Chapitre 9 : une visite malvenue
La fin de la soirée fut calme et sans incident. Mon équipe et moi dînâmes ensemble et profitâmes de nos quartiers libres. Intérieurement, je priais pour que la suite du dossier Barber se termine rapidement et de la meilleure façon possible. Non pas que j’eusse été particulièrement croyant. Mais mon instinct me soufflait que cette histoire pouvait n’être que la partie émergée de quelque chose de plus grand, de plus sombre, de plus hideux. J’espérais sincèrement me tromper car cette perspective commençait à me rendre nerveux. Bien que je faisais de mon mieux pour ne rien laisser transparaître, cette petite expérience aux relents de paranormal m’avait quelque peu perturbé.
Ce n’est que le lendemain matin, au moment où j’allumai mon terminal dans mon bureau, que je sus que la journée allait être productive. Une notification s’afficha immédiatement, m’avertissant que j’avais un nouveau message non-lu. J’ouvris le fichier en prenant une longue gorgée de café.
« La petite pouliche est venue me voir. Chose promise, chose due.
R.C., 65 Erlette St
Park Royal, New-London
SW38 5RN
Signé, un petit émoji en forme de rose. »
Je me levai d’un bon et allai chercher mes deux agents de terrain. Tobias, Joanna et moi attrapâmes nos armes, nos com-links et nos vestes et partîmes comme un seul homme. Comme toujours, Tobias emporta également un sac à dos contenant un peu de matériel. Cela pouvait toujours s’avérer utile.
Nous prîmes les transports en commun pour atteindre Park Royal, nous évitant ainsi une longue marche. J’avais hâte que ce dossier progresse enfin. Le dit quartier était une ancienne zone industrielle ayant peu à peu périclité. En proie aux guerres de gangs, ce ghetto était surtout connu pour ses salles de shoot et ses marchés noirs. Chambers avait choisi de s’enfoncer dans la fange la plus épaisse et opaque pour éviter qu’on ne le retrouve.
Nous arrivâmes enfin à notre arrêt et descendîmes du bus. Nous connaissions très mal ce quartier. Aussi, dûmes-nous solliciter l’aide d’une locale. Une vieille chouette borgne et boiteuse. Je lui agitai une poignées de queenmarks sous le nez et les lui promis si elle acceptait de nous guider jusqu’au 65, Erlette Street.
Nous avancions à pas d’escargot. Mais cela nous permit d’observer la zone. Il paraissait évident que notre présence avait déjà été relayée. Sans doute par les gosses vivant dans le coin. Des hommes appuyés dans l’encadrure de leur porte nous toisaient, une main dans la poche de leur veste rapiécée. Des rideaux délavés se fermaient précipitamment lorsque je levais les yeux. Rien de bien étonnant. Dans ce genre d’endroit, les têtes non-connues étaient souvent synonymes de problèmes et les habitants des différents quartiers avaient développer un instinct territorial indispensable à leur survie. Dans des situations comme celle-ci, le mieux était de regarder droit devant soi et d’avancer d’un pas assuré.
Enfin, nous atteignîmes notre destination. Je glissai les petits carrés de monnaie dans la paume squelettique de notre guide. Puis, elle nous quitta. Face à nous, une vieille porte en fer forgée et aux gongs rouillés affichait le numéro 65. La petite maison, coincée entre deux blocs d’habitations, était vieille et décrépie. Son toit partait en morceaux et sa façade était fissurée et noire de saleté. Je frappai à la porte et attendit. Aucune réponse. Je frappai plus fermement et plaqua mon oreille contre le battant. Il n’y avait ni voix, ni bruits de pas. Tout au plus, un son très étouffé de respiration saccadée.
– Monsieur Chambers ? tentai-je.
Silence.
– Monsieur, je sais que vous êtes là. Je vous entends respirer. Ouvrez la porte, s’il vous plaît. Je souhaiterais vous parler de ...
– Fichez le camp! Je n’ai rien, cria une voix venant de l’intérieur.
– Vous n’avez rien ? Comment ça ? demandai-je alors.
– Je n’ai pas d’argent. Rien du tout. Que dalle. Laissez-moi tranquille!
– Nous ne somme pas là pour ça, monsieur. Je voudrais juste vous poser une ou deux questions au sujet de ...
– Dégagez! Sinon je tire à travers la porte et je vous crève!
Il était visiblement terrorisé et peu disposé à bavarder. Peut-être qu’il bluffait sur le fait qu’il était armé. Mais peut-être pas. Je jouai la prudence et reculai. Utiliser la manière forte aurait été contre-productif, voire létal. Mes agents et moi nous mîmes donc d’accord pour nous trouver un point d’observation où nous fixer. Nous allions nous terrer dans un trou et attendre qu’il sorte. Il devait bien quitter sa planque à un moment ou à un autre pour aller acheter un morceau de pain ou autre chose.
De l’autre côté de la rue se trouvait un petit bâtiment ayant servi de pub ou de restaurant, il y a longtemps. Nous nous installâmes discrètement au premier étage et attendîmes. Depuis ce perchoir et grâce aux paires de jumelles compactes que Tobias avait apporté, nous pouvions observer tout le secteur à notre guise. Alors que je scrutais la planque de notre homme, espérant percevoir du mouvement, Tobias attira mon attention sur quelque chose.
