Chapitre 8 : une offre qui ne se refuse pas

6 minutes de lecture

Au cours de mon bref passage à mes locaux, Érika m’apprit une ou deux choses. L’homme que nous recherchions était un comptable indépendant louant ses services à plusieurs grosses compagnies. Il était originaire de la Cité, le cercle intérieur de New-London réservés aux classes moyennes. Elle formait un rempart physique et juridique entre la Fosse qui formait le cercle extérieur et les Hautes Tours, au centre. Une vidéo presse datant d’il y a deux mois lui avait apprit qu’il avait été mêlé à un scandale au sujet de fonds détournés. Un avis de recherche était toujours en cours. Cela signifiait que Chambers se cachait quelque part et que nous n’étions pas les seuls à vouloir le retrouver. Cette enquête commençait à ressembler à une course contre la montre.

Je récupérai le sac à main de Nicole et me dirigeai vers le domicile des deux sœurs. Ce n’était pas très loin de l’agence et j’arrivai en moins de quinze minutes.

La porte blindée de l’immeuble comportait une serrure digitale et un interphone. Je sonnai à l’appartement au nom de Barber et la porte s’ouvrit après quelques secondes.

Comme on pouvait s’y attendre, l’ascenseur ne marchait pas. Je dus donc monter jusqu’au huitième étage par l’escalier. Amanda m’attendait sur le pallier. Vêtue d’une tenue de sport ample et grise, elle m’accueillit et me fit entrer chez elle. L’intérieur était modeste. Les meubles étaient vieux et usés. Mais l’ensemble semblait propre et bien rangé. Amanda m’invita à prendre place dans son canapé pendant qu’elle nous préparait du thé. Je parcourus la pièce des yeux. Quelques plantes artificielles en pot ornaient les étagères. Plusieurs objets sans grand rapport les uns avec les autres étaient exposés ou pendaient au bout d’un clou enfoncé dans le mur. Une boule à neige, des colliers de perles multicolores, de vieilles peluches ou encore un cadre holographique représentant un couple et deux petites filles blondes souriants et entrelacés. Des souvenirs d’enfance, à n’en point douter.

Sans trop savoir pourquoi, je me levai et me dirigeai vers une petite table dans le coin du salon. Un petit bureau sur lequel était posé une sorte de carnet. En l’ouvrant, je découvris une collection de dessins et croquis. La plupart réalisés au fusain ou au crayon. Chacun représentait un sujet différent. Un pot de fleur, un paysage, un portrait, une ferme dans une vallée, etc. Tous étaient très beaux et démontraient une habilité et un talent certain. Je fus alors emplit d’une émotion forte. La passion du dessin et de l’art n’avait pas entièrement disparu, engloutit sous la fange de la basse ville. J’en avais la preuve sous les yeux. Pour la première fois depuis le début de ce dossier, je souris sincèrement.

— Vous regardez les dessins de Nicole ? demanda Amanda.

Je ne l’avais pas entendu revenir. Aussi fus-je pris d’un sursaut de surprise. Elle portait dans ses mains un plateau sur lequel était posé une théière et deux tasses en céramique.

— C’est elle qui a dessiné tout ça ? demandai-je alors. Elle a beaucoup de talent.

— Si vous le dites. Je n’y connais rien. Pour tout vous dire, je n’ai jamais trop compris pourquoi elle y passait autant de temps. Si encore ça pouvait aider à payer les factures.

Comme la plupart des gens, Amanda avait perdu tout attrait pour l’art. Des décennies de propagande visant à rendre la culture ringarde et dépassée avaient portés leurs fruits. La consommation et les plaisirs faciles et rapides, voilà ce qui était valorisé et vendu comme les signes de réussite, à notre époque. En vouloir à Amanda pour le désintérêt qu’elle portait à la passion de sa sœur eut été stérile. Les choses étaient ainsi, en 2156.

Nous nous assîmes dans le canapé et elle versa le thé. Avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle commença à m’interroger.

— Vous avez apprit quelque chose au sujet de Nicole ?

— Nous continuons à chercher. Cependant, nous avons trouvé ce sac à main. Nous pensons que c’est le sien.

Elle prit le sac et le reconnu immédiatement.

— C’est bien le sien, j’en suis certaine.

Elle en sorti le pendentif et l’ouvrit. Sa gorge fut prise d’un soubresaut alors qu’elle contemplait les photos à l’intérieur du bijou.

— Ça vous ennuie si je le récupère ? me demanda-t-elle en retenant un sanglot.

— Pas du tout, la rassurai-je. C’est justement pour vous le rendre que je l’ai apporté.

— Merci.

