grande table oblongue de la salle de briefing, j’allumai l’écran-projecteur. La lumière blanche fut projetée sur le mur du fond, comme dans une salle de cinéma. J’insérai la datacard d’Amanda et la photo des deux sœurs apparut sur le mur.

Je fis alors un topo à mes employés concernant cette nouvelle affaire.

Une fois qu’ils furent tous informés, je m’assis et attendis leurs suggestions. J’avais déjà une idée assez nette de comment je voulais débuter les recherches, mais j’aimais stimuler leur intellect et leur esprit de détective quand l’occasion se présentait.

— J’imagine que la première chose à faire, c’est d’aller faire un tour à cet hôtel, dit Joanna. Ils doivent sûrement tenir un registre. On saura vite si la disparue y est bien allé avec ce type, Chambers.

— D’après la cliente, ils ne sont pas du genre bavards, répondis-je. Il faudra la jouer fine. Angus et toi, je vous charge de leur tirer les vers du nez d’une façon ou d’une autre.

— Je peux savoir pourquoi je dois y aller aussi ? rétorqua mon ingénieur en grognant de mécontentement.

— Parce que tu as bien besoin de prendre l’air. Rester seul et enfermé au sous-sol commence à te rendre pénible, répondis-je sur un ton trop sérieux pour être totalement crédible.

Il remua sur sa chaise et marmonna quelque chose dans sa barbe. Mais ne protesta pas davantage.

— On a son point de départ à Wilcox Alley et son point d’arrivée sur Carter Street, intervint alors Tobias. Avec une carte du quartier, on devrait pouvoir retracer son chemin et fouiller les ruelles.

Je retirai la datacard et en insérai une autre que je pris dans un petit boîtier prévu pour les ranger. Ces cartes appartenaient à l’agence et renfermaient toutes sortes d’informations utiles, notamment des plans des secteurs de la ville. Le schéma du quartier qui nous intéressait apparut alors sur le mur.

À l’aide d’un petit pointeur laser, je retraçai le trajet que, selon moi, la victime avait emprunté.

— C’est cette route qu’elle a prise, dis-je alors.

— Qu’est-ce qui te rend aussi sûr de toi ? demanda le docteur Maret.

— Hier soir, on est passé par ses ruelles pour rentrer, expliquai-je. Sur le chemin, j’ai vu un sac à main qui correspondait en tous points à la description que m’en a fait la cliente. Si on le retrouve et qu’on peut confirmer l’identité de sa propriétaire, on pourra au moins certifier le lieu de la disparition.

Tobias soupira et se frotta les yeux.

— Bon, j’imagine qu’on va s’amuser à fouiller les poubelles. Tu peux arrêter de râler, t’as échappé à la pire corvée, ajouta-t-il à l’attention d’Angus.

— En effet, confirmai-je. Toi et moi, on va tenter de remonter sa trace, en espérant apprendre quelque chose d’intéressant.

— Je vous accompagne, intervint Maret. Si on retrouve la pauvre malheureuse, elle pourrait avoir besoin de soins. Ou de déterminer la cause du décès, si nous sommes malchanceux.

Érika était restée silencieuse depuis le début de la réunion. Elle prenait des notes dans un carnet qu’elle recopierait sur son terminal plus tard.

— Pendant ce temps, j’aimerais que tu fasses quelques recherches pour moi, lui dis-je.

Elle releva les yeux et me regardai par-dessus ses lunettes.

— Bien sûr. Quoi donc ?

— Je voudrais que tu me compiles tous les documents, dossiers, vidéos, articles ou autres qui parlent de disparitions étranges dans la Fosse depuis ces trois derniers mois.

— Pas de problème, boss, dit-elle avec un sarcasme non-dissimulé. Après tout, il ne doit y avoir que quelques centaines de «faits divers» par jour. Ce sera un jeu d’enfant.

— Ne sois pas comme ça, répondis-je. On sait tous que tu trouverais une aiguille dans une botte de foin.

— Oui. En brûlant la botte et en passant les cendres au tamis, rétorqua-t-elle du tac au tac.

Nous éclatâmes tous de rire.