– À 10h, à environ cent mètres, quatre mecs en costard.
Je fixai alors mon attention sur la direction indiquée. Effectivement, on voyait clairement quatre types en costume noir. Ils étaient bien trop propres sur eux pour être des riverains. Leur accoutrement et leur posture ne m’étaient pas étrangers. C’était des hommes de mains. Des portes-flingues payés pour faire tous les sales boulots que leurs ordonnaient leurs patrons. Les voir ainsi me ramena, l’espace d’une seconde, plusieurs années en arrière.
– Vous pensez qu’ils sont là pour la même chose que nous ? demanda Joanna.
– Pas pour la même chose, répondis-je. Ces mecs doivent être à la botte des types à qui Chambers a fait perdre de l’argent. S’ils sont là, c’est soit pour l’abattre. Soit, pour le ramener par la peau du cul devant ses créanciers. Dans les deux cas, ils risquent de poser problème.
– Mais pourquoi ils restent plantés là-bas, alors ? relança-t-elle.
– Pour la même raison que nous, dis-je. Ils attendent le bon moment.
– Ben, justement, en parlant de ça, dit Tobias en pointant la maison de Chambers du doigt.
Nous fixâmes tous la porte d’entrée. Elle s’ouvrit lentement. Chambers, caché sous un chapeau et un épais manteau, regarda de gauche à droite et sortit timidement.
– C’est notre chance. On y va, m’exclamai-je.
Nous descendîmes quatre à quatre les escaliers poussiéreux et gagnâmes la rue. Tout en nous séparant de quelques mètres, nous fouillâmes des yeux la foule à la recherche de notre homme. Du coin de l’œil , je surveillai les hommes en noir. Ils se mirent en marche en position d’approche et d’interception. Ils l’avaient repéré. Soudain, un grésillement dans mon oreille.
– Je le vois, dit Joanna. Je suis presque à sa hauteur. Tu veux que je l’attrape ?
– Contente-toi de lui coller aux basques pour le moment, répondis-je. On te rejoint.
Nous repérâmes la tueuse dans le flot de passants: sa chevelure sombre striée de reflets rouges sang dénotait clairement des autres têtes anonymes. Plus que quelques mètres et nous l’aurions rattrapé. Tout à coup, Joanna annonça l’arrivée du chaos.
– Il dégaine! cria-t-elle dans son com-link.
Chambers hurla et tira trois coups de feu. Pas vers nous. Vers les hommes en noir. La foule explosa en cris et en course désordonnée. Tobias et moi dûmes jouer des coudes avec violence pour nous frayer un chemin. Je ne voyais plus Joanna nulle part dans cette anarchie de corps et de voix stridentes.
– Jo, t’es où, nom de dieu ? aboyai-je.
– Chambers essaye de s’enfuir. Il court vers l’est. Je le lâche pas... attends.
En regardant vers l’est, je vis une silhouette svelte escalader avec une aisance quasi-féline les murs d’un immeuble. Joanna se hissa au-dessus de la foule, bondit sur un épais tuyau qui surplombait la rue et suivit Chambers qui s’éloignait dans la panique.
– Surtout, ne le perds pas, ordonnai-je.
Deux autres détonations. Tobias et moi nous baissâmes et cherchâmes les hommes de main. Ces idiots ne faisaient aucun effort de discrétion. Ils avaient tiré en l’air pour disperser la masse grouillante autour d’eux. Puis, l’un deux pointa lentement son arme dans la direction où Chambers avait fui. Avant qu’il ait eu le temps de correctement viser, il y eu un autre coup de feu encore plus assourdissant et sa tête explosa. Je tournai la tête à gauche et vis Tobias, l’arme au poing, le canon encore fumant. Les trois gorilles restants nous mirent en joue. J’eus à peine le temps de dégainer moi aussi que notre attention à tous les cinq fut détournée par autre chose. Un bruit que personne n’aimait entendre. Des drones d’intervention étaient en approche. Le bruit de bourdon caractéristique de leurs moteurs résonnait déjà au milieu de la cohue. Tobias me saisit par le bras et nous nous cachâmes derrière un pile de carcasses de véhicules. Il tira à nouveau et tua net un deuxième homme en noir. Ceux qui restaient ripostèrent immédiatement. Ils tiraient à l’aveugle, quitte à blesser un passant, au passage. Nous répliquions du mieux que nous pouvions, depuis notre couvert.
– Qu’est-ce que tu fous ? hurlai-je.
– J’appelle des renforts.
Trois drones apparurent à ce moment précis. Ayant repéré la source des troubles, ils pointèrent leurs armes sur nos assaillants.
— Infraction B35-1 identifiée. Vous êtes en état d’arrestation. Baissez vos armes et obtempérez! récitèrent les voix robotiques à l’unisson.
Les deux gorilles eurent à peine le temps de se retourner en direction des machines que celles-ci crachèrent un déluge de plomb sur leurs cibles. Les malheureux tombèrent au sol, le haut de leur corps transformé en une charpie écarlate.
– Menaces neutralisées... 2/4... émirent les voix artificielles.
Deux sur quatre. Si tous les portes-flingues étaient morts et qu’il restait encore deux cibles... Tobias et moi nous regardâmes.
– Eh merde... murmura-t-il.

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