Un pincement me serra la poitrine. Après cette introduction, je savais qu’il était temps d’aborder le sujet difficile pour lequel j’étais venu: la proposition de Rose.

— Pour être parfaitement honnête avec vous, Miss Barber, je ne suis pas venu que pour ça.

— Vous avez découvert autre chose ?

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Nous sommes sur la piste de Robert Chambers. Il se peut qu’il puisse nous aider à retrouver votre sœur. Mais pour savoir où il se cache, j’ai dû m’entretenir avec madame Jessica Rose. Vous en avez peut-être entendu parler.

— Oui... c’est la maquerelle la plus importante de la ville. Dans le milieu, tout le monde connaît son nom. Elle a accepté de vous aider ?

— Malheureusement, son aide n’est jamais gratuite. Sachant que vous vendez déjà vos charmes pour vivre, elle a insisté que je vous convainque de rejoindre ses équipes.

— Madame Rose veut m’engager ? En échange de quoi elle vous dira où trouver Chambers ?

— Grosso modo... c’est ça. Elle a également assuré que vos conditions de travail seront confortables et la rémunération, correcte.

Elle posa sa tasse sur la table basse et considéra la nouvelle. Je pouvais voir qu’elle était à la fois choquée et en pleine réflexion. Ma gorge était serrée. Bien que la proposition ne me semblait pas si indécente, je m’en serais voulu si elle avait eu l’impression de n’être qu’une simple monnaie d’échange. C’était tout de même ma cliente et je devais lui montrer un certain respect. Après un instant qui me parut durer des heures, elle releva la tête.

— Vous savez... depuis que Nicole a disparu, je n’ose pratiquement plus sortir ou aller travailler. J’ai peur de ce qui pourrait m’arriver à moi aussi. Je sais que mon métier n’est pas très glorieux. Mais; il m’offre une vie décente. Ce qui est déjà beaucoup. Peut-être que pouvoir continuer à exercer dans un endroit propre, avec des vigiles et où les clients sont triés n’est pas une si mauvaise idée... Je pense que j’irai voir madame Rose.

Je poussai intérieurement un soupir de soulagement. L’offre avait été acceptée plus facilement que je ne le pensais. Cette partie du nœud était enfin démêlée, j’allai bientôt recevoir l’adresse de ma cible. Nous finîmes notre thé. Je la remerciai d’avoir accepté la proposition, promettant que cela allait grandement nous aider. Elle me répondit en me remerciant à son tour. Prendre le temps de lui rapporter le sac et lui avoir présenté l’offre avec un minimum de tact l’avait beaucoup touché. Il était temps de rentrer. Le ciel s’enveloppait doucement dans sa robe bleu nuit.

Une patrouille de drones de surveillance croisa mon chemin. Ils me scannèrent rapidement et m’intimèrent l’ordre de regagner mon domicile. Aucun couvre-feu n’était en vigueur, ces temps-ci. Ils étaient juste programmés pour asseoir leur autorité à chaque occasion. Afin de les éviter, je passais par les petites rues destinées aux livraisons, à l’arrière des allées commerçantes. La visibilité commençait à sérieusement diminuer. Le bruit régulier de mes pas sur le sol mouillé résonnait sur les murs, rompant la torpeur lugubre du lieu.

Soudain, mon ouïe capta quelque chose d’autre. Un murmure ? Un écho ? Je me figeai sur place et écoutai. L’acoustique de la ruelle me permit de discerner un, non deux personnes qui marchaient à pas de loups. Je repris lentement ma route, posant le pied avec douceur à chaque pas et tendant l’oreille. En longeant un caniveau, je passai à hauteur d’une grille d’égout. Là, j’entendis nettement des murmures. Des voix humaines baragouinant des mots incompréhensibles. Un son, cependant, me fit dresser les poils de la nuque. «Myas». Ce terme fit le tour de mon cerveau à la vitesse de l’éclair. Je me stoppai net et posai la main sur mon arme. Mes yeux firent le tour complet du périmètre, du haut des murs jusqu’au sol. La grille d’égout émit un bruit de respiration étouffée. Je reculai de deux pas et dégainai.

 L’espace d’une seconde, plusieurs paires de petits cercles rouges et brillants trahirent une présence dans l’égout sous mes pieds. Puis, plus rien. Un simple rectangle grillagé ne laissant entrevoir que du noir. Je parcourus une nouvelle fois des yeux chaque recoin de l’allée. Il devenait difficile de discerner quoi que ce soit dans l’ombre nocturne. Même en me fiant à mes autres sens, je ne pus détecter quoi que ce fut. J’étais seul.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Germain "Yautja" Lacasse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0