— Bon, ça suffit, dis-je une fois que les rires se fussent dissipés. On a une disparue sur les bras, je vous rappelle. On sait tous ce qu’on a à faire. Alors, au boulot !

Lorsque Tobias, Maret et moi eûmes gagné la ruelle dans laquelle j’avais aperçu le sac à main, nous nous mîmes à fouiller les lieux. Le ciel était encore chargé de nuages gris. L’endroit puait l’humidité, la crasse et la moisissure. Je parcourais le sol du regard, espérant retrouver l’objet. Le bon docteur retournait des piles de sacs poubelles, tandis que Tobias vidait une benne à ordures en jetant son contenu par-dessus son épaule, à la recherche d’un indice.

Le tohu-bohu que nous créions dérangea la vermine qui courut se réfugier dans les égouts et d’autres monceaux de détritus. Enfin, je le vis, toujours négligemment jeté par terre. Je m’approchai et le ramassai.

En le fouillant, je trouvai deux plaquettes de 100 queenmarks, un rouge à lèvres, une petite bombe de gaz au poivre, des préservatifs masculins, ainsi qu’une boîte de bonbons à la menthe. Rien qui puisse m’aiguiller sur l’identité de la propriétaire de façon certaine. Je le retournai alors et le secouai, au cas où quelque chose qui m’aurait échappé. Un petit objet tomba effectivement. Je me penchai pour le ramasser. Il s’agissait d’un petit pendentif accroché au bout d’une fine chaîne noircie. Du zamak de piètre qualité.

Le bijou en lui-même semblait être en cuivre et avait la forme d’un cœur. La fine fente parcourant sa tranche laissait supposer qu’il pouvait s’ouvrir. C’est en essayant que je trouvai enfin ce que je cherchais. À l’intérieur du cœur pouvait-on voir une photo des sœurs Barber, Nicole et Amanda, enlacées et souriantes.

— Ici ! criai-je à l’attention de mes employés.

Ceux-ci cessèrent leurs recherches et me rejoignirent.

— Qu’as-tu trouvé ? demanda Maret.

— Ce sac abandonné est bien celui de notre disparue. Regardez ce bijou.

Je montrai le pendentif et la photo. Mes acolytes hochèrent la tête.

— Donc, on peut supposer qu’elle a bien disparu ici, proposa Tobias. À moins que son ravisseur ne prenne le temps de balancer ce sac ailleurs pour brouiller les pistes.

— Si c’était le cas, il l’aurait sans doute jeter dans une benne, pas simplement par terre, répondis-je. J’ai aussi trouvé une petite lacrimo. Nicole Barber était prudente. Mais elle n’a visiblement pas eu le temps de la prendre pour se défendre. Donc, elle a probablement été attaquée par surprise.

— Dans quel but ? demanda le docteur.

— Réfléchissons, dis-je en me frottant le menton. Si c’était un viol, elle aurait sans doute fini par rentrer chez elle, tant bien que mal. Si c’était un vol à l’arrachée, l’argent ne serait plus là.

— Et on a trouvé ni cadavre, ni trace de sang, ni rien. Donc, c’est sans doute pas un meurtre, ajouta l’ex-militaire. Ça ressemble plutôt à un enlèvement, vous croyez pas ?

— C’est fort probable, en effet, répondit Maret. Bien que l’absence de sang puisse facilement s’expliquer par les pluies torrentielles d’hier soir, je pencherais moi aussi en faveur d’un enlèvement. Une jeune femme seule dans les ruelles sombres de la Fosse est une cible privilégiée par de nombreux gangs et trafiquants en tous genres.

J’étais d’accord avec leurs suppositions. Le kidnapping semblait être une hypothèse valable. Cependant, il était encore trop tôt pour pouvoir affirmer quoi que ce fut avec certitude. Les conclusions à l’emporte-pièce sans preuve tangible visaient rarement juste.

— La seule chose dont nous puissions être presque sûrs pour l’instant, c’est que Miss Barber est passée par ici pour se rendre à son rendez-vous, dis-je après un moment de réflexion.

L’argent qu’elle avait dans son sac me laisse supposer qu’elle a bien vu son client et qu’elle a été agressée sur le chemin du retour. Si on peut avoir la confirmation de l’hôtel, ça nous donnera une heure relativement précise du moment de son enlèvement. Mais qui a fait le coup et pourquoi ? Ça reste à déterminer.

— Espérons que Joanna et Angus pourront apprendre quelque chose d’utile, dit Maret.

— Je l’espère aussi, docteur, répondis-je.

— Et maintenant ? demanda Tobias.

— On rentre. Cet endroit ne nous apprendra rien de plus.

J’emportai la sacoche et son contenu et nous regagnâmes nos locaux. Nous entrâmes et vîmes Érika assise à son bureau, s’attelant de son mieux à la tâche que je lui avais confié plus tôt.

— Tes fouilles ont donné quelque chose ? demandai-je.

— Franchement, c’est pas terrible. Des tas d’articles sur les coups de surins et les règlements de comptes habituels. Quelques témoignages étranges sur des ombres et des disparitions. Mais rien de vraiment probant.

Encore ces histoires bizarres. Je commençais à me demander s’il n’y avait pas quelque chose à creuser, de ce côté. Pour l’heure, je préférais m’en tenir à ma piste la plus tangible. Joanna et Angus revinrent à l’agence près d’un quart d’heure après nous. Nous nous réunîmes alors pour un premier rapport sur nos découvertes.

— Vous avez appris quelque chose d’utile, à l’hôtel ? demandai-je.

— Possible, répondit Joanna. On sait que Nicole Barber est bien descendue au White Aurora Hotel, lundi soir à 19h32. Elle l’a quitté presque deux heures plus tard, à 21h27. Il y avait bien un Robert Chambers avec elle. C’est lui qui avait réservé pour la chambre, la 207. Il a quitté l’hôtel trois minutes après elle.

— Comment vous avez fait pour savoir tout ça ? demanda Tobias, intrigué.

— On a eu de la chance. Au début, le réceptionniste a refusé de nous dire quoi que ce soit, reprit-elle. J’ai essayé de jouer du décolleté pour l’amadouer, mais ça n’avait pas l’air de l’intéresser.

— Au moment où il nous a demandé de partir, son terminal a commencé à bugger, continua Angus. J’ai proposé de l’aider et, pendant qu’il ne regardait pas, Jo a discrètement tourné les pages du registre et a mémorisé toutes les infos qu’elle pouvait.

— Toi, t’as rendu service à quelqu’un ? Gratuitement ? commenta Tobias avec sarcasme.

— J’ai fait diversion, nuance! répliqua l’ingénieur agacé.

— Beau boulot, tous les deux, coupai-je. On sait donc que la demoiselle est bien allé à son rendez-vous et qu’elle a disparu sur le chemin du retour. De notre côté, on a réussi à localiser le lieu où ça a dû se passer. Ça ressemble à un kidnapping, ce qui n’est pas bon pour nous si on espère la retrouver en vie.

Je posai le sac à main sur la table et me frottai les yeux. Puis, je tournai mon regard vers mon administratrice.

— Tu m’as parlé de témoignages au sujet de disparitions bizarres, non ? lui demandai-je.

— En effet. En gros, ce sont des reportages amateurs où sont interviewés plusieurs S.D.F et égoutiers. Il disent entendre et voir des choses étranges dans les tunnels et certains de leurs camarades semblent se volatiliser sans laisser de trace.

— Cela pourrait être une piste à creuser, dit Maret. Qu’en penses-tu, Lothar ?

— Ça me parait bien nébuleux, docteur. Je vais essayer d’en apprendre plus. Pendant ce temps-là, vous allez essayer de trouver où est Robert Chambers. Il est la dernière personne à avoir vu Nicole Barber. Il pourra peut-être nous apprendre quelque chose. Tob et Jo, vous allez faire le tour du quartier et tenter d’en apprendre plus sur lui. Érika, envoie sur mon terminal les témoignages et essaye de trouver des traces de notre homme sur le Net.

Je me levai et quittai la salle de réunion en direction des escaliers.

— Tu vas où ? demanda Tobias.

— Chercher des sandwiches et de la gnôle, répondis-je.

— C’est pas encore l’heure du goûter, plaisanta Joanna.

— Si seulement c’était pour moi, murmurai-je.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Yautja ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0